Deux camps se toisent, telles deux équipes prêtes à en découdre. Sur le parvis de la mairie de Plouha (Côtes-d’Armor), ce samedi de février, se pressent une centaine d’habitants du secteur. « Non à l’industrialisation de nos campagnes », « Oui à l’agriculture paysanne », peut-on lire sur leurs pancartes. Dans leur collimateur : le projet de construction d’un méthaniseur, équipement destiné à transformer quotidiennement une trentaine de tonnes de déchets agricoles en gaz et qui impliquerait, selon eux, désagréments et risques environnementaux. De l’autre côté de la rue, une centaine d’agriculteurs se dressent, bras croisés, visages fermés. Ils sont venus de tout le département, en soutien à leurs collègues plouhatins. Ils en ont assez d’être « pris pour cibles » et taxés de « pollueurs ».
Après quelques échanges plus ou moins cordiaux, l’ambiance se tend. Les paysans se mêlent à la foule. L’un d’eux dérobe le micro des manifestants. S’ensuivent des bousculades, des jets de peinture, des injures… Le garde champêtre tente de s’interposer. La cohabitation semble compromise. A Plouha comme à Langoëlan (Morbihan), Douarnenez (Finistère) ou Bourg-des-Comptes (Ille-et-Vilaine), deux Bretagne se font face. Pas une semaine ne passe sans qu’un collectif ne s’oppose à l’agrandissement d’un élevage hors-sol ou ne dénonce une énième pollution de cours d’eau à la suite d’un rejet de lisier.
Le refus de voisiner avec des installations agro-industrielles n’est que la partie émergée de l’iceberg. Bien souvent, c’est une opposition de fond au modèle agricole dominant dans la région qu’exprime une partie des locaux. Ce même modèle qui a fait de la Bretagne, en quelques décennies, la première région agricole de France et l’une des principales d’Europe.
Dans la péninsule, environ 110 millions d’animaux d’élevage cohabitent avec 3,3 millions d’humains. Cent dix mille agriculteurs et ouvriers du secteur agroalimentaire « nourrissent » l’équivalent de 22 millions de personnes. Cinquante-huit pour cent de la viande porcine, un tiers des volailles, un quart des tomates et presque la moitié des œufs produits en France proviennent de Bretagne. Mais ce « succès » a plusieurs rançons : pollution, défiguration des paysages, qualité parfois médiocre des productions, dépendance aux subventions…
Le paysan se mue en exploitant
Malgré les signaux d’alerte émis dès les années 1970 par des associations environnementalistes, les Bretons ont longtemps fait bloc autour de « leur » agriculture. Les vents ont tourné. L’exaspération de certains élus ou citoyens à l’encontre de l’agro-industrie est plus audible. La sphère politique s’est emparée du sujet, qui s’impose comme la thématique majeure des prochaines élections régionales. Et agit comme une bombe à fragmentation à l’intérieur même des partis. Ecologistes, socialistes, « marcheurs »… Tous avancent divisés. Leurs désaccords témoignent de la complexité de l’équation. Au centre du jeu : Loïg Chesnais-Girard, président (Parti socialiste) du conseil régional depuis 2017, candidat à sa propre succession.
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