«Prendre soin» «aider les autres», «se rendre utile». Lorsqu’elle parle de son projet de devenir infirmière, Julie (1), une étudiante Marseillaise, convoque les valeurs de l’altruisme, évoque «une vocation», une nécessité intérieure qui vient de loin.

En première ligne depuis la crise sanitaire, le métier d’infirmier suscite toujours autant d’engouement de la part des bacheliers. Depuis la rentrée 2019, le concours d’entrée a été supprimé au profit d’une sélection sur dossier via Parcoursup. Et pour la deuxième année consécutive, la formation en soins infirmiers est la plus demandée sur le site d’orientation. Ainsi en 2020, 9,4 % des inscrits, environ 83 000 personnes, ont postulé à l’un ou plusieurs des 326 IFSI (Instituts de formation en soins infirmiers) répartis sur toute la France. Un raz-de-marée qui s’explique aussi par des raisons pragmatiques. Il s’agit d’un cursus qu’on peut suivre à côté de chez soi, qui dure trois ans, avec de surcroît l’assurance d’un travail à la clé.

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Auparavant, un tiers des élèves inscrits en première année de soins infirmiers passaient par une formation préparatoire. Ce qui avait un coût. Les déplacements et les inscriptions aux différents concours aussi. «Cela freinait beaucoup de postulants», explique Bleuenn Laot, présidente de la FNESI (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers).

Une formation à la portée de tous

Le recrutement prend désormais en compte les résultats scolaires des candidats c’est-à-dire les notes et les appréciations, la lettre de motivation et la maturité du projet professionnel.

«Suivre la spécialité SVT (sciences de la vie et de la terre) au lycée est recommandé sans être obligatoire. Si vous êtes intéressé par les métiers du soin, il semble naturel que vous ayez une appétence pour cette discipline», explique Valérie Deflandre, conseillère au Centre d’information et de documentation jeunesse (CIDJ).

Il faut être capable de comprendre les processus biologiques, notamment la vie de la cellule. «Car chaque maladie est due au dysfonctionnement de l’une d’elles», explique Marie, étudiante en deuxième année de soins infirmiers à Besançon. Même si elle est titulaire d’un bac S, Marie souligne que «la formation est à la portée de tous, elle touche surtout à l’humain».

La qualité la plus recherchée est l’esprit d’analyse

Les IFSI cherchent d’ailleurs à diversifier le profil des étudiants. Il n’est donc pas nécessaire d’opter au lycée pour le trio mathématiques, physique-chimie et sciences de la vie et de la Terre. «Avant tout, choisissez des disciplines qui vous plaisent et qui peuvent vous apporter de bonnes notes et des appréciations élogieuses», poursuit Valérie Deflandre. «La qualité la plus recherchée est l’esprit d’analyse. Un infirmier fait le lien entre l’histoire du patient, la symptomatologie, le tableau clinique…», souligne Romy Poty, directrice des formations initiales de L’IRFSS (Institut régional de formation sanitaire et sociale) de Bretagne. Une spécialité en sciences économiques et sociales ou des disciplines littéraires aiguisent également ces capacités d’analyse».

Autres portes d’entrée: le bac pro ASSP («accompagnement, soins et services à la personne») ou le bac technologique ST2S (sciences et technologies de la santé et du social). Ainsi, la promotion 2019 est constituée de 44 % de bacs généraux, 39 % de bacs technologiques et 17 % de bacs professionnels.

Un étudiant qui fait des maraudes nous intéresse 

Romy Poty, directrice des formations initiales de L’IRFSS (Institut régional de formation sanitaire et sociale) de Bretagne

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Comment se passe la sélection? Pacourssup établit un classement en fonction des notes des candidats et des «fiches avenir». Les dossiers sont ensuite évalués par les IFSI. Passer son brevet de secourisme, faire un stage de brancardier, œuvrer au sein d’une association… Le sens de l’engagement fait la différence lors de la sélection. «Un étudiant qui affirme qu’il fait des maraudes parce qu’il apprécie de porter assistance aux personnes défavorisées nous intéresse», reprend Romy Poty. Cela dénote de l’altruisme et faire une formation en santé, c’est se mettre au service des autres.»

Il faut se préparer à se confronter à la maladie

Un premier contact avec la vie professionnelle qui peut en outre amortir le choc des stages. Programmés dès le mois d’octobre dans la plupart des IFSI, ceux-ci constituent quasiment la moitié du cursus.Il faut se préparer à être confronté à la maladie, au corps et à l’intimité des patients. «Cela n’a pas représenté de difficulté pour moi car mon parcours de vie a été marqué par la maladie de proches, atteints de pathologies graves», raconte Julie.

Je fais un travail d’aide-soignante et d’infirmière, y compris en soins palliatifs 

Marie, étudiante

Et les étudiants ne sont pas épargnés, surtout en ce moment. Depuis le printemps, les étudiants sont missionnés sur le front du Covid-19 en renfort des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Marie pensait reprendre les cours mi-novembre, mais elle a appris un vendredi que son stage sera prolongé dès le lundi et qu’elle sera affectée dans un Ehpad. «L’expérience n’a rien de pédagogique, je remplace du personnel manquant. Je fais un travail d’aide-soignante et d’infirmière, y compris en soins palliatifs. Sauf que je n’ai pas encore été formée correctement. Des cours pratiques ont sauté l’année dernière, d’autres ont été retardés ce semestre».

Les étudiants doivent tenir le choc

Présidente de la FNESI, Bleuenn Laot n’en démord pas: «Aider, oui mais pas au prix d’une formation au rabais et en dépens des apprentissages. Quand nous serons soignants, nous tiendrons la vie de patients entre nos mains», alerte la présidente de la FNESI, Bleuenn Laot. Romy Poty, qui se veut rassurante, affirme que les IFSI organisent les rattrapages des cours qui n’ont pas pu avoir lieu. Les étudiants doivent tenir le choc d’une formation bouleversée. «J’ai envie de leur dire: certes, vous avez vécu une situation exceptionnelle mais vous avez appris des choses, l’hygiène n’a plus de secrets pour vous. Si vous avez rencontré sur le terrain des professionnels épuisés et moins à votre écoute, cela vous a obligés à puiser dans votre dynamisme, votre débrouillardise». Malgré la crise sanitaire et celle de l’hôpital, malgré la faible rémunération des infirmiers, leurs horaires décalés et harassants…Julie et Marie sont toujours animées par une sorte de feu sacré. «Quand on contribue à sauver une vie, on sait qu’on est exactement là où on doit être», assure Marie.

Les prénoms ont été changés