Céreq Bref, n° 399, Décembre 2020, 4 p.

Une insertion plus difficile pour les jeunes «recalés» à l’entrée du supérieur

Publié le
21 Décembre 2020

Les principes et les modalités de la sélection des jeunes à l’entrée de l’enseignement supérieur animent le débat public et scientifique depuis plus d’une décennie. Mais connaît-on les conséquences de cette sélection ? L’enquête Génération du Céreq montre que les jeunes empêchés de poursuivre des études après le baccalauréat connaissent un début de carrière plus difficile que les autres bacheliers.

Selon les données de l’application Parcoursup, en 2018, environ 30 000 bacheliers n’ont reçu aucune proposition d’admission dans l’enseignement supérieur ou ont fini par quitter l’application sans avoir reçu de proposition. Ces « recalés » représentent 6 % des candidats, une part qui varie nettement selon le type de baccalauréat détenu (3 % des bacheliers généraux, 8 % des bacheliers technologiques et 14 % des bacheliers professionnels).

Les barrières formellement instituées à l’entrée de l’enseignement supérieur ne constituent cependant pas les seuls obstacles à la poursuite d’études après le bac. L’étude de la sélection formelle oublie notamment les jeunes qui se sont auto-sélectionnés, ceux dont les goûts et les ambitions ont été réfrénés par l’entourage, ou ceux dont la sélection est restée invisible parce qu’opérée selon des contraintes de proximité géographique, de capacité financière ou d’accès à l’information, entre autres [1]. Cette conjonction d’influences amène les jeunes issus des milieux populaires à exprimer des aspirations scolaires moins ambitieuses que celles des élèves plus favorisés. Ainsi, par exemple, en 2018, six bacheliers professionnels sur dix ont arrêté leurs études après leur bac (cf. Encadré 1) : outre le fait que le baccalauréat professionnel soit initialement dédié à l’entrée sur le marché du travail, ces sorties du système éducatif relèvent à la fois de la sélection informelle – les choix et les ambitions scolaires, les freins socioéconomiques à la poursuite d’études – et de la sélection formelle – les autorisations d’inscription dans l’enseignement supérieur.

Peu de travaux s’intéressent aux effets de la sélection formelle sur les premières années de vie active des « recalés » du supérieur. L’enquête Génération (sortants de 2013 interrogés en 2016) permet d’appréhender cette population. Ces bacheliers déclarent, parmi d’autres motifs, être entrés sur le marché du travail suite à un refus dans la formation de leur choix. Ils ont donc subi la sélection formelle ainsi que la sélection informelle puisqu’ils ont décidé d’abandonner leurs études plutôt que de s’inscrire dans une formation librement accessible. Cette catégorie de « recalés », qui intègre dans sa définition une dimension subjective, est comparée dans cette étude à deux autres groupes de bacheliers, sortis du système éducatif la même année et ayant pour principal point commun d’avoir intégré le marché du travail avec un baccalauréat comme plus haut diplôme. 

Des « recalés » défavorisés aux ambitions d’études modestes

Le premier de ces groupes rassemble les bacheliers ayant arrêté leurs études pour d’autres raisons que la mention d’un refus de l’institution. En 2013, ce groupe rassemble un peu plus de 100 000 jeunes, dont une majorité de garçons. Le plus souvent, ils mentionnent avoir arrêté leurs études car ils voulaient entrer dans la vie active. On dira d’eux par commodité qu’ils « n’ont pas souhaité poursuivre », même si leurs souhaits sont certainement moins réductibles que cela. Ils ont pu subir une sélection informelle à travers une moindre connaissance des formations existantes, la dissuasion de leur entourage familial ou scolaire, la complexité logistique et financière de poursuivre les études, etc. Les trois quarts d’entre eux sont titulaires d’un baccalauréat professionnel et ils sont plus d’une moitié à avoir un père ouvrier ou employé ou une mère peu diplômée (cf. Encadré 2). 

Le groupe des recalés comprend environ 20 000 jeunes en 2013. Leur principale différence avec le précédent est d’avoir subi la sélection formelle. Ils se ressemblent sinon largement : issus de milieux socioéconomiques encore plus modestes, les « recalés » sont majoritairement issus de l’enseignement professionnel (62 % de bacheliers professionnels contre 21 % de bacheliers technologiques et 16 % de bacheliers généraux). Au moment du baccalauréat, quasiment les trois quarts d’entre eux n’ont formulé qu’une seule candidature dans l’enseignement supérieur - dans plus de la moitié des cas, une section de technicien supérieur (STS). Ces bacheliers n’ont donc pas joué la carte des filières non-sélectives afin d’entrer dans l’enseignement supérieur « à tout prix ». À travers un vœu unique, ils ont vraisemblablement misé sur la filière correspondant à leur orientation passée en lycée professionnel et probablement à leur projet professionnel.

