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Témoignage

Jeunes au chômage et épanouis. Et alors ?

TEMOIGNAGES// Ils se sont retrouvés au chômage par choix ou par dépit mais ont décidé de rendre cette période de leur vie positive. Quelques mois qui, sans pour autant les détourner du monde du travail, leur permettent de remettre de l'ordre dans leur vie.

Selon l'Unédic, deux tiers des Français se disent attachés au modèle français d'assurance-chômage.
Selon l'Unédic, deux tiers des Français se disent attachés au modèle français d'assurance-chômage. (Anthony Fomin/Unsplash)

Par Camille Wong

Publié le 19 oct. 2020 à 09:13

Laurène, 25 ans, avait passé chaque étape avec succès. Le bac, les études, l'alternance et, toute juste diplômée, le CDI. Et patatras ! La start-up qui l'embauche dans l'événementiel est rachetée et là, tout change. Restructuration, bureaucratie, équipe déshumanisée… Le temps de l'introspection arrive : ai-je vraiment choisi la bonne voie ? Trois ans et demi après son premier job, Laurène négocie une rupture conventionnelle avec son employeur et se retrouve au chômage. « J'ai dès le départ accueilli cette période comme une chance : j'avais le besoin de me recentrer sur moi, de me reconnecter avec qui j'étais. Je m'étais donnée à fond dans mon boulot, parfois en m'oubliant », témoigne-t-elle.

Exit les horaires à rallonge et la pression du quotidien. « J'ai enfin du temps pour faire du sport, cuisiner de bons petits et d'avoir des rendez-vous médicaux sans courir derrière mon boulot… Une vraie tranquillité d'esprit », détaille la consultante, passionnée par le chant et la calligraphie, qui alimente désormais une chaîne YouTube et un compte Instagram. En plus de son allocation de 1.400 euros, elle donne quelques cours dans son ancienne école. Mais surtout, la jeune femme est en train de créer sa microentreprise pour être free-lance. « Je ne me lève pas à midi, je travaille chaque matin car je refuse de subir cette période », explique-t-elle. Pour rappel, les chômeurs ont des droits, mais aussi des devoirs, comme être en recherche d'emploi, créer, reprendre ou développer une entreprise.

Les chômeurs, ces autres travailleurs

En France pourtant, la vision du chômeur est loin de faire l'unanimité. Une étude de l'Unédic sortie fin septembre pointe que 38 % des Français perçoivent les personnes sans emploi comme étant assistées (+5 points par rapport à avril), avec des allocations-chômage trop élevées (36 %, +4 points) et dont une partie fraude (35 %, +4 points). Malgré cela, deux tiers des sondés par l'Unédic se disent attachés au modèle français d'assurance-chômage.

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« Dans l'imaginaire collectif, il y a les travailleurs, des gens en emploi, et les chômeurs qui ne sont plus considérés comme des travailleurs, indique Dominique Lhuilier, psychologue du travail et professeure émérite en santé et travail au Cnam. Penser le chômage comme une occasion de faire une transition efficiente et satisfaisante n'est pas encore gagné, alors que cette période peut être l'opportunité de comprendre des désirs que l'on n'avait pas forcément pris en compte. » Selon cette spécialiste, rejeter la figure du chômeur permet de se rassurer soi-même, de se dire que cette situation n'est pas pour nous, qu'elle est pour les autres.

Pas de quoi effrayer Vincent, qui a choisi une voie beaucoup plus sportive : faire un tour de France à vélo, en un mois. Il a quitté son CDI d'ingénieur aéronautique à Toulouse pour trouver « ce que j'ai envie de faire de ma vie ». Avec un moyen plutôt radical, l'abandon de poste . « J'ai la désagréable sensation d'avoir fait une erreur d'orientation, souligne-t-il. J'étais bon élève et l'on m'a orienté vers ce que je pouvais faire, pas ce que j'aimais. » A mille lieux de l'aéronautique, le jeune homme de 25 ans réfléchit plutôt à s'orienter vers la nature et un métier en extérieur. Pourquoi ne pas devenir guide de montagne ? s'interroge-t-il. Sa deadline ? Début 2021. En attendant, il profite.

Le moment de changer de voie

Certains décident donc de se construire en contradiction avec leur ancienne vie de salarié. « Au début du chômage, on a peur parce que le travail c'est 'important' disent-ils. On angoisse, quitte à se précipiter sur la première annonce venue et à accepter. Mais si le poste manque de sens, ne respecte pas le Code du travail, ni l'être humain ou est payé au lance-pierre, je passe mon tour », indique Sophie*, 29 ans, qui a frôlé le burn-out dans son ancien job. Elle profite de cette période de chômage pour prendre soin de sa santé, terminer d'écrire son livre et alimenter son blog de chroniques littéraires. Car quand le travail manque de sens et ne plaît pas, les périodes chômées offrent un peu de répit, comme pour Axel, cariste en intérim. « Je suis content, je suis libre et j'investis mon temps pour mon association, mais je sais que ce n'est pas durable et surtout, précaire », nuance le jeune homme de 26 ans, qui aspire à plus de stabilité et à se reconvertir, pourquoi pas, dans l'électricité.

Si fin 2019, l'accès à l'assurance chômage a été durci, certaines nouveautés ont fait leur apparition comme la possibilité de percevoir des allocations à la suite d'une démission. Mais les conditions restent exigeantes : avoir travaillé au moins cinq ans chez son employeur et avoir un projet motivé, comme une reconversion.

« C'est bien si c'est de courte durée »

Depuis cet été, Loïc est au chômage. Cet ancien juriste de 30 ans avait décidé de se lancer dans le marketing digital. A l'issue de son année d'alternance, c'est la douche froide. Sa société ne peut le renouveler. Lui qui à l'origine voulait changer de voie, il s'est finalement replongé dans le droit et hésite même à passer le concours d'avocat. A côté, il écrit un bouquin. Avec le chômage, « il est agréable d'avoir ce temps pour travailler mes connaissances juridiques », indique-t-il. Mais la lune de miel à ses limites : « Cette période ressemble à celle que j'ai vécue durant le confinement. Le chômage, c'est bien si c'est de courte durée, sinon cela devient plus difficile », ajoute-t-il.

S'épanouir au chômage n'est-il finalement pas qu'un problème de riche ? Beaucoup jouissent d'allocations plutôt confortables, ou d'un soutien familial. Laurène et Vincent sont retournés chez leurs parents, Sophie et Loïc sont aidés par leur conjoint. « Cette opportunité est un luxe pour ceux qui sont sans enfants, ni prêt immobilier et/ou avec un ancien travail rémunérateur, explique Dominique Lhuillier, la psychologue du travail. D'autres ne peuvent se le permettre et on fait face à des inégalités sociales majeures. » Finalement, selon l'Insee, les jeunes ne représentent que 9 % des chômeurs longue durée (contre 24 % pour les plus de 50 ans), avec, tous âges confondus, un niveau de diplôme faible, le bac ou moins (83 %).

* Le prénom a été modifié

Camille Wong

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