Marie-Lou Dulac, 29 ans, fille de deux parents ouvriers, se souvient de la phrase choc – et quelque peu surprenante – de Monsieur Dumez, son professeur d’histoire, au lycée de Gisors. Au moment de lui rendre une excellente copie, l’enseignant lance à son élève : « Toi, si tu ne vas pas en prépa, je te mets une claque ! » La phrase est prononcée sur le ton de la plaisanterie, mais le message passe : « Je me suis dit que ce prof croyait en moi », raconte cette diplômée de l’Essec. De là est né, selon elle, le « déclic ».
Comment survient ce déclic, pour des jeunes qui, au vu de leurs origines familiales ou territoriales, ne partent pas avec toutes les cartes en main ? Est-il réel, ou tient-il surtout du récit a posteriori ?
Des mentors
Cofondateur de l’association Article 1, qui lutte contre l’inégalité des chances, Benjamin Blavier évoque volontiers le rôle du hasard et des rencontres décisives dans le parcours des jeunes défavorisés qu’il accompagne. Des regards ou des mots qui vont permettre de grimper la marche la plus difficile à atteindre en raison de ses origines.
Et à ce titre, beaucoup de ces jeunes évoquent le rôle déterminant de professeurs. Actuellement en master de sciences sociales à l’Ecole normale supérieure, Aladji Djikine se souvient de Madame Delafond, sa professeure d’espagnol au collège. En 3e, ce fils d’une agente d’entretien et d’un père au chômage s’imagine aller en bac pro électricité. Sa motivation ? Pas tant une passion débordante pour les dérivations et les circuits que la perspective de suivre une formation professionnalisante avec un salaire à la clé. Il faudra cinq rendez-vous à Mme Delafond pour convaincre l’élève – plus que ses parents – qu’il a sa place en voie générale, et pour l’aider à déconstruire ses croyances.
Ces relations particulières entre professeurs et élèves se nourrissent d’un « effet pygmalion » analysé par Benjamin Castets-Fontaine, maître de conférences à l’université de Franche-Comté et auteur d’un article de recherche sur les élèves de grandes écoles issus de milieux populaires. « Ces enseignants projettent très fort sur ces jeunes. Et ces derniers s’engagent, au sens psychosocial du terme. Entre le jeune et l’enseignant se noue un micro-contrat », explique-t-il. Pour Jules Naudet, sociologue au CNRS et auteur de Entrer dans l’élite. Parcours de réussite en France, aux USA et en Inde (PUF, 2012), « ces étudiants vivent de plein fouet la tension entre leur milieu d’origine et celui qu’ils cherchent à intégrer. Ils vont donc, dans leur récit, accorder une grande importance à ces “passeurs” qui les aident à gérer cette conversion ».
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