Céreq Bref, n° 398, Décembre 2020, 4 p.

Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications, l’âge de la maturité 

Publié le
10 Décembre 2020

Généralisés depuis 2004, les Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications (OPMQ) sont des outils d’expertise au service de la politique emploi-formation des branches professionnelles. Développant et diversifiant leurs travaux au fil du temps, ils se sont imposés comme de véritables appuis techniques et stratégiques. Face aux besoins croissants d’anticipation des emplois et des compétences, les partenaires sociaux mobilisent leurs productions dans l’ensemble des registres de la négociation de branche. Pour autant, l’évolution actuelle du paysage institutionnel suscite des tensions en matière d’autonomie et de positionnement des OPMQ.

Les branches professionnelles, qui regroupent les entreprises d’un même secteur et relevant d’un accord ou d’une convention collective, élaborent leur politique emploi-formation en s’appuyant sur trois instances. Les OPMQ sont l’instance dédiée à la production de connaissances. La Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNEFP), instance politique de la branche, définit ses orientations et priorités en la matière. L’Opérateur de compétences (OPCO) est l’instance dédiée au financement et à l’ingénierie de formation et de certification, via des services de proximité auprès des entreprises (cf. encadré 1). Dès les années quatre-vingt-dix, des observatoires sont mis en place à l’initiative soit d’une seule branche (ex : la plasturgie), soit d’un regroupement de branches d’un même secteur (ex : le commerce ou le textile). Leur institutionnalisation, par l’accord national interprofessionnel de 2003 et la loi sur la formation professionnelle de 2004, se construit sur une logique de branche (une branche / un observatoire), et 85 % des OPMQ sont monobranches en 2020. S’ils restent très hétérogènes, ils sont aujourd’hui fortement implantés dans le paysage de la branche professionnelle, et leurs nombreuses productions sont largement mobilisées par les partenaires sociaux pour éclairer et outiller leurs politiques. Cette implantation s’opère dans un environnement institutionnel en plein renouvellement, marqué par le regroupement des branches professionnelles initié dès 2014, ainsi que par la recomposition des 20 Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) en 11 OPCO suite à la réforme de la formation professionnelle de 2018. Dans le mouvement de rationalisation en cours, où les  approches transversales et interbranches sont encouragées par les pouvoirs publics, de quels atouts disposent les observatoires pour asseoir leur place dans l’accompagnement des branches ? Une étude menée par le Céreq en partenariat avec France compétences (cf. encadré méthodologique) permet pour la première fois de saisir comment les partenaires sociaux utilisent les différentes productions des observatoires pour alimenter, éclairer et construire leur politique emploi formation. Ce Céreq Bref se consacre ainsi à la question des usages des travaux des OPMQ, et à celle de l’évolution de leur positionnement au regard des transformations de leur contexte institutionnel.

Des observatoires à géométrie variable

Opérateurs techniques des branches, les OPMQ n’ont jamais été définis par une forme juridique ou organisationnelle précise, ni à l’origine en 2004 ni dans les lois successives sur la formation professionnelle. Ils sont définis par les missions que la branche leur assigne, et par le pilotage paritaire de la CPNEFP. La réforme de 2018 précise les contours de ces missions : observer, de manière quantitative et qualitative, l’emploi, les métiers, les activités et les compétences mobilisées ; anticiper leurs évolutions et les répercutions en matière de Gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) et de besoins en formation ; conduire des études puis élaborer des référentiels et une ingénierie dans le champ de la certification (Certificat de qualification professionnelle ou CQP en particulier) ; diffuser ces travaux.

L’absence d’une définition légale de leur statut, associée à la diversité des branches professionnelles dont ils dépendent, aboutit à une grande variété de formes et de caractéristiques des OPMQ (cf. encadré 3). Celles-ci résultent à la fois de dimensions héritées de leur création, de configurations et logiques d’action propres à leur branche [3] et des reconfigurations récentes liées à la constitution des OPCO. Une partie des OPMQ sont des structures autonomes, avec leurs ressources humaines propres, adoptant parfois un statut juridique d’association loi 1901, et tissant des liens contractuels avec leur OPCO de rattachement. D’autres sont intégrés à un OPCO et s’appuient sur ses moyens humains. Enfin, certains sont rattachés à une fédération professionnelle, mobilisant à la fois les moyens humains de celle-ci et ceux de l’OPCO. Cette diversité de positionnements, déjà pointée en 2010 par le Céreq [1] [2], se retrouve dans leurs caractéristiques : périmètre couvert, moyens humains ou financiers, travaux produits… Pour autant, ils partagent le fait d’avoir su au fil de temps étoffer leurs productions, en étendre les thématiques et les sujets et en renforcer la vocation opérationnelle.

