Publicité
Dans l’enfer de

Dans l'enfer de la recherche d'un premier emploi en temps de crise

TEMOIGNAGES//Des dizaines de milliers de jeunes diplômés sont plongés dans un monde du travail touché de plein fouet par la crise sanitaire. Entre renoncement, solitude et petites victoires, ils nous ont raconté leurs galères pour décrocher un contrat.

Pas évident de décrocher un emploi pendant la crise
Pas évident de décrocher un emploi pendant la crise (iStock)

Par Fabiola Dor

Publié le 10 déc. 2020 à 19:00

«Avec cette pandémie, 2020 est la pire période pour entrer dans la vie active, peste Emilie, 25 ans. Après cinq ans d'études, je ne m'attendais clairement pas à ça…» Diplômée en décembre 2019 d'un master en marketing international et développement entrepreneurial de la Skema Business School, la jeune femme ne cache pas son amertume. Comme elle, cette année, 750.000 jeunes arrivent sur le marché du travail, ébranlés par une crise à la fois sanitaire et économique, aux lourdes conséquences sur l'emploi. «Sur un an, le taux de chômage progresse davantage pour les jeunes [+2,6 points] que pour les autres classes d'âge», souligne l' Insee en novembre 2020.

Emilie savait que la situation serait compliquée, mais elle ne s'attendait pas à une entrée en matière aussi douloureuse. Deux mois après le terme de son stage de fin d'études chez Mac Douglas, une enseigne de maroquinerie, la jeune diplômée décroche en février 2020 le Graal : un CDI chez Hexagona. Elle rejoint la maison de maroquinerie française en tant qu'assistante commerciale et logistique. Mais après le premier déconfinement, retour à la case départ. Sa période d'essai n'est pas validée. «C'est la politique du 'Dernier arrivé, premier à partir.' Après ce coup-là, mentalement, c'est devenu très difficile de chercher un job», confie la jeune femme.

Même désarroi pour Thomas Cavallo, 23 ans. Lui pensait pourtant être passé entre les gouttes, car diplômé de la promo 2019. Mais son licenciement en mars dernier a entraîné de fait la fin de son expatriation en Slovénie, où il avait décroché un premier contrat. De retour à Paris en mai 2020, ce jeune responsable marketing diplômé d'une école de commerce cherche tous azimuts, depuis. «J'ai quand même un bon CV, je ne comprends pas pourquoi je ne reçois que des refus», désespère-t-il. Trouver un job en 2020 s'avère pour beaucoup de jeunes mission impossible. Et pour cause, entre juin et septembre 2020, l'emploi salarié a rebondi de 1,6 %, soit 401.100 créations d'emplois. Une hausse qui intervient après un recul de 2,7 % (-697.100 emplois) au premier trimestre. Malgré cette embellie, l'emploi salarié reste ainsi en dessous de son niveau d'avant crise, fin 2019, selon les chiffres de l'Insee publiés en décembre 2020.

Publicité

Licenciements, annulations de stages de fin d'études, gel des embauches : de nombreuses occasions professionnelles se sont évaporées à cause du contexte sanitaire. Ainsi, la moitié des jeunes ont revu leur projet professionnel, d'après les résultats de la 8e édition du baromètre annuel OpinionWay pour Prism'emploi (l'organisation professionnelle de l'intérim, regroupant 600 enseignes de travail temporaire). Pour rebondir, « ils ont fait preuve d'un pragmatisme évident, en considérant pour 31 % d'entre eux d'autres formes de contrats que le CDI », explique Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism'emploi. A la suite de la crise sanitaire, 22 % des jeunes se sont adaptés au marché en changeant de secteur d'activité, 16 % en changeant d'entreprise, et 15 % en changeant de métier.

« Ne plus faire la fine bouche »

Après presque six mois de recherches infructueuses, Pauline, 23 ans, diplômée en juillet 2020 du master en management et entrepreneuriat de l'école de commerce MBway, a elle préféré changer de secteur. L'an dernier, elle était assistante commerciale en alternance au sein d'une start-up spécialisée dans l'événementiel et implantée en Normandie. Après six mois de chômage partiel et l'annulation en septembre dernier de son CDD, elle a fini par décrocher un poste de responsable du développement dans une start-up spécialisée dans les technologies de l'information, à Paris. Le secteur ne correspond pas à ses critères de prédilection. Mais, après une trentaine de candidatures sans réponse, elle ne fait plus la fine bouche. « Ce n'était pas le job de mes rêves, mais j'y ai vu la possibilité de faire évoluer mes compétences », se résout Pauline.

Elle quitte donc la Normandie pour monter à la capitale. Avec le deuxième confinement, la prise de poste à distance se révèle compliquée. « J'étais toute seule en télétravail et je n'avais aucun encadrement sur les missions. J'avais besoin qu'on m'explique le métier pour progresser», indique la jeune diplômée. Après mûre réflexion, au bout de deux mois, Pauline préfère interrompre sa période d'essai.

