Elsie Herberstein, dessinatrice de plateau : Préserver la mémoire du tournage

Elsie Herberstein, dessinatrice de plateau : Préserver la mémoire du tournage

28 octobre 2020
Cinéma
Sous les étoiles de Paris
Elsie Herberstein Elsie Herberstein
A l’occasion de la sortie du film Sous les étoiles de Paris, de Claus Drexel, rencontre avec Elsie Herberstein, qui nous raconte son expérience de dessinatrice de plateau. 

Elsie-Herberstein
Elsie-Herberstein Damien-Chavanat

Comment vous êtes-vous retrouvée à « croquer » Sous les étoiles de Paris de Claus Drexel ?


J’ai été contactée par Olivier Brunhes, le coscénariste du film. Olivier, qui est dramaturge, metteur en scène et comédien, connaissait le travail d’une de mes amies qui croquait sur le vif pour le théâtre. Il aimait beaucoup cette façon de pouvoir garder une trace d’une aventure artistique. Sous les étoiles de Paris étant sa première expérience d’écriture de long métrage, il a évoqué l’idée de travailler avec une dessinatrice de plateau à Claus Drexel, le réalisateur, qui a lui-même une grande sensibilité pour le dessin. Il a toutefois fallu convaincre les producteurs du film car ce métier de dessinateur de plateau n’est pas très répandu.

 

Croquer les coulisses du film

En effet, on est plus habitué, au cinéma, aux storyboards et au photographe de plateau qu’aux carnets de tournage. Quelle différence faites-vous entre ces supports ?


Mon travail de dessinatrice de plateau consiste à préserver la mémoire du tournage, à croquer les coulisses du film et mettre en lumière ceux que l’on ne voit pas. Un storyboard sert plutôt à la construction des films. Quant au photographe de plateau, son travail est de porter un regard parallèle à celui de la caméra, à saisir l’essence du film à travers une image fixe. Il est présent à certains moments du film et vient capter des scènes clés. Pour ma part, j’avais une totale liberté sur le plateau. J’ai pu suivre le tournage quasiment dans son intégralité, être présente tous les jours et me balader partout, du repère de Christine (incarnée par Catherine Frot) au sous-sols de livraison à Olympiade où a été reconstituée une partie des scènes sur le tarmac, en passant par la salle de consultation du médecin ou encore les entrepôts de stockage des décors. Cette liberté est assez rare sur un tournage, qui plus est pour quelqu’un qui exerce un métier peu fréquent au cinéma. Comme il s’agissait de ma première expérience sur un long métrage de fiction, j’étais dans une espèce d’euphorie de découverte. Résultat, j’ai réalisé plus de 200 croquis !
 

Sous les étoiles de Paris Elsie Herberstein

 

Découvrir des histoires et les mettre en dessin

Comment travailliez-vous ?

Je dessinais au jour le jour pour restituer l’ambiance du tournage, comme un journal de bord, à travers des images que j’interprétais au gré de mes discussions avec chaque membre de l’équipe. D’ailleurs, toutes les personnes qui travaillaient sur le film étaient surprises que je les dessine autant voire même plus que les comédiens. Elles sont habituées à être un peu les « invisibles » d’un film et mes croquis leur renvoyaient leur image, leurs attitudes et aussi leur importance. Un dessinateur est là pour observer mais tout autant pour écouter. Pendant un tournage, il y a de nombreuses plages d’attente. Peut-être moins pour le noyau dur du réalisateur, chef opérateur, scripte et assistante de réalisation, mais pour tous les autres, c’est le cas. Ils étaient très intrigués et amusés par les dessins, et pendant nos moments d’échanges, beaucoup se sont confiés sur leur métier, leur parcours mais aussi leurs questionnements.

Et puis, sur un tournage, on s’imprègne des sons, des couleurs, des mouvements. On redécouvre parfois même des lieux qui nous semblaient familiers, mais que l’on observe différemment car on prend le temps de regarder et de s’émerveiller. C’est ce que j’aime tant dans mon métier : écouter, recueillir des témoignages, découvrir des histoires et les mettre en dessin. D’ailleurs, bien que j’écrive également, le dessin reste mon premier mode d’expression, il m’est nécessaire.

 


Croquer sur le vif

Vos dessins semblent assez proches des croquis d’audience qui racontent le déroulement d’un procès. Est-ce parce que nous sommes aussi dans une forme de témoignage et d’immédiateté ?


