Focus sur Mi-Clos Studio

Focus sur Mi-Clos Studio

14 janvier 2021
Jeu vidéo
Tags :
Out There ; Oceans of Time
"Out There ; Oceans of Time" Mi-Clos Studio - Goblinz Studio - Modern Wolf - Fractale

Né en 2013, Mi-Clos Studio s’est fait remarquer grâce à des jeux tels que Out There et Sigma Theory, mêlant narration et stratégies. Rencontre avec Michael Peiffert, le fondateur et président de ce studio indépendant.


Etait-ce une évidence pour vous de travailler dans l’industrie vidéoludique ?

Michael Peiffert : J’ai voulu faire du jeu vidéo très jeune, mais à l’époque il y avait peu d’écoles spécialisées et je m’imaginais que les jeux vidéo n’étaient faits qu’au Japon. J’ai finalement suivi une formation artistique et je me suis dirigé vers le web. Je suis devenu directeur artistique et j’ai créé des sites internet pour des grandes marques tout en puisant mon inspiration pour mon travail dans le jeu vidéo. J’utilisais d’ailleurs le logiciel Flash aussi bien pour faire des animations sur les sites internet que pour créer des petits jeux. Au bout de dix ans, j’ai décidé d’arrêter le web, de quitter Paris et de m’installer à Lyon avec ma femme et ma première fille qui venait de naître. C’est là qu’est née l’envie de créer mon studio de jeu vidéo. Je me suis donné deux ans pour apprendre tout le processus de création d’un jeu, de la conception à la mise sur le marché en passant par le développement artistique et technique. Space Disorder, ma première création éditée par Bulkypix, était un jeu de plateforme avec des niveaux générés aléatoirement sur iPhone. Cette aventure m’a passionné : elle était difficile mais tellement stimulante créativement… Le jeu a été un échec commercial, ce qui a été assez dur vu l’énergie dépensée pendant ces deux ans de travail. Mais j’aimais tellement ce nouveau métier que je me suis laissé un an pour refaire un jeu. Et si je n’y arrivais pas, je retournais en agence de communication.

Ce deuxième jeu, Out There, a été réalisé en collaboration avec FibreTigre, un spécialiste de la fiction interactive textuelle. Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec lui ?

Je voulais que ce deuxième jeu soit plus personnel et moins commercial que le premier. Je me disais : « Quitte à faire un dernier jeu, autant que je m’éclate ! ». Mais étant davantage porté sur le visuel, j’avais besoin d’une personne pouvant développer l’histoire de manière plus romancée. FibreTigre avait cette compétence-là, en plus de ses talents en game design. Il a imaginé une mécanique de jeu intéressante et originale. Je le suivais sur Twitter et j’ai pu le rencontrer lors d’une conférence qu’il donnait à Lyon. Je lui ai proposé de m’aider pour ce projet, et il a accepté.

Quelle ligne directrice lui avez-vous donnée ?

Je voulais faire un jeu d’exploration spatiale dans une ambiance plus solitaire et calme que les autres titres de ce genre.

J’ai envoyé un court synopsis à FibreTigre lui précisant seulement que le joueur devait être seul dans un vaisseau perdu au milieu de l’espace. J’ai accompagné ce texte d’un portrait d’astronaute que j’avais peint et qui a servi ensuite de visuel pour le jeu. Ces deux éléments ont inspiré à FibreTigre un scénario très mystérieux avec des êtres puissants et en même temps une sorte de mythologie très sombre, ce qui m’a emballé. J’ai réalisé ensuite, avant même le code du jeu, une courte vidéo d’ambiance rassemblant quelques images et dessins que j’ai animés sur une musique lancinante. Cette bande annonce a été envoyée à des sites consacrés au jeu vidéo indépendant et la mayonnaise a pris. Out There a eu une importante visibilité grâce à ça alors que ce n’était pas calculé : cette vidéo n’avait été faite, au départ, que pour montrer en interne la direction artistique du jeu. Mais elle a plu à la presse et au public, ce qui a fait naître une motivation supplémentaire.

Out of There : Oceans of Time Mi-Clos Studio - Goblinz Studio - Modern Wolf - Fractale - DR

 

Quelle était votre inspiration pour Out There ?

FibreTigre a une importante culture littéraire de science-fiction et d’héroïc fantasy tandis que je puise, de mon côté, mon inspiration dans le cinéma et la bande dessinée.

Visuellement, je voulais que le jeu ressemble aux comic books des années 70, ceux qui montraient une science-fiction un peu décalée et kitsch.

Lorsque je travaillais en agence de communication et même avant, je consignais toutes mes idées dans un carnet de croquis. Après mon premier jeu, je me suis dit qu’il fallait exploiter ce carnet dans lequel j’avais déjà développé un univers visuel.

