Depuis le 15 avril 2019, la DRAC Île-de-France mobilise ses archéologues pour trier et prélever les vestiges effondrés dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Retour sur les 18 mois écoulés.

Coordination et participation aux opérations de déblaiement des vestiges dans la nef et sur les voûtes

L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a provoqué la chute dans la nef et dans le transept de nombreux éléments calcinés provenant de la flèche de Viollet-le-Duc, de la charpente et de la voûte. Ces éléments se sont effondrés dans trois secteurs distincts, créant des amas de matériaux enchevêtrés avec des éléments de l’échafaudage calciné qu’il était nécessaire de dégager aussi rapidement que possible afin de sécuriser l’édifice.

- l’amas de la croisée du transept qui  contenait des éléments de la flèche (bois de charpente et éléments métalliques), des éléments de la charpente du 19e siècle et des éléments maçonnés de la voûte ;
- l’amas du croisillon nord du transept avec des éléments maçonnés de la voûte ;
- l’amas de la partie orientale de la nef qui comprenait des éléments en provenance de la pointe de la flèche et de la charpente médiévale, ainsi que des éléments maçonnés de la voûte (arc doubleau de la nef notamment).

Immédiatement après le sinistre, et dans le cadre juridique de "l’urgence impérieuse", la DRAC a élaboré en collaboration avec le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) un protocole d’évacuation des débris afin de documenter selon une méthodologie rigoureuse et scientifique le tri et le prélèvement des vestiges.

Il était alors urgent de dégager la cathédrale de ce qui était considéré par beaucoup comme des gravats, mais dont la valeur patrimoniale et scientifique est inestimable, tout comme il était impératif de documenter d’un point de vue scientifique ces effondrements sous peine de perdre de manière irrémédiable de la documentation de première importance.

Une méthodologie archéologique inventée et adaptée dans l’urgence

Le tri et le prélèvement de ces matériaux ne pouvait se faire que selon une méthodologie archéologique qu’il a fallu inventer et adapter dans l’urgence, afin de traiter un patrimoine en péril. L’objectif était de mettre en œuvre un protocole de prélèvement, d’échantillonnage et de conservation qui soit à la fois compatible avec les impératifs de mise en sécurité de l’édifice, avec les prélèvements réalisés parallèlement par le Laboratoire central de la police judiciaire (présent sur les deux premiers amas), tout en prenant en compte les enjeux à la fois patrimoniaux et scientifiques liés à ces matériaux provenant de la cathédrale médiévale et de ses modifications ultérieures. Ce protocole a été conçu dans un souci d’efficacité, de réalisme et dans le souci constant de la prise en compte des impératifs scientifiques et patrimoniaux. Menée à une échelle qui ne connaît pas de précédent, cette opération scientifique de prélèvement visait non seulement à recueillir avec soin l’ensemble des vestiges, mais aussi et surtout à documenter aussi précisément que possible l’emplacement de chaque élément ainsi prélevé dans les amas de vestiges issus de l’effondrement des voûtes ou bien encore présents sur leur extrados.

© Dessin Béatrice Bouet - DRAC Île-de-France

Procéder à une sélection de tous les items patrimoniaux, au total pas moins de 724 godets triés

Aidées d’engins télécommandés (entreprise SGLM) permettant d’accéder aux zones "dangereuses" et interdites d’accès, et munies de combinaisons et d’appareils de protection respiratoire (le site étant pollué au plomb), les équipes du ministère de la Culture ont travaillé quotidiennement, d’avril à novembre 2019, à la sélection, parmi les nombreux éléments effondrés (échafaudage, mobilier liturgique…), de tous les items patrimoniaux susceptibles d’aider le projet de restauration ou de fournir de précieuses informations quant à l’histoire de Notre-Dame.

Chaque levée de godet a été photographiée in situ afin de permettre une traçabilité des vestiges prélevés et conservés. Les engins les déposaient ensuite sur une table de tri improvisée dans le bas-côté nord, où les archéologues, les équipes du LRMH et du  Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF) (rejoints également par l’Institut national de recherches archéologiques préventives et par l’entreprise Pierre Noël) ont opéré une sélection.

