Témoignages

Profs : «On fait tout ce qu’on peut, mais les étudiants décrochent»

Confrontés aux difficiles conditions d’enseignement à distance dans les universités, les professeurs ressentent et partagent le malaise de leurs élèves.
par Eva Moysan
publié le 14 janvier 2021 à 20h31

Derrière leurs ordinateurs, les professeurs d'université n'en peuvent plus. La plupart n'ont pas fait un seul cours en présentiel depuis octobre. Par écrans interposés, ils sentent le malaise des étudiants, mais peinent à y répondre. «On passe pourtant beaucoup de temps à les rassurer. On fait tout ce qu'on peut, mais les étudiants décrochent», se désole Quentin Magogeat, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université Lyon-II.

Manque de moyens

Isolement, perte de sens, fatigue numérique, épuisement psychologique : les professeurs comprennent les maux estudiantins car ce sont aussi les leurs. «Je suis lessivé, je passe parfois sept à huit heures en visio», souffle Quentin Magogeat. «J'ai passé un premier semestre épouvantable», renchérit Olga Mamoudy, professeure de droit public à l'université de Valenciennes. «Il y aura des conséquences à long terme de cette souffrance», avertit Anne Roger, cosecrétaire générale du syndicat Snesup-FSU et maîtresse de conférence en Staps. Elle indique que les enseignants contactent de plus en plus les représentants syndicaux à la recherche d'un soutien.

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Les profs en sont convaincus : la généralisation des cours entièrement en ligne détériore la qualité des enseignements. «Même le meilleur des cours à distance n'est pas satisfaisant», assène Anne Roger. Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Strasbourg, Maurice Carrez opine : «Si c'est un travail en petit groupe, on peut avoir une qualité minimale. Mais actuellement, on a des groupes énormes, jusqu'à 600 étudiants !» Les enseignants déplorent l'absence de relation directe avec les élèves, de réactions spontanées, de «connivence», selon les mots d'Annick Thimon, professeure de techniques d'expression à l'université de Lorraine. Elle-même se dit «totalement rétive» aux outils d'enseignement en ligne, comme Moodle, parce qu'elle n'a jamais été formée à leur utilisation, même si elle reconnaît n'en avoir «jamais eu envie non plus».

Après le chamboulement du premier confinement, les universités ont pris des mesures différentes, chacune en fonction de ses moyens. Quelques rares enseignants ont reçu des ordinateurs ou des webcams, d'autres ont suivi des formations sur le numérique mais beaucoup n'ont bénéficié de rien de tout cela. Ce qui énerve Olga Mamoudy : «Je n'ai aucun matériel de plus que l'année dernière ! On doit utiliser le service de visio BBB qui marche très très mal. On l'a fait remonter vingt fois à l'administration, on a demandé une licence Zoom, qui fonctionne mieux, mais sans recevoir de réponse.»

Dégradation des conditions

Les professeurs constatent une baisse des acquis. «Je viens de terminer de corriger les partiels du premier semestre et je peux dire qu'il y a un énorme problème de niveau et de compréhension du cours», détaille la professeure de droit public. Elle insiste, ce n'est pas la faute des étudiants, «ce sont des éléments structurels». Elle cite les décisions «incompréhensibles d'un point de vue sanitaire» prises par le ministère, comme le refus de proposer une dose de présentiel à toutes les classes. Ou celles «inapplicables», comme la possibilité de recevoir des groupes de dix étudiants maximum, ouverte aux établissements depuis le 4 janvier. «Comment choisir ces dix étudiants ? Et si je reçois des élèves en présentiel, qu'est-ce que je fais des autres ?», s'insurge Vincent Martin. Le maître de conférences et membre du bureau national du syndicat CGT FERC-Sup s'oppose à faire un tri entre ses étudiants et réclame de pouvoir tous les revoir, par petits groupes. Mais pour cela, il faut plus de moyens, notamment humains, «et pas des vacataires précaires mais bien du personnel statutaire».

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Pour les enseignants-chercheurs, la crise actuelle vient révéler de manière criante les difficultés auxquelles ils font face depuis plusieurs années. Maurice Carrez, 65 ans, a observé une «dégradation impressionnante» de la situation à l'université publique depuis qu'il a commencé à y travailler, dans les années 90. Alors qu'il est passionné par son travail, il soupire : «Je vais partir à la retraite presque avec soulagement.»

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