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Samuel Paty : des hommages «pour faire le choix de la lumière»

Lundi matin, comme partout en France, les enseignants du collège Gilbert-Dru de Lyon ont réuni les élèves pour la cérémonie prévu par le ministère.
par Marlène Thomas, Photo Hugo Ribes. Item
publié le 2 novembre 2020 à 20h11

«Aux instituteurs et institutrices, vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie.» En ce jour de rentrée et d’hommage au professeur Samuel Paty, les mots de la Lettre de Jean-Jaurès aux instituteurs résonnent avec une intensité toute particulière dans la cour ensoleillée du collège Gilbert-Dru, dans le 3e arrondissement de Lyon. Perchée sur un escalier, Catherine Kouamé, professeure d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique (EMC) partage en cette fin de matinée ces mots forts avec plus de 600 collégiens placés en arc de cercle près de leurs enseignants. Le recteur de Lyon Olivier Dugrip et plusieurs élus sont aussi présents.

Les rangs, quelques minutes plus tôt agités, se sont soudain figés. «Nous sommes rassemblés en hommage à Samuel Paty et à l'ensemble des personnes victimes du terrorisme», a introduit Renaud Girma, le principal du collège, entièrement vêtu de noir, avant de faire respecter une minute de silence. Les visages masqués sont graves. Certains baissent la tête comme un signe de recueillement. Durant ces soixante secondes, seul le bruissement des feuilles mortes perturbe cette tranquillité. A la fin de cette minute comme au terme de la lecture de la lettre, des applaudissements ont spontanément brisé le silence, laissant la vie scolaire reprendre son cours. «C'était un hommage mérité. Si on ne l'avait pas fait, c'est comme si on donnait raison aux gens qui voulaient tuer Samuel Paty et qu'ils pouvaient continuer. La France perdrait ses valeurs», réagit à la sortie des cours Romain, en 4e. En primaire, au collège ou au lycée, des moments de recueillements ont ainsi été observés dans tous les établissements de France lundi.

Débats

De la pandémie de Covid-19 aux attentats terroristes, cette rentrée n'a rien d'ordinaire. Un dispositif de sécurité important vient le rappeler sur le parvis, à Lyon. «On voulait organiser une cérémonie républicaine, on l'a placée un peu au-dessus du protocole sanitaire même si on l'a fait respecter dans la cour», note le principal. Impossible de prévoir un mètre de distance entre chaque élève. Toutefois, chaque classe s'est mise en rang derrière des plots espacés d'une bonne distance. «Ça nous tenait à cœur que tous les élèves participent», ajoute Renaud Girma. «Il fallait que les enfants bénéficient d'un moment solennel, qu'ils comprennent que quand on se regroupe, on fait société, que ça aussi ça fait des valeurs dans notre République», témoigne Catherine Kouamé.

Lors de cette rentrée «chargée d'émotions», «notre objectif était de donner du sens. Aujourd'hui, il y a de la lumière et j'ai dit aux élèves "nous allons honorer la mémoire de monsieur Paty mais tout ce que nous allons faire c'est pour vous car nous allons faire le choix de la lumière et pas de l'obscurité"», ajoute-t-elle. Si les séquences pédagogiques autour de la laïcité et de la liberté d'expression peuvent finalement être organisées durant tout le mois de novembre, les profs de cet établissement ont pris le temps dès 10 heures d'en parler aux élèves. Un moment d'échange que Romane, en 4e, appelait de ses vœux: «C'est important d'en parler aux enseignants, pas pour savoir comment ça c'est passé car c'est vraiment gore, mais pour essayer de comprendre pourquoi.»

Les professeurs, notamment d'histoire-géo et d'EMC, se sont préparés, concertés par téléphone, durant les vacances afin de «ne pas parler brutalement de cette tragédie abominable» aux élèves. Accompagnés par leur hiérarchie et «le corps d'inspection», les enseignants se sont aidés des «outils simples» fournis «pour faire une trame et passer tout de suite de l'émotion à la pensée», nous explique l'enseignante. Au courant de beaucoup de choses, les élèves - ouverts aux débats - ont surtout questionné les profs «sur le fait d'avoir le droit ou pas de caricaturer, d'avoir le droit ou non pour un prof de montrer ce type de documents». Alors qu'elle n'était pas en service lundi, Catherine Kouamé est venue conseiller ses collègues. Si le temps d'échanges entre profs a été supprimé au dernier moment, le principal a permis à ceux qui le souhaitaient de se retrouver à 7 h 15. «Il fallait prévoir un temps pour évacuer nos émotions avant d'appuyer sur l'interrupteur prof», insiste Catherine Kouamé.

«Liberté»

En arrivant au collège, Isabelle (1), professeure de maths, confie : «Le fait de retourner au collège ravive l'émotion.» Elle avoue : «Pour le moment, je ne me sens pas d'aborder le sujet de la liberté d'expression et de la laïcité. J'aurais peur de ne pas être suffisamment précise face aux questions et différents points de vue des élèves.» Elle compte cependant évoquer «l'usage et les ravages des réseaux sociaux». Renaud Girma explique : «Les profs sont revenus ce matin sur les caricatures, le terrorisme qui touche les musulmans en premier, l'islamisme radical. On a montré ce qu'est la liberté d'expression, qu'on peut se moquer de tout le monde.» Des caricatures de personnalités politiques mais aussi des trois religions monothéistes ont été exposées aux élèves. Mais pour Catherine Kouamé, elles sont secondaires, le but premier était «de parler de monsieur Paty, un professeur assassiné pour avoir fait son travail, faire comprendre que l'école est bienveillante, respecte des règles et que dans notre pays le débat existe. Ce matin, on a surtout rappelé ce que prévoit la loi». Lindsey, en 5e, espère que ce cours pourra «aider les gens à prendre conscience de ce qu'il s'est passé.»

(1) Le prénom a été modifié

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