L'humanitaire à l'épreuve de crises de plus en plus longues

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L'humanitaire à l'épreuve de crises de plus en plus longues

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Liban, séance de sensibilisation à l'hygiène à destination d'enfants réfugiés syriens. Janvier 2020.
Liban, séance de sensibilisation à l'hygiène à destination d'enfants réfugiés syriens. Janvier 2020.
- Solidarités International

La face cachée du globe. L'association Solidarités International fête ses 40 ans d’existence sur le front humanitaire. Un engagement commencé en Afghanistan et poursuivi sur plusieurs fronts, auprès de victimes de guerre, d'épidémie ou de catastrophes. Entretien avec Pierre Brunet, le vice-président de l'ONG.

L'association d'aide humanitaire Solidarités International est active dans 18 pays. Son vice- président Pierre Brunet, un ancien journaliste indépendant qui a rejoint l'organisation comme bénévole en 1994, retrace le parcours de cette ONG dans un livre intitulé Aider plus loin. 40 ans de crises, 40 ans d'actions publié aux éditions Autrement. 

Aujourd'hui, les crises se sont aggravées, durent plus longtemps, l’accès aux populations est rendu plus difficile et des travailleurs humanitaires sont souvent pris pour cibles dans les conflits.

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Entretien avec Pierre Brunet réalisé par Christian Chesnot_._

Solidarités International a 40 ans d'existence sur le front humanitaire. Une aventure commencée en Afghanistan au moment où le pays était envahi par les troupes soviétiques ?

Lors de l'invasion soviétique en Afghanistan en 1980, des gens en France se mobilisent et se disent que ce qui se passe là bas les concerne et qu'ils doivent agir d'une manière ou d'une autre pour aider le peuple afghan en lutte. Ils ont alors organisé des expéditions clandestines car il fallait passer clandestinement la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan. C'étaient "Les Caravanes de l'espoir". Ils vont donc créer la première association qui s'appellera Solidarité Afghanistan. Après, il y en aura d'autres, Solidarité Liban à l'occasion de la guerre civile au Liban, Solidarité Roumanie à l'occasion de l'ouverture de la Roumanie après la chute de Nicolae Ceausescu.

En quarante ans, entre l'Afghanistan pendant les années 80 et aujourd'hui, en quoi le métier de l'humanitaire a changé ?

Distributions de kits watch et dignité à Niaman, Mali. Janvier 2020
Distributions de kits watch et dignité à Niaman, Mali. Janvier 2020
- solidarités international

Quand j'ai rejoint Solidarité en 1994, il y avait à peu près huit personnes au siège. Maintenant, il y en a plus de 100. Il y a plus de 2 000 personnes sur le terrain, entre 18 et 20 missions en permanence. Ce sont des grosses machines, je dis ça dans le bon sens du terme, qui développent de plus en plus d'aide humanitaire, qui doivent en conséquence être gérées, managées, avec de plus en plus de spécialistes. Ce sont des gens qui entrent dans l'humanitaire par engagement pour aider, avec le sentiment d'une commune appartenance à l'espèce humaine qui est la base de l'humanitaire et en même temps, des gens qui font carrière au sens noble du terme, c'est-à-dire qui se spécialisent, qui acquièrent des compétences, qui grimpent des échelons, qui prennent de plus en plus de responsabilités. Ce qui a donc changé c'est ce qui tient à l'humanitaire en soi. 

L'autre chose qui a changé, c'est que l'humanitaire que l'on pratiquait à cette époque était un humanitaire où l'accès aux populations était souvent, même si ce n'était pas toujours le cas, beaucoup plus simple et beaucoup plus sûr qu'aujourd'hui.

Or, nous avons observé, au cours des dernières décennies, un rétrécissement extrêmement inquiétant de l'accès humanitaire aux populations, une politisation, une manipulation de plus en plus grandes de l'aide humanitaire, une remise en question de plus en plus grande, et parfois même par des Etats dont certains siègent au Conseil de sécurité de l'ONU, de la neutralité et de l'indépendance des ONG. On peut prendre l'exemple des lois antiterroristes qui contraignent de plus en plus la liberté d'action des ONG sur le terrain. La neutralité, l'indépendance et la sécurité des travailleurs humanitaires sur le terrain est donc de plus en plus attaquée, remise en question, de moins en moins respectée. 

Nous sommes passé d'un âge où les humanitaires étaient d'une certaine manière sanctuarisés, parce que tout le monde les respectait et toutes les parties au conflit savaient qu'ils étaient humanitaires, qu'ils étaient à peu près neutres, qu'ils allaient aider tout le monde, à une époque où ils ne sont pas plus protégés que les autres, pas davantage respectés. Jusqu'à une dernière époque aujourd'hui, où  les humanitaires sont recherchés, en tant que tel, ciblés et attaqués.

À réécouter : La vocation humanitaire
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La nature de ces crises humanitaires est elle la même ou a-t-elle évolué ?

Aujourd'hui, nous faisons surtout face à des crises complexes et durables.

Les crises humanitaires qui, à une époque, atteignaient leur pic d'intensité et passaient jusqu'à une forme de rétablissement et de résilience,  de retour à peu près, à la normale, ont à présent tendance à durer. Si l'on prend l'exemple de l'Afghanistan, que l'on a quitté il y a deux ans, nous y étions dès l'année 1980 et nous avons quitté le pays parce qu'il n'y avait plus de financement. Nous aurions toujours pu y être, la situation ne cesse de se dégrader. Si l'on prend le cas de la Somalie, de la RDC, du Soudan, nous avons là, des crises graves, complexes, aiguës et qui durent dans le temps.

Il faut que les ONG aient cette capacité d'être à la fois des sprinters pour arriver vite, dans l'urgence, et en même temps, d'être des coureurs de fond pour continuer cette action.

Nous faisons donc, simultanément, de l'urgence, de la post-urgence et de la résilience sur un nombre d'années très long.

Vous parliez financement. Sentez-vous que l'opinion publique en France et en Europe ou que les gens sont toujours mobilisés sur l'humanitaire ? N'y a-t-il pas un phénomène de lassitude aujourd'hui ?

Il y a parfois une lassitude, mais qui est de plus en plus liée à une conjoncture économique et sociale. Vous savez mieux que moi que la conjoncture actuelle liée à la Covid19 est extrêmement déprimante, et anxiogène, à juste titre.

Les gens se disent ce n'est pas le moment, je vais plutôt aider les gens en bas de chez moi, ceux qui vont aux soupes populaires ou les sans-logis. 

Des gens peuvent aussi se dire j'aimerais bien aider les Syriens, les Yéménites, mais là je ne peux pas. Il faut que je fasse des arbitrages. Il faut que je m'occupe de ma fille qui a perdu son emploi, etc. 

Je pense donc que sur le fond, il n'y a pas de perte de sensibilité, il y a juste des arbitrages, des contingences liés au contexte.

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