Boudées par les élèves, les prépas accusent les bachelors

Elsa Sabado Publié le
Boudées par les élèves, les prépas accusent les bachelors
Le développement des Bachelors explique-t-il la désaffection des élèves pour les classes prépa éco ? // ©  DEEPOL by plainpicture/Phil Boorman
Sur le marché du "post-bac", les Bachelors dameraient-ils le pion aux traditionnelles classes préparatoires aux grandes écoles ? Quand les avocats de la prépa plaident l'excellence et incriminent une "crise de la valeur travail", ceux du Bachelor leur répondent diversité des compétences et des profils. Cette classique querelle entre les anciens et les modernes masque la lutte des business schools pour leur survie dans un contexte très concurrentiel.

Ce n'est pas encore la remontada, mais, en 2018-2019, les classes préparatoires aux grandes écoles, filière économique, ont limité les dégâts, en gagnant 308 élèves, soit une hausse de 1,6% par rapport à l'année précédente, qui restera comme celle de la grande déconfiture : elles avaient alors perdu 5,4% de leurs élèves.

Ces chiffres inquiètent Alain Joyeux, président de l'Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales : "Sur les cinq dernières années, on observe de petites hausses, des baisses, et des stagnations. Il y a un défi d'attractivité de notre filière".

Christophe Germain, vice-président du chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles et président d'Audencia, s'inscrit en faux : "Si l'on s'en tient aux chiffres, et qu'on remet en perspective sur quinze ans, il n'y a pas de tendance générale à la baisse. Il s'agit d'un épiphénomène". Les baisses récentes sont-elles des tendances lourdes, ou accidents ? Nous vous laissons en juger :

Evolution des effectifs en prépa depuis 2004

Filière

2004-05

2008-09

2012-13

2016-17

2019-20

Filière scientifique

46.667

49.279

50.479

53.681

53.482

evolution en %

2,4

1,9

1,5

0,9

-0,2

Fliière économique

15.792

19.202

19.260

20.168

19.279

evolution en %

-2,1

4,8

3,6

0,8

1,6

Fliière littéraire

10.888

11.522

12.426

12.624

12.309

evolution en %

3,3

1,2

3

-0,8

-2,2

Total

73.147

80.003

82.165

86.473

85.070

evolution en %

1,5

2,5

2,2

0,6

-0,1

Le Bachelor, plus alléchant

Quelle que soit l'interprétation qu'on puisse faire des statistiques, les défenseurs des CPGE voient d'un œil inquiet le développement des alternatives à leur voie royale : études à l'étranger, admissions parallèles après l'université, le DUT (futur BUT) ou le BTS, et surtout, l'essor, depuis quatre ans, des "Bachelors", ces formations post-bac qu'ouvrent l'une après l'autre les écoles de commerce. Le développement galopant de ces nouveaux programmes expliquerait la difficulté à recruter des prépas.

Leur force ? Proposer un cursus en trois ou quatre ans, panachant des cours de management, des stages à l'étranger et en entreprise. "C'est plus alléchant que l'idée de rester pendant deux ans dans une classe de lycée, avec un concours au bout", concède Alain Joyeux. "La prépa est faite pour les bons étudiants de terminale qui ont envie de travailler. D'autres préféreront jouir d'une plus grande liberté, être plus dans le concret, dans l'entreprise : pour eux, le Bachelor est plus approprié", poursuit le professeur.

Crise de la valeur travail ?

Face à cette concurrence, les professeurs veulent souligner ce que la prépa a d'irremplaçable. "On y apprend l'endurance, la rigueur, l'exigence intellectuelle, la méthodologie. C'est un capital précieux, qui servira tout au long de la vie, irrattrapable par la suite", argue Annie Reithmann, directrice d'Ipecom. "Edgar Morin explique que la seule façon d'appréhender la complexité, c'est le croisement des approches. Un manager ou un entrepreneur aura à se confronter à des problématiques financières, éthiques, géopolitiques... ", défend Alain Joyeux.

Des atouts qui peinent à faire le poids vis-à-vis de la réputation traînée par la prépa : "On entend que c'est 'l'enfer', qu'il faut 'y survivre', que les gens se suicident", déplore Annie Reithman. "C'est vrai que pour avoir un bon niveau, il faut travailler 60 heures par semaine. Mais si elles sont bien accompagnées, on ne les sent pas. Il ne faut pas oublier le plaisir fou qu'on peut trouver à apprendre. L'idée que le résultat sera le même, en travaillant moins, est un miroir aux alouettes", considère la directrice de la prépa privée. Le rejet des bacheliers s'expliquerait aussi par "une crise de la valeur travail", regrette Alain Joyeux.

Déconstruire les fantasmes sur la prépa

Pourtant, depuis quelques années, les professeurs des CPGE économiques ont pris des mesures pour faire un sort aux fantasmes suscités par leurs formations : "Quarante lycées à prépa éco ont institué des stages d'insertion en entreprise d'une ou deux semaines. Les lycéens sont conviés à venir s'immerger un ou deux jours dans nos classes, pour constater que oui, il y a une vraie vie étudiante, qu'on peut faire du sport", détaille Alain Joyeux. Les prépas ont aussi transformé les premières khôlles de l'année en modules d'accompagnement et de méthodologie.

Le président de l'association des professeurs de "prépa éco" croise les doigts en attendant les chiffres de l'année 2020-2021, espérant que le nombre de candidatures sur Parcoursup, élevé cette année, se traduira par une augmentation du nombre d'élèves dans les salles de classe de ses pairs, qui serait alors une récompense du travail abattu.

Excellence et diversité

Autre argument évoqué en faveur des prépas : les responsables RH des entreprises seraient attentifs au parcours académique, et à la présence de la ligne "prépa" sur le CV de ses candidats. "Alors là, j'attends les études qui le démontrent !", répond Christophe Germain, président d'Audencia. Il rejette en bloc l'idée de toute hiérarchie entre Bachelor et prépa. Bastien Ducos, directeur marketing et communication de Montpellier Business School ne relève pas non plus de différence en matière de réussite au diplôme ou de premier emploi, entre les diplômés de son programme grande école qui ont fait une prépa, et ceux qui sont entrés en admissions parallèles.

Pour Christophe Germain, pas question de hiérarchiser des élèves aux compétences différentes : "On parle de niveau, mais de niveau par rapport à quoi ? Le champ des possibles au sortir de l'école de commerce est de plus en plus varié, ce qui explique, en amont, le recrutement de profils variés eux aussi. Tous les jeunes ne peuvent pas rentrer dans le même moule !".

Remplir les salles de classe

A l'attrait des business schools pour la diversité des profils, faut-il peut être ajouter une autre explication, plus sonnante et trébuchante. "Ce développement galopant des Bachelors s'explique par le fait que le vivier d'étudiants en prépa publiques n'augmente pas, contrairement au nombre d'écoles de commerce. Beaucoup d'entre elles sont en difficulté financière, et ont besoin de remplir leurs salles de classe", analyse Alain Joyeux. "Nous ne sommes pas en difficulté financière. Le développement des Bachelors nous permet de soutenir notre développement", répond Christophe Germain. Question de point de vue.

Elsa Sabado | Publié le