Le Covid fait ses classes

«Je pense à la salle B6, à toutes ces salles de classe où le risque de contamination est élevé»

Chaque semaine, un acteur de cette année scolaire 2020-2021 sous le signe du Covid-19 raconte ce qui se passe derrière les murs des écoles. Aujourd’hui, Jean, la trentaine, prof d’histoire-géo, prend la plume, révolté. Il décrit ces salles de classe, nombreuses, où appliquer un protocole sanitaire renforcé ne veut rien dire.
par Marie Piquemal
publié le 12 novembre 2020 à 14h28

De l’école à la fac, l’épidémie de coronavirus secoue comme un cocotier. Dans cette chronique, Libé recueille des bouts de vie de l’intérieur, derrière les murs des écoles. Des paroles de profs, d’élèves, d’infirmière scolaire, de parents… Qui, au fil des semaines, vont dépeindre par petites touches cette année 2020-2021, forcément à part.

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Aujourd'hui, Jean (1), 31 ans, professeur d'histoire-géo dans un collège de Seine-Saint-Denis, en bordure de Paris. Il nous a adressé une longue lettre, dont nous publions un extrait.

«Je pense à la salle B6. Il en existe encore beaucoup des B6, dans les collèges défavorisés et mal entretenus. Ma B6 est une grande salle, avec un mur en baies vitrées et en PVC qui donne sur l’extérieur. Les baies vitrées ne peuvent s’ouvrir. Un rideau déchiqueté permet d’isoler un peu du froid, du chaud, de la lumière ; mais des générations d’élèves en ont entamé l’autorité à coups de ciseaux, de feutre, de calligraphie au compas. Certains joints ont explosé. Quelqu’un les a mastiqués à la truelle il y a dix ou vingt ans.

Il y a une fenêtre, mais le mécanisme est cassé. Un collègue, dans les murs du collège depuis vingt et un ans, ne l’a jamais connu ouvert. Derrière l’estrade, la seule ouverture possible de la B6 est cette porte coupe-feu, qui donne sur une terrasse. Les beaux jours, la B6 est une serre. Les élèves implorent qu’on ouvre cette porte pour essayer de rendre supportable la température qui dépasse souvent les 35 degrés l’après-midi. La porte blindée est juste derrière le tableau. Je l’ouvre. Le tableau devient invisible quand pénètre la lumière. J’essaie de la maintenir entrouverte avec une chaise, mais la porte pèse un âne mort. A partir de mai, tous les cours sont rythmés par les claquements de la porte et mes tentatives infinies pour la maintenir bloquée par une chaise impuissante.

Les tables collées à la baie vitrée sont inondées

L’hiver, la B6 est une glacière. Le mur extérieur en plastique, la baie vitrée branlante n’isolent rien. De mi-novembre à février, il faut faire cours avec des gants. Ce qui rend l’usage de l’ordinateur et des craies – car il y a encore un tableau noir en B6 – assez fastidieux. Les élèves ont le droit de garder leur manteau. Au plus fort de l’hiver, il m’arrive d’autoriser les bonnets et les capuches, malgré le règlement intérieur. S’il pleut, le plan de classe change, car les tables collées à la baie vitrée sont inondées. Deux solutions : ou bien déménager ces élèves au fond, où ils sont trop loin pour vraiment suivre le cours ; ou bien derrière les colonnes, où ils ne voient rien et où je ne peux pas les voir (2).

Cette année, je ne suis plus dans ce collège, mais je ne peux m'empêcher aujourd'hui de penser à la B6. A toutes les salles B6 de France, alors que notre ministre explique que, «dans la mesure du possible», «au maximum», le protocole sanitaire est renforcé. Je pense aux collègues en B6, pour lesquels au-delà de tout débat scientifique ou politique, le renforcement du protocole sanitaire ne peut être qu'un mensonge.

Je n’ai plus l’énergie pour débattre de la politique menée en éducation par le gouvernement. Je sais simplement que pour la B6, mon ministre ment. Par capillarité hiérarchique, le chef d’établissement, le recteur, le Dasen mentent. Et, en bout de chaîne, le collègue ment. A lui-même, aux élèves, aux familles, aux AED (assistants d’éducation), aux AVS (assistants vie scolaire pour les élèves porteurs de handicap), aux agents d’entretien. Je n’ai pas les compétences pour déterminer si, comme le prétend notre ministre, ce n’est pas à l’école qu’on est contaminés par le Covid. Mais je sais qu’en B6 on a tous les risques de l’être.

Des enseignants épuisés et lassés

La société doit aussi avoir conscience que si demain les établissements scolaires venaient à fermer, rien – ou si peu – n’a été prévu. Pas une formation pour les cours en ligne, pas une enquête sur nos connexions numériques… Si les écoles ferment, nous en serons au même stade que mi-mars, où la débrouille avait suppléé l’absence de prévision. Seule différence : des enseignants épuisés et lassés. Et des élèves qui ne sont plus dupes : ils ont déjà vécu l’expérience de ces cours qui n’en sont pas.»

(1) Le prénom a été changé.

(2) La construction et l'entretien des collèges sont une compétence du conseil départemental. En l'espèce celui de Seine-Saint-Denis.

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