D’un côté, les items significatifs (principalement des éléments lapidaires, du bois et du métal, mais aussi des fragments de l’horloge et des cloches) ; de l’autre, les déblais, éclats et morceaux de pierre non signifiants, ainsi que le plomb et les éléments d’échafaudage. Les premiers étaient déposés sur des palettes (avec la correspondance du numéro de godet), qui étaient à leur tour photographiées. Au total, rien que pour les amas du bras nord et de la croisée, 724 godets ont été triés, tandis que l’amas de la nef en comptabilisera 349. Au fil du tri, les palettes ont été évacuées de l’intérieur de la cathédrale pour être stockées provisoirement sur des racks dans des barnums installés sur le parvis.

Une fouille archéologique d’office prescrite par la DRAC sur un périmètre d’environ 200 m² 

En raison de l'ancienneté des matériaux effondrés, et d'une urgence moindre concernant ce secteur (hors « zone police »), l’amas de la partie orientale de la nef (état médiéval de la charpente, claveaux de la voûte d'origine ?) a fait l’objet d’une méthodologie légèrement  différente, avec la mise en œuvre d'une couverture photogrammétrique par Art Graphique et Patrimoine (relevés en 2D ou en 3D à partir de photographies numériques redressées, permettant de documenter la position de chaque pièce de bois). Pour ce secteur, une fouille archéologique d’office a été prescrite par la DRAC sur un périmètre d’environ 200 m² ; elle a ensuite été menée sous la direction d’un responsable d’opération INRAP. L’objectif était le  même que pour les deux premiers secteurs : prélever, isoler et inventorier tous les éléments tombés au sol dans ce secteur, et en permettre la conservation à des fins d’analyse en lien avec le programme de restauration de la cathédrale. Cette opération visait également à documenter le prélèvement des matériaux afin d’enregistrer le plus précisément possible le lien entre les matériaux ainsi prélevés et leur position au sein de l’amas.

Ces différentes opérations de tri et de prélèvement des vestiges au sein de l’édifice ont toutes été réalisées dans un calendrier extrêmement contraint, et dans des conditions très particulières (prélèvement "par procuration" avec les engins télécommandés, environnement plomb). Le protocole mis en œuvre dans l’urgence a constamment dû s’adapter et répondre tout à la fois aux exigences à venir de la communauté scientifique et à celles de la maîtrise d’œuvre. Momentanément mises en suspens lors de l’interruption de chantier en juillet 2019 (le temps que le chantier réponde aux préconisations en termes de réglementation plomb), ces opérations ont été achevées mi-novembre 2019, laissant la place à une seconde phase de tri dans les barnums.

Engins téléguidés, cordistes, opération de documentation photogrammétrique, en fonction des secteurs, la méthodologie a connu des adaptations

Parallèlement à ce travail mené à l’intérieur de l’édifice, le déblaiement des voûtes a démarré dès juillet 2019 le déblaiement des voûtes et là aussi le tri et l’inventaire des vestiges des éléments de charpente et des éléments métalliques. Ici les archéologues ont été aidés non plus par des engins téléguidés mais par des cordistes.

En fonction des secteurs, la méthodologie a connu des adaptations : si pour le bras nord du transept, les vestiges ont "simplement" été récupérés par les cordistes pour être déposés puis inventoriés sur le plancher installé juste au-dessus, leur prélèvement s’est fait sur la base d’un carroyage préalablement défini pour le bras sud.

Concernant les voûtes du chœur et de la nef, c’est une opération de documentation photogrammétrique qui a été mise en œuvre en collaboration avec le laboratoire Modèles et simulations pour l’architecture (MAP) du CNRS et le C2RMF, permettant de localiser précisément l’ensemble des bois effondrés puis prélevés. Tous ces éléments (bois, mais aussi les centaines de bigbags de charbons et d’éléments métalliques) ont été descendus progressivement dans des containers et triés dans les barnums par les mêmes équipes que pour l’intérieur de Notre-Dame. à ce jour, seul le secteur de la croisée (au droit de l’échafaudage calciné) n’a pas encore été traité. Il ne pourra l’être qu’une fois l’échafaudage calciné totalement démonté, et en présence du Laboratoire de la police judiciaire.

