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L'avenir des jeunes professionnels du droit, il ressemble à quoi ?

Après de longues années d'études, leur vie professionnelle était sur le point de se lancer. La crise aura eu d'autres projets pour eux : portrait de trois jeunes à la recherche d'une collaboration, en quête d'un premier CDI ou qui ont profité du confinement pour créer leur société.

Terminés les examens, les travaux de recherche, les longs moments passés à la bibliothèque devant une pile de livres. Place à la vraie vie de jeune professionnel : Ghita, Carla et Alexis nous racontent leurs projets d'après diplôme. Des projets, il faut le dire, profondément bouleversés - ou, au contraire, portés - par la crise sanitaire et économique.

2020 : l'Odyssée de la recherche d'une collab'

C’est l’étape ultime et très attendue de longues années d’études : la recherche d’une collaboration dans un cabinet. Pas une mince affaire en temps normal… et encore moins en période de pandémie.

Ghita Bouzoubaa a eu un parcours classique d’étudiante en droit qui savait, dès le début, qu’elle voulait exercer la profession d’avocat. Elle obtient un Master 2, un LLM et réussit l’examen d’entrée à l’EFB. Avec une idée en tête : se donner « toutes les chances et la crédibilité nécessaire pour intégrer le département M&A d’un cabinet anglo-saxon ». Elle vient désormais de terminer son stage final et de réussir l’examen du CAPA. La dernière échappée avant de pouvoir se lancer dans sa première collaboration… Quand tout va bien. Aujourd’hui, c’est une tout autre affaire.

Elle avait pourtant tout préparé, et ce, dès la recherche de son stage final, entamé en début d'année : « j'avais choisi un cabinet qui aurait les moyens de m'offrir ma première collaboration. Mais le Covid-19 est arrivé ». Pendant le premier confinement, son cabinet, une grande firme internationale, perd alors toute visibilité pour les mois à venir. La charge de travail reste importante, mais elle le voit bien : pas de nouveaux deals à l’horizon. L’activité M&A se tasse jour après jour.

J'avais choisi un cabinet qui aurait les moyens de m'offrir une collaboration... mais le Covid est arrivé 

Pris de court, son cabinet lui a annoncé qu’il ne pourrait pas lui offrir sa première collaboration. La jeune avocate ne se laisse pas abattre et envoie sa candidature dans les (rares) cabinets proposant un poste ou spontanément. Elle obtient peu de retours, et, la plupart du temps, la même explication : gel de recrutement. Elle finit alors par décider de se concentrer sur son CAPA, avec l’espoir que les choses s’arrangent à la rentrée...

La deuxième vague en a décidé autrement. Habituée à travailler à un rythme intensif, elle a donc opté pour un stage, pour continuer de se former et d’engranger de l’expérience. Elle a dû se tourner vers un organisme privé pour avoir une convention de stage - sa formation à l’EFB étant terminée - mais ne regrette pas sa décision.

Au final, beaucoup de déceptions pour cette fin de parcours. « Même la prestation de serment, ce moment si solennel dont on a tant rêvé pendant ces huit années d’études, ne pourra pas être vécue pleinement », regrette Ghita. Qui confie une dernière inquiétude, pour l’après Covid cette fois : comment réussir à se démarquer lorsque les offres pour des collaborations en M&A vont fleurir à nouveau, et que plusieurs promotions de jeunes avocats seront en concurrence pour tenter de les décrocher ? Pour le moment, l’important est ailleurs : Ghita veut avant tout continuer de pouvoir se former et d’exercer le métier qu’elle a toujours rêvé d’exercer. Elle est assurément prête pour sa première collaboration.

 

Un CDD peut en cacher un autre... et un autre... et encore un autre

Un diplôme décroché il y a 2 ans et demi, un premier CDD, un stage, et trois CDD plus tard, Carla* est… encore en CDD. Et commencera, début janvier, un cinquième contrat d’une durée de 6 mois. 

Après quatre années passées sur les bancs de la faculté d’Aix-en-Provence et une année sur les bancs plus glacés de l’université d’Ottawa, au Canada, Carla a obtenu son Master 2 en droit économique. Facile de trouver un emploi, avec ce profil ? « Un emploi, oui. Un CDI, non », résume-t-elle. A la sortie de la fac, elle trouve rapidement un CDD et devient juriste d’affaires internationales pour une société du sud de la France. Pour pouvoir se rapprocher de la branche qui lui plaît vraiment, elle opte ensuite pour un stage dans une grande société du CAC40, là encore dans des bureaux avec vue sur la Méditerranée. Mais à la fin du stage, elle fait face à une double difficulté : les postes en droit économique sont rares, et ils le sont encore plus dans sa région. Pas de problème pour Carla : elle élargit ses recherches à toute la France et décroche un CDD à Paris dans une grande entreprise étrangère.