Pour Jérémy Lamri, directeur de l'innovation et de la recherche chez Jobteaser, un site d'offres d'emploi spécialisé dans le recrutement des jeunes diplômés, ce n'est pas parce que c'est la crise qu'il faut tout accepter. « Surtout, il reste essentiel d'être bien formé en début de carrière», insiste-t-il.

Un sentiment de solitude

Pauline a retenu la leçon. Lors des prochains entretiens, elle se renseignera mieux sur l'organisation du poste. En attendant de retrouver un nouvel emploi, elle n'a pas d'autre choix que retourner chez ses parents en Normandie. Et, pour lutter contre la solitude, elle a lancé « Les rescapés de 2020 », un groupe Facebook pour échanger avec d'autres personnes vivant la même situation. «Car le plus dur est le manque de soutien. Grâce aux réseaux sociaux, j'ai vu que nous étions assez nombreux à galérer », se console-t-elle.

Sur TikTok, elle a rencontré Emilie, qui, elle, partage son périple sur le marché de l'emploi au travers de vidéos humoristiques de moins de soixante secondes. Cette légèreté arrive à la suite d'une longue phase d'acceptation. « Après mon licenciement, j'ai mis du temps à revoir mes amis. Je ne me sentais pas de voir ceux qui étaient en poste alors que moi, je n'arrivais pas à trouver un job», confie la jeune femme. Aujourd'hui, elle se lance de nouveaux défis personnels et tente sa chance en tant que créatrice de contenu sur cette application chinoise, dont l'audience a explosé pendant le confinement. Elle y partage son quotidien, réalise des vidéos « lifestyle » ou de développement personnel…

En parallèle, elle réfléchit à un plan B. Pourquoi ne pas reprendre ses études en alternance ? Elle sait que cela reste une des meilleures pistes pour trouver un emploi. Le gouvernement a mis en place une prime de 8.000 euros pour l'embauche d'un apprenti . Parmi les 6,5 milliards d'euros du plan de relance alloués à la jeunesse, le service civique, qui aujourd'hui concerne 140.000 jeunes, est aussi renforcé, avec 100.000 missions supplémentaires (20.000 en 2020 et 80.000 après janvier). En novembre, l'exécutif a étoffé son plan avec une « allocation sur mesure » pouvant aller jusqu'à 500 euros par mois pour les jeunes diplômés les plus en difficulté.

Changement de stratégie

L'autre option pour Emilie est de bifurquer vers une filière qui connaît moins la crise, comme la finance. « En période de crise, les postes de marketing sont souvent sacrifiés», constate-t-elle. «Mes amis en compta et en gestion ont l'air de moins galérer et les salaires y sont plus attrayants», compare-t-elle. Parmi les métiers qui tirent leur épingle du jeu depuis le début de la crise, on trouve en effet la comptabilité, l'audit et la finance, mais aussi les secteurs de la banque et de l'assurance, selon une récente étude de Walters People, un cabinet de recrutement, menée en novembre 2020 auprès de jeunes diplômés.

Publicité

Mais changer de secteur pour cause de crise peut faire naître des frustrations. Pour éviter de prendre un job par dépit, Charline Brejaud, 22 ans, diplômée d'un bachelor en tourisme, a finalement décidé de poursuivre ses études pour laisser passer la tempête plutôt que de faire un virage complet. Elle s'est finalement inscrite dans un master de management des affaires en hôtellerie. « Je ne regrette pas, parce que je développe de nouvelles compétences, mais c'est sûr que s'il n'y avait pas eu cette crise sanitaire, je n'aurais pas fait ce master», reconnaît la jeune femme.

« Hélas, tout le monde n'a pas les moyens de rester sur les bancs de l'école», fait remarquer Jérémy Lamri. A ceux qui doivent coûte que coûte accepter un job, même alimentaire, il leur conseille d'occuper ledit emploi avec rigueur : « Quelle que soit l'expérience, elle est un moyen de travailler son employabilité et de décrocher ses premières recommandations. »

Telle a été la stratégie de Matthieu Chantepie, 24 ans diplômé de l'INSA Lyon, une école d'ingénieurs. Un mois avant le premier confinement, il démarre son stage de fin d'études chez Wavestone, un cabinet de conseil en ingénierie, à distance. Malgré ses bons résultats, son intention d'embauche est annulée, faute de visibilité. En septembre, pour ne pas rester sur la touche, il décroche deux missions en intérim, de un mois chacune. La première dans l'entrepôt d'un magasin de pièces détachées, la seconde dans le cadre d'une mission de saisie de données dans une entreprise de recherche et développement de câbles électriques. « C'était alimentaire, mais ça m'a permis d'avoir un appoint financier», poursuit-il. Après six mois de stress, la situation s'éclaircit, et il est de retour chez Wavestone… en CDI. « Malgré la période d'instabilité que j'ai traversée, je suis conscient d'être un privilégié », conclut-il.

Fabiola Dor

Publicité