Le tropisme parisien sévit aussi dans les écoles d’avocats

Confrontées à un fort afflux de demandes d’inscription, les écoles d’avocats de la région parisienne ont refusé d’accueillir une centaine d’étudiants, qui ont été redirigés vers les autres écoles de la profession.

 

©L. Garnerie

Comme chaque fin d’année, c’est un peu la course pour les inscriptions. Les résultats des examens d’admission aux écoles d’avocats tombent début décembre et la scolarité démarre début janvier. Avec les vacances et les fêtes de fin d’année entre les deux. Et pour la première fois cette année, une réunion d’urgence a été organisée mi-décembre par le Conseil national des barreaux (CNB) pour se pencher sur une situation inédite : celle d’une centaine d’étudiants dont l’inscription en école d’avocats a été refusée.


Paris et Versailles pris d’assaut.
« Il y a eu 14,2 % d’étudiants admis en plus cette année par rapport à l’année dernière », explique le président de la commission formation du CNB, Manuel Ducasse. Or, si cette augmentation globale ne constitue pas en elle-même une difficulté dans la mesure où les onze écoles d’avocats ont la capacité de l’absorber, cette moyenne nationale cache de fortes disparités selon les ressorts des écoles. Pour schématiser, « au sud d’une ligne Lyon-Rennes, le nombre d’admis n’a pas enregistré de grosse variation », poursuit-il, « en revanche, la hausse est assez importante sur les ressorts des autres écoles, et notamment en région parisienne ». Ainsi, pour les six instituts d’études judiciaires (IEJ) de la cour d’appel de Paris, l’augmentation du nombre des admis est de 13 % par rapport à l’année précédente, ce qui représente environ 200 élèves supplémentaires. Et pour les IEJ du ressort de la cour d’appel de Versailles, elle est de 35 %, soit environ 150 étudiants en plus. Une situation « qui a soulevé des inquiétudes par rapport aux capacités d’accueil » de l’École de formation du barreau de Paris (EFB) et de la Haute École des avocats conseils de Versailles (HEDAC), lesquelles ont rejeté les inscriptions d’un certain nombre d’étudiants. « Cette forte concentration des élèves-avocats en région parisienne n’est pas nouvelle. Sur 4 000 admis cette année, 2 500 l’ont été dans des IEJ de région parisienne. Cela entraîne une certaine saturation des écoles, et en particulier de l’EFB ». En 2020, l’EFB a ainsi accueilli 1 800 étudiants, soit près de 45 % de l’ensemble des élèves-avocats. Depuis, « le conseil d’administration de l’HEDAC a validé une augmentation significative de la jauge à Versailles pour accueillir une centaine d’étudiants supplémentaires », poursuit Manuel Ducasse. Et pour tous ceux qui se retrouvent sans inscription, « environ une centaine d’étudiants » recensés par les écoles et dont le CNB centralise la liste, « c’est en voie de résolution » : « nous invitons les étudiants à se tourner vers les neuf autres écoles, dont six sont à moins de 2 heures de train de Paris. Nous leur demandons de formuler leur choix par ordre de préférence et nous allons accompagner leur inscription. Nous allons réussir à leur trouver un point d’accueil d’ici la fin de l’année. »

 

« Les inscriptions ont donné lieu à une véritable cacophonie de la part des étudiants »

 

Cacophonie. À la saturation des écoles parisiennes vient se greffer une autre difficulté : les pluri-inscriptions. À Bordeaux, « nous avons accepté tous les élèves qui ont demandé une inscription, qu’ils soient du ressort de l’école ou pas, et nous avons cette année un nombre d’inscriptions supérieur de 10 % à celui de l’an dernier alors qu’il y a eu moins d’admis à l’IEJ de Bordeaux cette année », explique la directrice de l’école d’avocats Alienor, Carole Fayet. « Nous sommes arrivés à 180 élèves et nous ne pourrons pas aller très au-delà. » Surtout, cette année, « les inscriptions ont donné lieu à de réelles difficultés », à « une véritable cacophonie de la part des étudiants ». L’école a ainsi enregistré « un nombre inhabituel d’élèves, y compris des redoublants, qui se sont inscrits auprès de plusieurs écoles pour faire leur marché ensuite, sans informer celles qu’ils n’ont pas retenues ». Cela entraîne des effets de doublons et « nous n’y voyons plus très clair ». Et « lorsqu’il y a des désistements et que nous appelons ceux qui sont sur notre liste d’attente, certains nous annoncent qu’ils se sont inscrits en M2 et se réinscriront plus tard… C’est la première fois que cela arrive, j’ai passé un temps incroyable au téléphone ! » Comment expliquer cette confusion ? « Le contexte de pandémie et le recours aux cours en distanciel, peut-être, en tout cas, cela n’a pas aidé. » Et cela a peut-être fait naître de nouvelles exigences. « Parmi les étudiants qui n’ont pas obtenu d’inscription, certains exigent une école à côté de chez eux alors qu’ils étaient dans des IEJ à plus de 200 kilomètres – comme des étudiants qui demandent Paris alors qu’ils ont fait leur IEJ à Rennes. »


