Editorial du « Monde ». C’est l’une des nombreuses fausses promesses de Boris Johnson. Interpellé il y a un an par un député écossais dans la fièvre d’un débat sur le Brexit à la Chambre des communes, le premier ministre britannique garantissait que, non, « Erasmus n’était pas menacé ». La réalité s’impose aujourd’hui aux étudiants du Royaume-Uni avec « l’accord de commerce et de coopération » agréé le 24 décembre par Londres et Bruxelles : Erasmus, pour eux, c’est fini. Ils n’en bénéficieront plus pour aller étudier à l’étranger, pas plus que les universités britanniques n’en bénéficieront pour accueillir les étudiants de l’Union européenne.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement de Boris Johnson, élu sur l’engagement de « mener à bien le Brexit », ait choisi de renoncer à ce programme, alors qu’il avait la possibilité d’adhérer à Erasmus +, ainsi que le font six pays non membres de l’UE, comme la Norvège ou la Turquie. Véritable machine à intégration européenne, Erasmus, créé en 1987 pour les étudiants et étendu aux apprentis en 1995, est le programme le plus populaire de l’UE, mais aussi l’une de ses réalisations les plus concrètes et les plus réussies. Son nom d’origine, acronyme d’European Action Scheme for the Mobility of University Students, est d’ailleurs anglais.
« Vandalisme culturel »
Même s’il ne touche qu’une petite minorité – pas loin de dix millions d’étudiants en ont bénéficié depuis sa création, soit 2 % de la population européenne –, le programme Erasmus a un effet multiplicateur : en allant passer un ou deux semestres dans une université étrangère, grâce à un financement de l’UE, ou en allant faire un stage dans l’un de la trentaine de pays participants, les jeunes Européens acquièrent des compétences linguistiques, une ouverture culturelle et des expériences de vie qui sont répercutées ensuite dans leur devenir professionnel.
Sans compter la dimension démographique, imprévue mais bienvenue, de ces échanges : on dénombre environ un million de « bébés Erasmus ». Erasmus produit, littéralement, de l’identité européenne. C’est précisément ce que rejettent les brexiters.
Inévitablement, l’abandon d’Erasmus est très controversé au Royaume-Uni, en particulier dans les universités, malgré la promesse de le remplacer par un programme national, le programme Turing, qui, assure le gouvernement, reviendra moins cher. La République d’Irlande a aussitôt proposé de prendre sous son aile les candidats d’Irlande du Nord à Erasmus, tandis que la première ministre d’Ecosse, Nicola Sturgeon, a crié au « vandalisme culturel » et promis de chercher une solution alternative. Mais le contrecoup de la décision britannique est également négatif pour les étudiants de l’UE, traditionnellement attirés par les universités britanniques.
En réalité, ce contrecoup s’est déjà fait sentir, en raison de l’incertitude créée par le vote pour le Brexit au référendum de 2016 : pour la première fois, en 2017-2018, le Royaume-Uni n’a plus été la destination principale des étudiants français d’Erasmus. Cette désaffection n’est bonne pour personne, même si elle va renforcer les universités européennes, de plus en plus nombreuses à proposer des programmes en anglais.
Dynamiques et ouvertes sur le monde, ne serait-ce que par nécessité, les universités britanniques vont chercher des solutions de substitution, conclure des accords d’échanges bilatéraux. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? C’est l’un des nombreux mystères du Brexit.
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