Vers la mise en place d’un inventaire et d’une régie des biens archéologiques mobiliers

L’ensemble des palettes déposées dans les barnums a fait l’objet d’un second tri effectué par des agents de la DRAC Île-de-France, du LRMH et du C2RMF, aidés ponctuellement par quelques collègues CNRS. Ce tri consistait à d’une part à mettre de côté des éléments qui pourraient être utiles à la maîtrise d’œuvre dans le cadre du projet de restauration (éléments lapidaires « complets », présentant des traces de polychromie ou de travail par exemple, éléments métalliques significatifs tels les crêtes de faîtage…), d’autre part à trier les vestiges par  matériau, et à les inventorier de manière précise dans une base de données créée spécifiquement. Au total, sans compter les 8 000 bois (qui ne seront pas réutilisés dans le cadre du chantier de restauration), ce sont près de 180 palettes qui ont été mises de côté pour la maîtrise d’œuvre, et plus de 600 palettes de vestiges (pierre et métal) susceptibles de présenter un intérêt pour la recherche ou pour une utilisation muséographique future.

La base de données – agrémentée de clichés réalisés en majeure partie par le LRMH - permettra ainsi à terme la gestion de ces vestiges désormais considérés par tous non plus comme des gravats mais comme des « biens archéologiques mobiliers », et d’en assurer la régie – conformément au code du Patrimoine. En concertation avec la nouvelle maîtrise d’ouvrage (l’Etablissement public Notre-Dame), il a été décidé que les palettes à destination de la maîtrise d’œuvre resteraient sur site, tandis que les autres vestiges, dont l’exploitation et l’étude seront menées dans les années à venir par la communauté scientifique, ont vocation à rejoindre pour une durée minimale de trois ans des locaux dédiés, mis à disposition par l’établissement public ; l’objectif est de permettre la poursuite du chantier et l’aménagement du parvis de la cathédrale.

Actuellement, l’ensemble des vestiges prélevés dans le cadre de cette première phase du chantier scientifique ont été conservés.

Dans le cadre du chantier scientifique, des conventions de dépôt seront établies par l’État (DRAC) avec les laboratoires scientifiques désireux de poursuivre les études et analyses de ces vestiges. Car si elle constitue une perte irréparable, la chute de la charpente ouvre la voie à de nouvelles recherches, impossibles à réaliser sur des bois en œuvre. Les marques de travail sur les pierres, la provenance des plombs, la nature des mortiers utilisés permettront d’accroître la connaissance sur la cathédrale et les conditions de sa construction. D’autres études, comme l’origine et la provenance des bois d’œuvre ou l’évolution du climat pendant l’optimum climatique du Moyen Âge, pourront également être menées.

La DRAC dans son rôle régalien de contrôle scientifique et technique

La mise en place de différentes installations techniques utiles au bon fonctionnement du chantier ont conduit pour certaines à la mise en œuvre d’opérations d’archéologie préventive, prescrites par la DRAC. Ainsi, en octobre 2019, l’installation d’une grue-tour au sud-est de la cathédrale a occasionné une fouille à l’intérieur de 2 puits blindés. L’un des deux sondages a livré une portion de mur déjà repéré au début du 20e siècle, et qui pourrait correspondre à un ancien mur de quai daté du 12e siècle.

En novembre 2019, la pose d’un premier transformateur électrique à l’est du square Jean XXIII, destiné à l’alimentation des installations du chantier, a livré un niveau de remblai recouvert par une séquence de sols de jardin ou de cour (du 14e siècle à la période révolutionnaire) d’environ 50 cm d’épaisseur. Le niveau supérieur correspondait probablement à la démolition de maisons vers 1809. Le décapage préalable à la pose d’un second transformateur électrique côté sud a révélé une séquence stratigraphique de la période moderne à 1,60 m de profondeur recouvert d’un remblai homogène qui peut être attribué aux travaux de rénovation de l’Archevêché en 1810-1812, réalisés dans la perspective d’un transfert de la Papauté à Paris ; enfin la tranchée HTA a permis de repérer le départ d’une voûte d’une cave de l’époque moderne qui appartenait à des dépendances de l’Hôtel-Dieu.

Enfin, une opération de prospection géophysique (géoradar 3D et électrostatique), prescrite par la DRAC préalablement à la pose d’échafaudages dans la cathédrale, a démarré fin septembre 2020. Nécessaire à la phase de diagnostic du monument, de réparation et de restauration, cette prospection géophysique contribuera également à une meilleure connaissance des vestiges conservés dans le sol de Notre-Dame.

Photos illustrant l'article : Service régional de l'archéologie - DRAC Île-de-France