 

La montée en gamme des OPMQ

L’ancienneté et l’expertise accumulée par les OPMQ ont permis une amplification et une diversification de leurs productions. Ils produisent en effet une gamme très large de travaux : cartographie et panorama de branches, bases de données, études, référentiels métiers, référentiels de certification et prospective. Les études qu’ils pilotent, majoritairement réalisées par des prestataires, constituent le cœur de leur activité et concernent au premier chef l’analyse des métiers. Menées par huit OPMQ sur dix, ces études « métiers » donnent à voir, au sein d’une ou plusieurs branches, l’importance du métier, son évolution à la fois quantitative et qualitative et ses transformations, les activités et compétences qu’il recouvre et les besoins en formation qu’il suscite au sein des entreprises. Viennent ensuite des études thématiques ou sectorielles. Les premières concernent le plus souvent l’analyse des besoins en formation, que trois quarts des OPMQ citent, puis les questions de renouvellement de la main-d’œuvre et enfin de mixité hommes/ femmes. Logiquement, la diversité des conditions et modes de fonctionnement des OPMQ se répercute sur l’ampleur de leur production d’études : certains produisent jusqu’à une dizaine d’études par an quand d’autres n’en réalisent qu’une seule.

Aujourd’hui, quasiment tous les observatoires réalisent des études quand un tiers n’avait pas atteint ce stade en 2010 [1]. Si les travaux de prospective se sont généralisés, ils se sont néanmoins éloignés d’approches macro à long terme, pour aller vers des prospectives ciblées à moyen/court terme proches de l’anticipation. Enfin, le sujet de la certification apparaît, en lien avec les enjeux d’intégration, de professionnalisation et de sécurisation des parcours professionnels des salariés de la branche. La vocation opérationnelle des travaux des observatoires se matérialise par la façon dont les partenaires sociaux s’en saisissent. 

Les instances de la branche professionnelle en matière de politique emploi-formation

Des travaux opérationnels et stratégiques pour les acteurs de branche

Dès l’origine, les OPMQ ont été pensés comme des outils d’aide à la décision en matière de politique emploi-formation. Au fil des ans, cette vocation opérationnelle et l’expertise qui la soutient, coconstruites entre instance politique (CPNEFP) et niveau technique (OPMQ), sont de plus en plus prégnantes. Les partenaires sociaux des CPNEFP se révèlent très actifs dans le pilotage des observatoires et mobilisent de manière croissante leurs travaux. Ainsi 55 % des OPMQ élaborent systématiquement des préconisations à l’issue de leurs travaux, quand ils n’étaient que 20 % en 2010. À cette date, la moitié des OPMQ définissait des plans d’actions, ils sont plus de 80 % aujourd’hui. Le niveau technique (OPMQ, prestataires) est le plus souvent cité comme celui où s’élaborent les préconisations tandis que les plans d’actions se définissent la plupart du temps au niveau politique (CPNEFP, organisation professionnelle). Comment s’illustre concrètement cet usage des productions des observatoires ?

De façon générale, la production statistique de l’observatoire dresse un panorama global des évolutions de l’emploi et des métiers qui, associé à la connaissance fine qu’ont les partenaires sociaux de leur branche, permet de faire émerger des questions à approfondir. Ces problématiques s’inscrivent à la croisée des remontées issues du terrain portées par les partenaires sociaux et de la vision nationale de l’observatoire. Les études sur l’évolution des métiers et des compétences sont autant de ressources que les partenaires sociaux exploitent directement pour engager la révision des classifications de branche. L’étude d’un OPMQ sur les diplômes détenus par les différentes catégories de personnels de sa branche a ainsi suscité la révision de son système de classification. De la même façon, les fiches métiers élaborées au sein d’un observatoire et leur comparaison avec celles de branches connexes alimentent les réflexions interbranches en matière de reconversion, d’attractivité voire d’opportunité de création de certifications interbranches. Dans le mouvement actuel de regroupement des branches professionnelles initié par les pouvoirs publics, certaines « petites » branches cartographient et analysent leurs métiers  pour orienter leur choix de rapprochement. 