Trouver un emploi, c'est facile, oui. Un CDI, non. 

Son équipe est ravie de son travail, et lui propose de rester… en CDD. Elle refuse : pendant son contrat, elle a été rappelée par son ancien directeur basé dans les bureaux parisiens de la société du CAC40 pour laquelle elle a travaillé dans le sud. Elle réintègre donc sa précédente entreprise, pour un premier CDD. Puis un deuxième. En janvier, elle commencera son troisième - et dernier - contrat à durée déterminée au sein de cette grande entreprise. Elle aura atteint le maximum légal, 18 mois au total avec deux renouvellements. Deux options se dessineront ensuite : rester, pour de bon cette fois-ci, ou partir, si aucun CDI ne lui est offert. Mais à une recherche déjà compliquée est venue s’ajouter une difficulté supplémentaire. La jeune juriste confie que la période de crise sanitaire et économique n’aide pas. Elle ne trouve que très peu d’offres depuis quelques mois, et jamais dans sa spécialité. 

Bilan des courses pour Carla : un profil intéressant – une bonne faculté, une année à l’étranger, des expériences réussies dans de grandes entreprises – et pourtant, pas une seule proposition de CDI depuis son diplôme.

* le prénom a été modifié

 

D'Assas à HEC, du confinement à la création d'une société

Devenir juriste ? Magistrat ? Avocat ? Rien de tout ça : après un Master 2 en droit international privé obtenu à Assas et plusieurs stages en cabinet, Alexis Figiel présente l’examen d’entrée à l’EFB sans conviction, parce que c’était « une suite logique à 5 années de droit ». Autour de lui, il entend qu’il est censé faire du droit, après un Master 2 en droit... Mais pourquoi faire ?

Il sait, depuis quelques années, qu’il a envie de créer son entreprise - il avait d'ailleurs déjà monté quelques business plans ou travaillé sur un projet d’application pour smartphone -. Il en profite alors pour faire un stage en legal tech, afin de voir ce qu’il se passe en dehors des cabinets et découvrir l’entrepreneuriat, « à des années-lumière de ce qu’on apprend à la fac de droit ». C’est justement ce qui lui plaît : pouvoir toucher à tout. Au droit, certes, mais aussi au marketing ou à la comptabilité. Alexis est d’un naturel curieux, et n’a jamais eu envie de se spécialiser dans un domaine précis. Il intègre donc un master à HEC pour compléter son cursus. Puis, en décembre dernier, décide de lancer un « petit truc » en e-commerce avec un ami. Assez rapidement, le projet devient sérieux. Ses connaissances en droit sont d’ailleurs un atout : le fait de savoir comment se créée une société leur a permis de ne pas avoir peur de la créer, justement ! Ils ont ensuite suivi des formations en ligne pour développer leurs connaissances relatives aux différents aspects du e-commerce, et ont pu commencer à faire grandir leur SAS.

Le confinement a été une aubaine, pour plusieurs raisons  

Avec une aide inattendue : « le confinement du printemps a été une aubaine pour plusieurs raisons », annonce-t-il. Parce qu’ils ont pu se retrouver ensemble et concrétiser plus facilement leur projet, d’abord. Mais aussi parce que le e-commerce a marché à plein régime pendant le confinement. Ils en ont profité pour proposer un produit utile et répondre à un besoin - donc à une demande -. Ceci dit, Alexis précise qu’ils auraient pu proposer n’importe quel type de produit : « ce qu’on voulait, c’était surtout se lancer ». Ils sont ensuite rejoints par un troisième copain, tout jeune avocat. Pour ce deuxième confinement, les trois associés se sont à nouveau retrouvés ensemble pour continuer de travailler sur leur entreprise. Pour gagner plus d’argent à réinjecter dans leur société, ils proposent à côté des services de consulting à des clients - principalement des professions libérales -, pour refonder leurs sites, améliorer leur référencement ou gérer le mailing.

Et après ? Alexis ne se voit pas revenir à un métier strictement lié au droit. Seule exception : un poste de directeur juridique, pour pouvoir s’occuper également de questions stratégiques et managériales.

 

Olivia Fuentes
Ecrit par
Olivia Fuentes