Tourisme, restauration, événementiel, culture… Nombreux sont les secteurs qui subissent de plein fouet la crise économique engendrée par le coronavirus. Parmi les populations les plus touchées, les jeunes « primo-entrants ». Selon l’Insee, au deuxième trimestre 2020, le taux d’emploi chez les jeunes de 15 à 24 ans avait chuté à 26,6 %, atteignant son point le plus bas depuis 1975.

Un coup dur pour une génération qui avait tendance à valoriser la quête de sens dans sa recherche d’emploi, et qui doit désormais apprendre à jongler entre aspirations personnelles et impératifs économiques. Face à un marché de l’emploi en crise, avoir un travail qui fait sens est-il toujours si important ? Faut-il renoncer à certains idéaux, au risque de s’éloigner durablement d’un métier en cohérence avec ses valeurs ?

Renoncer à ses idéaux ?

C’est la question qui tourne en boucle dans la tête de Louis, étudiant en master d’histoire. Alors qu’il a l’impression d’avoir enfin trouvé sa vocation, le jeune homme est tiraillé entre bifurquer vers la fonction publique ou poursuivre dans la recherche, une voie qui l’épanouit. « S’il n’y avait pas le contexte économique actuel, je choisirais l’histoire, la recherche. Mais avec la vague de chômage qui se profile – dans un domaine qui offre déjà peu de débouchés –, je me demande s’il est raisonnable de m’acharner dans cette direction : je risque de me retrouver dans une situation professionnelle trop précaire… »

Avoir un métier qui a du sens est devenu une préoccupation de plus en plus répandue ces dernières années parmi les salariés ; en témoigne la popularité croissante des reconversions professionnelles. Le confinement, en remettant en cause l’utilité sociale de certains métiers, a encore accru ce phénomène : selon une étude Yougov menée en avril, 55 % des Français s’interrogent sur le sens de leur travail depuis le début de la pandémie, un chiffre qui grimpe à 61 % chez les 15-24 ans.

Mais concilier aspirations personnelles et réalité du marché n’est pas toujours possible. Lucas, jeune photographe, en a fait les frais. « J’ai fait des études de communication, mais j’ai toujours été passionné de photo. Je me suis formé parallèlement à mes études, et après mon diplôme je me suis lancé en tant que photographe indépendant. Au début, ça a plutôt bien marché, je voyais mon chiffre d’affaires progresser régulièrement, mais depuis la crise, presque tout s’est arrêté. J’attendais de voir si la situation allait se débloquer, mais je vais probablement devoir retourner vers la communication. C’est vraiment difficile à admettre, car je touchais du doigt un rêve et je vais devoir le mettre en stand-by, sans être certain de pouvoir le revivre un jour. »

Différer son entrée sur le marché

Selon Vanessa Di Paola, économiste et spécialiste des questions d’insertion des jeunes sur le marché du travail, l’origine exogène de la crise est justement ce qui la rend si difficile à appréhender : « La crise actuelle a été déclenchée par un problème sanitaire. Par conséquent, il est très difficile d’estimer combien de temps il faudra avant que l’activité ne reprenne. Face à cette incertitude, certains font des compromis pour pouvoir obtenir un emploi, tout en sachant que leur trajectoire professionnelle n’aurait probablement pas été la même s’ils avaient démarré sous une conjoncture favorable. Si cette situation dure, cela peut alors créer de l’insatisfaction et engendrer des conséquences en termes de risques psycho- sociaux », explique l’économiste.

Pour ne pas se retrouver dans cette impasse, certains étudiants décident alors d’attendre un contexte plus propice, en prolongeant leurs stages, en continuant leurs formations plus longtemps ou tout simplement en mettant leurs recherches en pause. Mais encore faut-il avoir la possibilité de différer l’obtention d’un salaire. « Beaucoup de jeunes ne peuvent se permettre d’attendre : ils n’ont ni chômage, ni RSA. Si les parents ne peuvent pas les aider financièrement, comment font-ils ? », s’interroge Vanessa Di Paola.

Privilégier un travail qui soit cohérent avec ses aspirations ou miser sur une embauche rapide au risque de renoncer à certains idéaux est un dilemme bien réel pour certains jeunes diplômés, qui doivent composer avec un marché de l’emploi fortement bousculé. Si cette question est certes difficile à résoudre, elle ne se pose toutefois pas pour tous : seuls ceux qui bénéficient d’un contexte social favorisé peuvent s’offrir le luxe de la considérer.