Un univers visuel que vous retrouvez dans votre prochain jeu Out There : Oceans of Time (attendu en 2021) qui fait suite à Sigma Theory

Pour Sigma Theory, j’avais décidé d’être plus ambitieux et de travailler avec une plus grande équipe (une quinzaine de personnes). Dans ce jeu géopolitique, je voulais mettre le joueur dans la peau d’une personne qui a du pouvoir mais qui doit rendre des comptes. C’était mon premier projet avec une aussi grande équipe et j’ai beaucoup appris en termes de gestion et de production. Depuis, je me considère davantage comme un réalisateur : j’ai le projet en tête et j’ai besoin de beaucoup de personnes et de compétences différentes pour qu’il prenne forme. Une vingtaine de personnes travaillent ainsi pour Out There : Oceans of Time. Mon objectif, avec ce jeu en 3D, était d’emmener le studio vers une autre dimension, tout en restant indépendant pour garder la liberté créative qui va avec ce statut. On s’appuie sur le succès du gameplay du premier Out There et tout l’univers développé dans Out There Chronicles, des fictions interactives sur mobiles imaginées avec FibreTigre entre les deux jeux. Ces dernières ont permis de développer l’univers d’Out There, de créer des personnages, des lieux…

Vous êtes-vous servis également de ce que vous aviez imaginé pour Out There – Codex, un ouvrage publié en mars 2019 aux Editions Delcourt ?

Ce livre est une encyclopédie de l’univers d’Out There, un artbook dans lequel toute la chronologie, les différentes factions et les dates importantes de l’histoire du jeu sont expliquées. Il est illustré par Benjamin Carré, un illustrateur et concept artist qui a notamment travaillé sur des gros jeux tels que Halo [développé par Bungie, Ensemble Studios, Robot Entertainment, 343 Industries, Creative Assembly et édité par Xbox Game Studios, NDLR] et Mass Effect [développé par BioWare, Demiurge Studios, EA Mobile, Edge of Reality, IronMonkey Studios, Straight Right et édité par Electronic Arts, Nokia, Xbox Game Studios, EA Mobile, NDLR]. Je dessinais sur papier les vaisseaux au pinceau et Benjamin leur donnait vie visuellement. Tout ce qu’il a développé en illustration a été mis en 3D pour ce Out There : Oceans of Time.

Ouf There : Oceans of Time Mi-Clos Studio - Goblinz Studio - Modern Wolf - Fractale - DR

 

Quelle est la ligne directrice éditoriale de Mi-Clos Studio ?

Nous essayons de faire des jeux qui ne soient pas basés sur le combat. Contrairement à d’autres titres se déroulant dans l’espace, Out There n’en compte par exemple aucun : il n’y a pas de vaisseau spatial lançant des lasers ou d’armes. Il ne faut pas se battre contre des ennemis mais contre un environnement qui est hostile à l’homme et veut sa mort. C’est la même chose dans les Out There Chronicles qui se situent beaucoup plus dans le côté « aventures » et qui n’ont pas – ou très peu – de violence.

Pourquoi ?

Car nous avons envie de dire qu’il est possible de faire des jeux intéressants sans combats. Je suis fan de Tomb Raider et j’ai beaucoup joué au premier jeu de cette franchise. Il y avait très peu de combats dans celui-là, c’était davantage de l’exploration et de la découverte et il fallait survivre dans un environnement. Cet aspect-là était moins présent dans les suites. Ma fille adore également ce personnage de Lara Croft parce qu’elle grimpe, saute et trouve des passages secrets mais elle déteste quand il faut tuer des dizaines de personnes avec des armes différentes. Je trouve dommage ce recours systématique à la violence dans les jeux vidéo. C’est une facilité alors qu’il y a d’autres choses à explorer. J’ai pris conscience de ça grâce à Papers Please (Lucas Pope, 3909 LLC) qui prouve qu’un jeu peut être amusant et parler de tout. Il met le joueur dans la peau d’une personne qui vérifie les papiers à la frontière, ce qui peut sembler ennuyeux sauf que le jeu est fait avec beaucoup d’intelligence et raconte des choses qui peuvent toucher. Il est vraiment possible de faire ce que l’on veut avec les jeux vidéo, mais trouver un gameplay intéressant, sans combats, qui dure sur la longueur n’est pas facile. C’est pour ça que nous avons misé sur des jeux de stratégie ou de gestion de ressources qui mettent le joueur constamment face à des choix critiques.

Un studio très feminin

Mi-Clos Studio compte aujourd’hui une douzaine d’employés dont 70% de femmes. « Ce n’était pas calculé, c’est venu au fil du temps. J’ai recruté au fur et à mesure par rapport aux profils que j’attendais et non pas selon le genre. On entend dire régulièrement qu’il est difficile de recruter des femmes dans l’industrie vidéoludique. Mi-Clos Studio est la preuve que ce n’est pas si compliqué que ça car il y a beaucoup de femmes dans tous les domaines ».

 

Mi-Clos Studio DR