TRIBUNE

Il faut défendre le Conseil national des universités

En s'attaquant à cette instance nationale, la future loi de programmation de la recherche bafoue l’autonomie des universitaires et des chercheurs. Refusons cette reprise en main du monde académique par un pouvoir politique.
par Franck Fischbach, Président de la section de Philosophie du CNU (17e section)
publié le 5 novembre 2020 à 18h03

Tribune. Dans la nuit du 28 au 29 octobre 2020, lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche, le Sénat a adopté un amendement supprimant la «qualification» par le Conseil national des universités (CNU) pour les candidats déjà Maîtres de conférences aux fonctions de Professeur des universités et ouvrant aux universités la possibilité de déroger à la qualification par le CNU pour les candidats aux fonctions de Maîtres de conférences et de Professeurs. Dans le même temps se font jour des velléités de restriction des libertés académiques dont l'effet est de diviser les universitaires au moment précis où ils ont besoin d'être plus unis que jamais pour faire face aux enjeux de la loi qui se prépare actuellement au Parlement.

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Le CNU est une instance nationale constituée de sections, dont chacune correspond à une discipline académique. Sa mission principale (outre l’examen des demandes de promotion et de congé pour recherche) est d’examiner les dossiers des docteurs qui prétendent se porter ensuite candidats aux postes de Maîtres et Maîtresses de conférences, et de décider s’ils sont aptes ou non à exercer cette fonction (c’est-à-dire de les «qualifier» ou non). Il en va de même pour les candidats et candidates aux fonctions de Professeurs et Professeures des universités, sauf que ce sont alors des dossiers présentés par des chercheurs et chercheuses qui possèdent, en plus du Doctorat, le grade de l’Habilitation à diriger les recherches et qui sont le plus souvent déjà Maîtres et Maîtresses de conférences. C’est cette mission qui est ici remise en cause.

Garantie d’égalité

En tant qu’instance nationale, le CNU garantit que les critères qui président à la qualification, à l’avancement et à l’attribution de primes et de congés pour recherches sont les mêmes pour toutes et tous, que le chercheur ou la chercheuse qualifiée soit ensuite candidate à Lille, Bordeaux ou Strasbourg, que la collègue qui demande un avancement soit Professeure à Toulouse, Rennes ou Nancy. C’est cette garantie d’égalité de traitement qui disparaîtrait si la procédure de qualification devait être supprimée ou rendue dérogatoire. A quoi s’ajoute que les critères d’évaluation sont ceux définis par les représentants de chaque discipline et que l’évaluation est menée par les pairs : le CNU garantit donc une évaluation collégiale par les pairs.

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Le CNU et le Comité national de la recherche scientifique ont été créés à la Libération par deux ordonnances prises le même jour : dans un esprit marqué de l’empreinte du Conseil National de la Résistance, il s’agissait de garantir que le recrutement, la carrière et l’évaluation des enseignants du supérieur et des chercheurs soient indépendants de toute autorité administrative ou politique. La disparition du CNU rendra le pouvoir à cette autorité : tel est le but de l’opération. Il s’agit donc d’une attaque portée à la fois contre l’autonomie des universitaires et des chercheurs, contre la collégialité et contre la démocratie, puisque l’affaiblissement du CNU se fait au bénéfice du Haut Conseil d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES), instance entièrement nommée, à la tête de laquelle vient d’être placé un proche conseiller du Président de la République.

Reprise en main du monde académique

Qu’il y ait des aspects à améliorer dans le fonctionnement du CNU, nous ne le nions pas. Des solutions existent (le renouvellement de ses membres par moitié tous les deux ans, le remplacement de la procédure de nomination ministérielle du tiers des membres de chaque section par une procédure de tirage au sort, etc.), mais, au lieu de tester ces diverses solutions, on s’apprête au contraire à jeter le bébé avec l’eau du bain.

Au nom de quoi le fait-on ? On nous explique d’abord que le CNU est une exception française et qu’aucun autre pays ne dispose d’une institution de ce genre. Mais il est bien d’autres exceptions françaises au sein de l’enseignement supérieur que l’on se garde bien de mettre en question. On nous dit ensuite que le CNU, organisé en disciplines, est un obstacle à l’interdisciplinarité. Mais on ne fait de la bonne interdisciplinarité que si l’on est d’abord ancré dans une discipline dont on a la maîtrise et la connaissance ; les dossiers et les travaux interdisciplinaires, loin d’être ignorés du CNU, sont souvent qualifiés dans plusieurs sections. On nous assure encore que la disparition du CNU «assouplira» et «allégera» le fonctionnement des recrutements et des avancements : mais cela aura en réalité pour conséquence qu’un même dossier de candidature devra être examiné par une dizaine de comités locaux différents au lieu de l’être une seule fois par une unique instance nationale.

On reproche enfin au CNU de n’avoir pas empêché certains recrutements locaux et on ose prétendre que le transfert complet du recrutement au plan local des établissements permettra de mieux lutter contre le localisme ! Ces arguments inconsistants ne sont mis en avant que pour mieux cacher l’essentiel : la reprise en main du monde académique par un pouvoir administratif et politique qui veut se doter des moyens de lui imposer ses priorités et son agenda. Il est donc primordial, pour la défense de l’autonomie scientifique des universités et de l’égalité de traitement de ses membres, de refuser avec fermeté cette suppression des missions essentielles du CNU.

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