Le troisième et dernier groupe de bacheliers étudié est constitué de jeunes sortis de l’enseignement supérieur en 2013 sans avoir obtenu de diplôme. Scolairement, leur visage est différent : ils ont moins souvent redoublé avant la sixième et les bacheliers généraux sont les plus nombreux (44 %). Ils sont issus de milieux sociaux plus favorisés, puisque la part de bacheliers dont le père est employé ou ouvrier, ou la mère peu diplômée, passe au-dessous des 50 %. Hommes et femmes sont représentés à parts égales dans ce groupe qui rassemble environ 75 000 jeunes. 

L’épreuve de la sélection, une marque qui se retrouve sur le marché du travail

Trois ans après avoir été refusés dans l’enseignement supérieur, les « recalés » sont plus éloignés de l’emploi que les autres jeunes titulaires du baccalauréat comme plus haut diplôme. Leur taux de chômage, à 24 %, est le plus élevé des différents groupes étudiés (17 % parmi les bacheliers n’ayant pas souhaité poursuivre, 21 % parmi les bacheliers non-diplômés du supérieur). Un quart des « recalés » relève de la catégorie des Neet1 , c’est-à-dire qu’ils ne se trouvent ni en formation, ni en emploi.
Leurs trajectoires au cours des trois premières années de vie active (cf. Encadré 4) sont également plus difficiles que celles des autres groupes de bacheliers (cf. Encadré 3). Ainsi, seuls 37 % des « recalés » ont connu une trajectoire d’insertion marquée par un accès rapide et durable à l’emploi, quand c’est le cas de 52 % des sortants non diplômés du supérieur et 59 % des bacheliers n’ayant pas souhaité poursuivre. De même, 15 % des « recalés » sont restés aux marges de l’emploi pendant ces trois premières années de vie active (contre 11 % des non-diplômés du supérieur et 8 % des bacheliers n’ayant pas souhaité poursuivre). Une modélisation statistique2 permet de confirmer que les « recalés » ont davantage de risques que les jeunes des autres groupes de connaître une trajectoire caractérisée par un maintien aux marges de l’emploi plutôt qu’une trajectoire dominée par l’emploi, et ce à origine socioéconomique et passé scolaire identique. 

  • 1Not in Education, Employment, or Training
  • 2La méthodologie est détaillée dans « La marque de la sélection. Les débuts de carrière contrariés des ‘ recalés ’ du supérieur », F. Merlin, in Sélections, du système éducatif au marché du travail, JDL 2020, Céreq Echanges, à paraître, 2021.

La revanche des « recalés » : réelle mais très inégale

L’analyse des parcours montre aussi que presque un quart des « recalés » a suivi une trajectoire marquée par le retour en formation. À caractéristiques socioéconomiques et bac identique, la même modélisation des trajectoires montre que les « recalés » ont 2,5 fois plus de chances que les diplômés de l’enseignement supérieur court de suivre une trajectoire marquée par un retour aux études, quand ce facteur est seulement de 1,5 pour les bacheliers n’ayant pas souhaité poursuivre et de 1,2 pour les non-diplômés du supérieur.

Qui sont ces jeunes qui, parmi les recalés, persistent à vouloir se former durant leurs trois premières années de vie active et se saisissent d’une nouvelle chance ? Certains déterminants déjà connus de la reprise d’études, comme le genre, jouent ici aussi : les femmes ont quasiment deux fois plus de chances que les hommes de connaître une trajectoire de reprise d’études. Les jeunes issus des milieux les moins favorisés (mère peu diplômée, résidence en QPV) ont nettement moins tendance à reprendre des études que les autres. En revanche, les boursiers du secondaire y sont nettement plus enclins. La bourse semble ainsi produire un effet de levier qui stimulerait l’aspiration aux études supérieures. 

Surtout, les jeunes qui ont obtenu un bac technologique, et plus encore professionnel, ne reprennent que rarement des études, confirmant les travaux du Céreq [2]. Par rapport aux bacheliers généraux, les bacheliers technologiques ont deux fois moins de chances de revenir aux études et les bacheliers professionnels, cinq fois moins. Pour ces jeunes, la sélection se révèle rédhibitoire et marque un point final à leurs désirs de formation via l’institution scolaire. La propension à persévérer dans le projet d’études est donc tout à fait inégale entre les bacheliers les plus favorisés, d’une part, et les bacheliers les plus modestes scolairement et socialement, d’autre part. Tout se passe comme si ces derniers apparaissaient plus sensibles au message que leur a adressé l’institution en leur refusant l’accès à une formation supérieure. Ils sembleraient intérioriser, plus que les autres, l’idée que leur place n’est pas dans l’enseignement supérieur. 