Tout à fait. Comme pour ces dessins de presse, je croque sur le vif. Il nous faut être à la fois les plus précis, les plus rapides et le plus discrets possibles. De ce fait, il faut savoir où se placer pour choper le meilleur angle et trouver ainsi la bonne façon de dessiner. Sur le plateau, je me mettais derrière le preneur de son, Cyril Moisson, emplacement idéal pour croquer ce qui se passait face caméra. Et puis il faut pouvoir dessiner partout, assise par terre, accroupie ou debout, dehors par des températures proches de zéro - le tournage a eu lieu en mars 2019, et beaucoup de scènes se sont déroulées en extérieur et au petit matin, à la fraîche ! Mes doigts étaient à demi gelés… De ce fait, je dessine à la plume avec des cartouches d’encre indélébiles, au feutre ou au pinceau japonais. Ça permet de dessiner plus rapidement. L’aquarelle aussi est une technique qui prend peu de temps.

 


Une nouvelle expérience dans la continuité de mon travail


Vous avez déjà eu l’occasion de dessiner le monde de la rue, mais aussi les dessous de Paris à travers le projet RATP « Vaugirard, carnet de voyage ». En quoi ces expériences vous ont-elles servi sur le film de Claus Drexel ?


Je pense que connaître le monde de la rue m’a permis d’être tout de suite à l’aise. J’ai travaillé auprès de femmes et d’hommes sans domicile fixe, que ce soit pour le livre Viens chez moi j’habite dehors (Editions Albin Michel, 1994), qui m’a permis de découvrir les actions menées par les Compagnons de la nuit, que l’on appelle familièrement « La Moquette », un lieu de convivialité qui lutte contre l’exclusion où l’on peut assister à des conférences, un concert, un atelier d'écriture ou de dessin, ou plus récemment pour Vienna terre d’accueil (édité à la Boîte à Bulles en janvier 2020). Ce projet est né après la création d’un foyer d'accueil pour les sans-abris par ma tante, Cécily Corti, à Vienne. A la suite de la crise migratoire de ces dernières années, le foyer héberge désormais une population mélangée de SDF autrichiens et de migrants. J’ai alors pris le crayon pour raconter la réalité de ces personnes au gré des histoires qu’elles me livraient. Voilà pourquoi le sujet de Sous les étoiles de Paris me parlait tout particulièrement. J’aime la rencontre humaine et dessiner sur le terrain. Je savais déjà où était ma place et je voyais cette nouvelle expérience comme la continuité de mon travail.
 

Sous les étoiles de Paris Elsie Herberstein


Vous avez également travaillé sur des documentaires. Comment êtes-vous venue au cinéma ?


J’ai en effet eu l’occasion de présenter avec le réalisateur Yan Prœfrock deux documentaires filmés et dessinés sur la Namibie et le Guatemala dans le cadre d'une série de 10 films documentaires diffusés sur ARTE fin 2007. J’ai également participé au film d’Anne Georget Les recettes de Mina, Terezin 1944 pour la chaine Planète. L’histoire était celle d’un recueil de recettes écrit en camp de concentration à Terezin par Mina Pächter, une vieille dame juive Tchèque. Anne a surtout pensé au dessin car elle n’arrivait pas à filmer des témoins en train de préparer des recettes écrites en camp de concentration. Ça ne marchait pas dans les rushes. C’était trop réaliste, voire cru et indécent. C’est la raison pour laquelle elle a eu l’idée de filmer ma main sur le papier en live en train de dessiner et d’aquareller les ingrédients et tous les gestes de la recette. Le dessin « animé » devenait à la fois un liant entre les scènes et aussi entre le passé et le présent.

Le dessin permet de pallier le manque d’images d’archives, comme c’est de plus en plus le cas dans les documentaires. Et comme le dessin mène à plein d’expériences différentes, que ce soit pour des carnets de voyage, pour croquer les 150 ans de l’hôtel Beau-Rivage à Genève – qui a la particularité d’être encore un hôtel familial – ou de réaliser des portraits de confinés, le fait de travailler pour le cinéma s’est imposé naturellement.
 

 

Sous les étoiles de Paris Sortie le 28 octobre

Le film a reçu l’aide à la création de musique de film et l’Aide sélective à la distribution (aide au programme)