Comment composer de la musique pour une expérience culturelle immersive ?

Comment composer de la musique pour une expérience culturelle immersive ?

19 janvier 2021
Création numérique
Japon, un autre regard
"Japon, un autre regard" GEDEON Programmes

Accessible entre juin et septembre, la Jam Capsule 2020 de La Villette à Paris proposait au public de découvrir plusieurs expositions en immersion, grâce à une surface de vidéo-projection de plus de 2 500m². Mais comment accompagner en musique une telle expérience immersive ? Eléments de réponse avec Audrey Ismaël qui a composé la bande originale de l’exposition documentaire Japon, un autre regard de Pierre Goismier qui invitait le spectateur à la découverte du Japon et de certains savoir-faire.


La spatialisation de l’espace

« Depuis quelques années, Gedeon Programmes a envie de développer son activité d’expositions immersives. Lorsque le projet de mapping vidéo Jam Capsule a été mis en place dans La Grande Halle de La Villette, Gedeon Programmes a proposé une exposition immersive sur le Japon construite à partir d’images réalisées pour un documentaire de 6 fois 52 minutes réalisé par Xavier Lefebvre. Ce spectacle immersif de 45 minutes a ainsi été mis en scène par Pierre Goismier à partir de ce documentaire, et Pierre m’a contactée pour en composer la musique originale. Cette Jam Capsule disposait de 2 500 m² d’espace de projection et de 60 enceintes, il a donc fallu optimiser la spatialisation de l’espace pour la musique. Composer pour une telle mise en scène et une telle mise en espace sonore a été incroyable. J’ai travaillé avec Clément Cornueau, un arrangeur qui a également mixé la musique qui a été composée en stéréo avant d’être adaptée au lieu. Composer directement dans cet espace de La Villette aurait été incroyable mais je n’ai pas eu cette occasion. J’ai travaillé sur mon ordinateur en me projetant dans cette Jam Capsule : certains éléments ont ainsi été composés en pensant qu’ils pouvaient être spatialisés, notamment les thèmes principaux joués au piano ou au violoncelle. Les parties au piano ont ainsi été imaginées pour être diffusées depuis le haut de la salle tandis que celles au violoncelle étaient pour la partie nord. Des éléments ont donc été pensés pour exister à des endroits différents des autres. »
 

 

L’émotion au cœur de la musique

« Je ne suis pas partie sur l’aspect « culture du Japon » pour composer cette musique. Mon objectif n’était pas de faire une musique japonisante car je trouvais plus intéressant d’avoir quelque chose de plus empirique et sensoriel. J’ai regardé les images de l’expérience et j’ai composé selon ce qu’elles m’inspiraient. J’ai composé de manière instinctive à travers le filtre de mes émotions qui sont singulières et subjectives. Le Japon m’évoque la tradition et la modernité. C’est un décor, des paysages où tout semble travaillé finement alors que c’est juste la nature. Il y a vraiment un mélange entre un côté brut et une certaine précision.

Pour la musique, j’ai choisi des instruments un peu classiques comme le violoncelle et le piano pour certaines mélodies qui sont accompagnées d’un autre côté par des parties plus électro. Il y a également beaucoup de voix et de chœurs derrière. J’avais vraiment envie de mêler l’organique et la modernité pour faire ressortir ce que la culture japonaise évoque chez moi.

Je me dis que si le réalisateur a fait appel à moi c’est aussi pour avoir quelque chose de très ressenti en termes d’émotion et pas seulement un habillage musical des images de l’expérience. Chaque portrait d’artisans m’a fait penser à une mélodie et nous avons essayé de faire vivre ces histoires dans un écrin incroyable. »
 

 

Maintenir l’immersion

« L’une des contraintes a été la longueur : l’expérience dure quand même 45 minutes. Nous ne voulions avoir qu’un seul morceau diffusé tout au long de cette expérience – pour la sortie en digital de la BO, nous avons découpé cette musique en titres pour attirer davantage le public qui peut être effrayé par un morceau de 45 minutes. Il n’y a jamais de silences dans cette parenthèse musicale. Des éléments font la jonction entre les différents portraits, je voyais par exemple comme point commun entre deux personnes un endroit et je gardais l’un des instruments en guise de lien entre les deux séquences. Mais le vrai challenge a été de ne pas stopper la musique pour ne pas enlever l’immersion. Même si les portraits présents dans l’expérience sont différents, il y a une unité dans la musique en termes d’instrumentation et d’orchestration. Le violoncelle et le piano font le lien entre les différents personnages et les différentes thématiques. »
 

 

Une invitation au Japon

« Pour composer, je me suis appuyée sur le story-board fait par Pierre ainsi que sur les images du documentaire même si je n’avais pas le montage final adapté au dispositif vidéo de la Jam Capsule.  J’ai donc dû imaginer ce que ça allait donner dans cet espace de La Villette. Composer une musique pour une telle expérience diffère du travail pour le cinéma ou la télévision [Audrey Ismaël a notamment écrit la musique de la série Les Grands ou encore du film Gueule d’ange, NDLR]. Je viens du « song writing » et ce travail de composition, que ce soit pour la télévision, le cinéma ou pour un projet immersif reste de la musique à l’image. Je remercie ceux qui ont fait appel à moi pour ces créations car je n’aurais jamais écrit ces musiques dans d’autres circonstances : elles sont au service d’une émotion inspirée par des images, c’est la traduction émotionnelle de ce que m’évoque l’histoire. »