Comment expliquer la double peine ?

Cette étude montre que les « recalés » de l’enseignement supérieur connaissent des parcours d’insertion professionnelle particulièrement difficiles au regard des autres bacheliers ayant intégré le marché du travail. Plusieurs pistes interprétatives peuvent être avancées pour essayer d’expliquer cette pénalité des « recalés ». 
Pour la première, avoir été refusé à l’entrée d’une formation serait révélateur d’autres fragilités individuelles agissant, elles aussi, négativement sur le marché du travail. D’une part, la sanction scolaire traduit pour partie d’inégales aptitudes scolaires – non observées dans l’enquête – entre « recalés » et autres sortants avec un baccalauréat, qui sont elles-mêmes susceptibles d’influencer les pratiques de recherche d’emploi et/ ou les jugements des aptitudes des jeunes par les recruteurs. Par ailleurs, être recalé pourrait être la conséquence d’un déficit de confiance en soi, de persévérance ou de motivation, mais aussi de socialisation à l’enseignement supérieur ou de maîtrise des rouages institutionnels. À ce titre, les politiques publiques de l’orientation pourraient viser plus explicitement la fluidité des transitions post-bac, notamment pour les publics de l’enseignement professionnel.
La seconde piste d’interprétation touche aux aspirations des bacheliers. Les jeunes entrés sur le marché du travail à rebours de leur intention première y sont probablement moins préparés que ceux qui avaient prévu et choisi d’entrer dans la vie active. L’impréparation pourrait faire écho au projet éducatif contrarié par l’institution scolaire, associé à l’absence d’un projet professionnel immédiat suffisament étayé. Ces derniers sont par ailleurs intimement liés au capital social et culturel nécessaire pour les construire. Un des enjeux pourrait être à ce sujet de viser une meilleure équité d’information entre les futurs bacheliers afin de leur permettre de construire leur propre « cartographie » des horizons professionnels possibles. 
Dans un deuxième temps, cette analyse montre que les « recalés » n’abandonnent pas complètement leur envie de poursuivre des études, dans l’enseignement supérieur ou ailleurs, mais que cette persévérance est très inégalement répartie parmi les bacheliers. Dans le cas des moins favorisés, le retour aux études est très improbable. Ici, une troisième piste d’interprétation postule que les réactions à la sanction de l’institution peuvent être elles aussi socialement différentes et que les jeunes issus d’un milieu social peu aisé sont plus susceptibles que les autres de se conformer à l’appréciation qui leur est faite. Parfois, au point de l’accentuer eux-mêmes : c’est la prophétie auto-réalisatrice ou « effet Pygmalion » [3]. Dans cette perspective, les « recalés » du supérieur les plus modestes auraient davantage intégré l’idée qu’ils n’étaient « pas faits » pour les études.

 

Les trajectoires-types d’entrée dans la vie active
Les enquêtes Génération interrogent les sortants de formation initiale une année donnée, quel que soit leur niveau ou leur domaine de formation, durant leurs premières années de vie active. Le calendrier mensuel d’activité collecté permet de connaître, mois par mois, la situation des jeunes entre emploi à durée indéterminée (EDI), emploi à durée déterminée (EDD), situations de reprise d’études ou formation et autres situations d’inactivité ou de chômage.
À partir de ces données de l’enquête Génération 2013, le Céreq a réalisé un travail de classification des parcours d’insertion conduisant à identifier des « trajectoires-types ». Une classification ascendante hiérarchique réalisée sur les résultats d’une analyse des correspondances multiples permet de synthétiser le cheminement des jeunes en trois ans et d’identifier un nombre réduit de trajectoires typiques. Cette typologie révèle les disparités de parcours entre les débutants sur le marché du travail.
Pour en savoir plus sur les enquêtes Génération : www.cereq.fr

 

Citer cette publication

Merlin Fanette, Une insertion plus difficile pour les jeunes «recalés» à l’entrée du supérieur, Céreq Bref, n° 399, 2020, 4 p. https://www.cereq.fr/une-insertion-plus-difficile-pour-les-jeunes-recales-lentree-du-superieur