Paris : des infirmières spécialisées prennent soin des exclus

Deux fois par semaine, des infirmières du dispositif mobile du Samu social de Paris se rendent dans des lieux d’accueil de jour. Nous les avons rencontrées.

 Carreau du Temple (IIIe), lundi. L l’équipe d’infirmières du Samusocial 75 assure une permanence pour les femmes et familles accueillies dans cette halte gérée par Aurore.
Carreau du Temple (IIIe), lundi. L l’équipe d’infirmières du Samusocial 75 assure une permanence pour les femmes et familles accueillies dans cette halte gérée par Aurore. LP/Elodie Soulié

    « Bonjour, je m'appelle Océane et voici Charlotte, nous sommes infirmières, si vous voulez, venez nous voir », sourit la jeune femme en désignant le paravent qui délimite le « box » de consultation.

    De l'autre côté de la table, un peu réchauffée de sa nuit glaciale par le petit-déjeuner chaud, il y a Fatou. « Des infirmières? C'est bien de les savoir là, c'est vraiment une bonne chose d'avoir une aide complète, apprécie-t-elle. On est si bien accueilli! D'abord je vais me reposer un peu, mais je vais consulter. » Plus tard, tout à l'heure, un autre jour, peu importe, l'essentiel est que Fatou sait qu'elle pourra confier ses petits maux et ses grandes difficultés à Océane et Charlotte, deux des cinq infirmières de l'Equipe mobile d'évaluation et d'orientation sanitaire (Emeos) du Samu social de Paris.

    «De nombreux sans-abri craignent et refusent d'aller à l'hôpital»

    Deux fois par semaine, ce dispositif particulier assure une permanence au Carreau du Temple (IIIe), transformé en halte de jour, et géré par l'association Aurore. Initiée pendant le premier confinement, réactivée au reconfinement il y a un mois, la halte pour femmes est devenue « un accueil inconditionnel de toute personne qui se présente, notamment des familles, 7 jours sur 7 de 9 heures à 16 heures », précise Nicolas Hue, responsable du lieu, qui ouvre la grande salle à « en moyenne entre 110 et 130 personnes chaque jour, dont un quart de familles ».

    Les infirmières d'Eméos y interviennent différemment des équipes d'Aurore, selon le principe fondateur des maraudes du Samusocial : elles viennent au-devant des plus précaires, les plus éloignés du système de santé, et plus que jamais depuis le début de l'épidémie de Covid. La crise sanitaire avait déjà entraîné des annulations de rendez-vous médicaux, la peur a fait le reste. « De nombreux sans-abri craignent et refusent d'aller à l'hôpital parce qu'ils redoutent d'y être contaminés, les femmes notamment sont réfractaires à aller dans les hôpitaux », expliquent Océane et Charlotte. Un renoncement aux soins qui décuple leur précarité, et que l'équipe mobile essaie de compenser.

    Des problèmes de santé liés à l'épuisement

    Créée en 2019 et renforcée depuis cet été, Eméos compte désormais cinq infirmières et une responsable coordinatrice, qui tiennent trois permanences hebdomadaires au Carreau du Temple (le lundi et le mercredi de 9 à 13 heures) et à l'accueil de jour ESI Traversière, géré par Emmaüs Solidarité près de la gare de Lyon (XIIe). Chaque mardi également, elles participent à une maraude dans le métro parisien, avec des agents RATP, et plusieurs fois par semaine dans les rues de toute la capitale, sur signalement par le 115, le numéro d'urgence du Samu social de Paris, ou des associations partenaires.

    « Nous sommes là pour orienter les sans-abri vers les services ou les structures les plus adaptés, expliquent les deux jeunes femmes. Généralement le manque de soins dure depuis longtemps. Ici par exemple, les femmes qui viennent nous voir ont beaucoup de problèmes de dos, de pieds, de dents… Tous les problèmes de santé liés à l'épuisement. Nous pouvons aussi être amenées à évaluer les troubles psychologiques ou psychiques qu'elles peuvent avoir : dans la rue c'est extrêmement fréquent. Mais leur demande est surtout celle d'une mise à l'abri, plus qu'une demande de soins… »

    Alors les infirmières essaient doucement de provoquer la démarche. « On se présente à elles, on leur explique que nous sommes là pour elles toute la matinée, qu'elles viennent quand elles en sentent le besoin », insistent Océane et Charlotte. Lorsqu'une « patiente » consulte, l'évaluation sanitaire réalisée permet ensuite un suivi plus spécifique. Habilitées à pratiquer des tests PCR, elles admettent n'en faire que très rarement. Au Carreau du Temple, les femmes qui se décident à consulter cherchent éventuellement à soigner de « petits bobos », à l'échelle de leur grande précarité, mais ne veulent pas entendre parler du virus.