Lorsque la CPNEFP fait face à une problématique, la réalisation d’une étude par l’OPMQ permet de mieux objectiver et comprendre la situation. Par exemple, pour une petite branche plutôt féminine, le portrait annuel produit par l’observatoire a fait apparaître une dégradation du ratio de rémunération par niveau de qualification au détriment des femmes, alors que les différences de rémunération selon le genre étaient marginales. Pour en comprendre l’origine, les partenaires sociaux ont alors chargé l’OPMQ de réaliser une observation fine métier par métier.

Les études métiers, centrées sur l’identification des besoins en compétences et des activités émergentes, permettent de construire les politiques de formation. Elles conduisent, d’une part, à l’élaboration d’une offre de formation en adéquation avec les besoins des entreprises, et d’autre part, à la création de certifications, au premier titre desquelles les CQP de branche. Dans ce cas, l’OPMQ collabore souvent étroitement avec les services de l’OPCO, voire avec des prestataires externes, pour construire l’ingénierie de certification. 

Logique de branche et transversalité, entre tension et nouvelles synergies

L’ensemble des activités des OPMQ et les usages qu’en font les partenaires sociaux s’inscrivent dorénavant dans un paysage remanié autour de 11 OPCO qui regroupent toutes les branches. Sous l’impulsion des pouvoirs publics, la réalisation des travaux des OPMQ est appelée à être davantage mutualisée au sein des OPCO. Cette tendance au renforcement de la transversalité va-t-elle peser sur l’autonomie des branches professionnelles ?

L’étude du Céreq fait le constat d’un souci partagé par les OPMQ de mutualisation des travaux. En effet, 77 % des responsables d’OPMQ déclarent souhaitable le travail en commun entre observatoires, ce que les responsables « Observation » des OPCO et une grande partie des membres des CPNEFP confirment en entretien. Le cadre le plus fréquemment cité par les responsables d’OPMQ pour cette mutualisation des travaux est celui de l’OPCO (64 %). Les principaux sujets qu’ils identifient sont : les passerelles inter et intra branche, la mobilité, les parcours… ; les compétences et l’identification des besoins en la matière ; les métiers (cartographie, évolution, besoins en recrutement, attractivité…) ; les CQP et la certification ; les grandes transitions numériques et écologiques. Ces sujets illustrent la volonté et la capacité des OPMQ à nourrir les enjeux de mobilité et d’évolution professionnelles, d’une part à l’échelle du regroupement des branches au sein des OPCO, et d’autre part au regard des impacts plus globaux des évolutions technologiques, de la digitalisation de l’économie et de la transition écologique.

L’étude montre également que des projets, voire des réalisations communes, sont déjà à l’œuvre dans certains OPCO, tel l’enrichissement et l’harmonisation de baromètres pour les ajuster à leur nouveau périmètre. Ce type de production transversale trouve un appui dans les Engagements de développement de l’emploi et des compétences (EDEC). Outil de contractualisation et de co-financement entre pouvoirs publics et branches professionnelles, les EDEC sont largement mobilisés par ces dernières pour soutenir leurs initiatives propres ou leurs projets mutualisés à l’échelle d’un OPCO, voire au niveau inter-OPCO. Si les EDEC ont vocation à accompagner des actions, ou l’élaboration de formations ou de services à destination des entreprises, ils comportent des phases d’études et de diagnostics qui impliquent les OPMQ. Les responsables « Observation » des OPCO s’en saisissent pour réunir les branches autour de problématiques communes, favoriser une interconnaissance mutuelle et co-financer l’élaboration d’outils pérennes (dispositifs d’enquête permanents, portails de diffusion de données…). Par leur effet « levier » en matière financière et par les thématiques qu’ils portent, les EDEC peuvent favoriser une dynamique commune entre OPMQ. La loi de 2018 invite effectivement les OPCO à privilégier le financement d’approches multi-branches concernant tout ou partie de leur champ professionnel.