Arbitrages habituels.
À Paris, où l’EFB a toujours été très sollicitée, l’afflux des demandes n’est jamais facile à anticiper. « Pour les IEJ du ressort de la cour d’appel de Paris, il y a eu 1 739 admis en 2019 et 1 966 en 2020, soit une hausse de 217 admis, alors qu’il y a eu moins de candidats en 2020 qu’en 2019 », pointe le directeur de l’école, Pierre Berlioz. Les étudiants ont-ils bénéficié cette année d’une plus grande mansuétude lors de l’examen, une forme de prime Covid ? « Non, à ma connaissance, il n’y a pas eu de directive particulière en ce sens », répond-il. « Peut-être qu’avec l’isolement, les étudiants ont consacré davantage de temps à la préparation de l’examen… c’est difficile de savoir. » Outre les étudiants admis cette année dans les IEJ de son ressort, l’école doit également prendre en compte « le stock des étudiants admis l’année précédente et qui ne s’étaient pas inscrits à l’école – ce qui représente entre 300 et 500 personnes chaque année –, les docteurs de l’année – soit une centaine de demandes par an – et des années précédentes, ainsi que les demandes d’étudiants d’IEJ hors de notre ressort ». Pour mieux anticiper le flux des demandes, l’école a mis en place un système de pré-inscription au moment de l’admissibilité. Or, « nous avons eu 2 700 préinscrits cette année, nous n’en avions jamais eu autant », explique Pierre Berlioz. « Sachant que le taux d’échec à l’admission est d’environ 10 %, que nous estimons notre seuil de capacité autour de 1 900 élèves, et que le nombre de préinscrits admis issus de notre ressort correspond à cette capacité, nous avons alors décidé de refuser l’inscription des admis et des doctorants hors de notre ressort et de tous ceux qui n’avaient pas fait de pré-inscription. Et dès la mi-novembre, nous avons adressé un courrier aux personnes hors ressort pour les en informer. » Une décision qui n’a rien d’exceptionnelle. « Nous nous sommes basés sur les mêmes critères que l’an passé, et nous avons envoyé aux élèves que nous n’avons pas pu accepter la même communication que celle que nous avions envoyée l’an passé. » Mais cette fois le contexte est exceptionnel. « L’an dernier, nous avons pu faire preuve d’un peu plus de souplesse en accueillant quelques personnes supplémentaires, mais l’afflux est tel cette année que nous avons dû appliquer ces critères de façon plus stricte. Et nous n’avons pas pu faire en sorte que l’HEDAC en accepte certains car elle est également confrontée à un fort afflux de demandes ».

 

« Une école professionnelle ne peut remplir son rôle au-delà d’une certaine taille et, à l’EFB, cette taille est clairement atteinte »

 

Tropisme parisien. La barre des 1 900 élèves a déjà été dépassée par le passé à l’EFB, notamment en 2017 avec 2086 élèves. « Cela a mis l’école en surrégime et l’année a été très compliquée en termes d’organisation des cours comme des examens », relève Pierre Berlioz. « Le nombre d’intervenants n’est pas extensible à l’infini et les cours en petits groupes ne sont pas faciles à organiser. Il devient alors difficile d’assurer le niveau de qualité d’une école professionnelle. Et nous avons d’ailleurs constaté un plus fort taux d’absentéisme cette année-là, certainement lié aux moins bonnes conditions d’enseignement. » Quid des cours en distanciel ? « La visio, ce n’est pas un mot magique qui règle tout, et c’est un mensonge de faire croire cela aux élèves », répond-il. « Dès lors que l’on veut consacrer du temps à chaque élève pour assurer un suivi personnalisé, ce n’est pas une question de locaux ni de budget mais de qualité des intervenants et de l’accompagnement, et la visio n’y change rien. Une école professionnelle ne peut remplir son rôle au-delà d’une certaine taille et, à l’EFB, cette taille est clairement atteinte. » Reste le phénomène d’attractivité de la région parisienne, de ses facs de droit, de son barreau… et de son école d’avocats. Selon son directeur, « l’image hégémonique de l’EFB qui voudrait prendre toute la place ne correspond pas à la réalité. Nous ne cherchons pas à grossir et il n’y a pas de concurrence entre les écoles. Nous avons un socle de programme commun et une offre de formation harmonisée. Il est idiot de penser que l’on est mieux formé ici ou là. S’il y avait une différence de qualité, cela se saurait. » Cette situation résulte surtout de « la pression » de la démographie de la profession : « le barreau de Paris est en croissance constante et, à l’échelle des écoles, ce déséquilibre est préoccupant et source de tension ». Mais elle pose également, selon lui, un certain nombre de questions plus fondamentales : « comment la profession veut-elle gérer son expansion ? Et que veut-elle faire de cette formation professionnelle ? La réduire pour faire passer le plus de monde possible vers la profession ou en faire un véritable sas d’apprentissage professionnel ? »

 

Miren Lartigue