Conclusion

Ainsi, toutes les conditions semblent réunies en matière de faisabilité, d’opportunité et d’intention au niveau technique pour mutualiser les travaux des OPMQ au sein des OPCO. Pour autant, l’autonomie de la branche dans la construction de sa politique emploi-formation, comme dans le pilotage de son OPMQ, entre en tension avec cette tendance à la rationalisation et à la transversalité des productions des OPMQ. En effet, le risque existe pour les branches de voir se distendre les liens entre leurs problématiques spécifiques, les travaux de l’observatoire et leurs traductions opérationnelles en matière de formation ou de certification, pilier du modèle des OPMQ monobranches. La convergence des intérêts multiples des branches d’un même OPCO reste une question ouverte. Par ailleurs, les budgets auxquels peuvent prétendre les OPMQ pour conduire des études sont issus des lignes de fonctionnement des OPCO (fixées contractuellement avec la Direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle), ou éventuellement de contributions conventionnelles de leur branche. La question de l’arbitrage réalisé par l’OPCO entre des travaux transversaux et des études plus spécifiquement liées à la problématique d’une seule branche se pose immédiatement. Quelle autonomie et quelle marge de manœuvre la CPNEFP va-telle pouvoir conserver pour orienter les travaux de son observatoire vers ses propres priorités ? Comment la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons va-t-elle réorienter les priorités des branches professionnelles et infléchir les perspectives d’études des OPMQ?

 

Présentation de l’enquête et méthodologie 
France compétences, instance nationale de régulation et de financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage a notamment pour mission « de consolider, d’animer et de rendre publics les travaux des OPMQ». C’est dans ce cadre que France compétences a sollicité un partenariat d’études avec le Céreq pour réaliser un état des lieux des différentes configurations des OPMQ, identifier leurs pratiques et caractériser leurs modes de fonctionnement. L’étude comporte deux volets.
  • Un premier volet quantitatif consiste en une enquête auprès de l’ensemble des OPMQ recensés. Entre février et avril 2020, 134 OPMQ ont été sollicités pour répondre à un questionnaire internet en auto-administré portant sur quatre thèmes :  les caractéristiques, le périmètre, le fonctionnement et les productions de l’observatoire ; ses relations avec les acteurs de branche et les acteurs de l’observation emploi-formation ; sa politique de communication et enfin ses perspectives touchant notamment à des travaux à mener en commun entre observatoires. 83 OPMQ ont renseigné le questionnaire établissant ainsi le taux de réponse à 62 % (cf. encadré 3 pour un extrait des résultats chiffrés).
  • Le second volet de l’étude, de nature qualitative, se concentre sur sept OPMQ sélectionnés parmi les répondants du premier volet. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des responsables des OPMQ, des responsables « Observation » de leur OPCO de rattachement ainsi que des membres des CPNEFP (collège employeurs et salariés). Ces entretiens, réalisés entre mars et juin 2020, visent à comprendre l’organisation des OPMQ, la nature de leurs relations avec les OPCO, la structuration de la fonction d’observation au sein de ces derniers et à mieux appréhender les usages des travaux de l’observatoire par les partenaires sociaux de la branche concernée. 

Pour en savoir plus

[1] État des lieux des observatoires prospectifs métiers qualifications, D’Agostino A., Delanoë A., Machado J., Céreq/CPNFP, 98 p., 2011.

[2] « Les observatoires prospectifs des métiers et des qualifications: des outils pour agir », D’Agostino A., Delanoë A., Céreq Bref n° 297-2, 2012.

[3] « L’appui des branches professionnelles aux entreprises : trois logiques d’action », D’Agostino A., Dif-Pradalier M., Quintero N., Céreq Bref n° 338, 2015.

[4] Les OPMQ : un outil des partenaires sociaux dans la construction de leur politique emploi-formation de branche - Etat des lieux et perspectives, Delanoë A., Quintero N., Valette-Wursthen A., Céreq Etudes, à paraître.

Citer cette publication

Delanoë Anne, Quintero Nathalie, Valette-Wursthen Aline, Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications, l’âge de la maturité , Céreq Bref, n° 398, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/observatoires-prospectifs-des-metiers-et-des-qualifications-lage-de-la-maturite