Quel avenir pour le journalisme et les médias en 2021

Newsletters, abonnements, médias militants, télévision : les grandes tendances médias de 2021

© Annebell Dogger via unsplash

Après une année 2020 riche en rebondissements et en nouvelles pratiques, quel avenir attend l’industrie des médias pour les mois à venir ? On fait le point avec Emmanuel Parody, associé et directeur des rédactions du groupe Mind et spécialiste de l’économie des médias et de la publicité.

Atrophie de la presse magazine loisir et féminine

Que ça soit la faillite du réseau de distribution Prestalis, les confinements successifs ou bien la crise de la publicité, 2020 fut une sale année pour les magazines. Les presses loisir et féminine sont d’ailleurs les plus touchées dans l’histoire. Concurrencés par un contenu plus accessible sur le web et les réseaux sociaux, les titres ont du mal à dégager du bénéfice, voire à être à l’équilibre.

« Il faut se rappeler que les magazines féminins sont des produits de luxe qui proposent un contenu éditorial très travaillé et qui ne fonctionnent que si la publicité est bien présente derrière, explique Emmanuel Parody. Certains magazines papier tentent de décliner leur ligne éditoriale sur le web, mais à cause d’un marché publicitaire en tension, ils se retrouvent à devoir produire du contenu quotidien, dit de flux. Ils n’arrivent pas à retrouver les mêmes revenus que sur le papier. Il n’y a que les grands quotidiens comme Le Monde qui ont les moyens de production nécessaires pour capter des talents journalistiques et créer un contenu de type magazine qu’ils financent grâce à l’abonnement. L’autre alternative se retrouve dans les revues bimestrielles ou semestrielles qui se vendent en librairie et qui demandent une équipe réduite et quelques pigistes pour être fabriquées à bas coup. Mais les groupes qui sont basés sur la vente en kiosques comme Prisma sont en difficulté. »

Le piège des newsletters

2020 fut l’année d'émergence de la plateforme Substack et des newsletters payantes, tenues par un ou deux journalistes spécialisés sur un domaine en particulier. Ce système qui met en avant l’économie de la passion peut aussi être vu comme le cache-misère d’une profession de plus en plus précaire.

« La montée en force des newsletters rappelle beaucoup la période des blogs vers 2007. À l'époque on s’extasiait en disant que c’était une nouvelle forme de journalisme plus indépendant sans les contraintes d’une rédaction, sans se rendre compte qu’il s’agissait surtout de journalistes au chômage. La bonne nouvelle c’est que les newsletters offrent aux journalistes la possibilité de vendre leur expertise tout en faisant disparaitre les coûts de production. Cependant 90% de ces projets découvrent au bout d’une à deux années que faire du bon contenu n’est pas suffisant. Il faut aussi du marketing pour fidéliser le lectorat ou trouver une nouvelle audience sur le long terme. En ce sens, le système des newsletters est un piège. La barrière d’entrée n’est pas très haute et on peut dégager un salaire à partir d’une centaine d’abonnés. Mais pour avoir un média qui dure, il faut se professionnaliser et c’est une étape très difficile à passer. Il ne faut pas oublier que les sociétés de presse ont été créées pour mutualiser des coûts de production et surtout des coûts juridiques. En cas de problème, les créateurs de newsletters sont tout seuls. »

La montée des médias militants

Nous sommes toujours dans l’après-MeToo et une certaine effervescence règne parmi les nouveaux médias. De nombreuses newsletters et podcasts orientés vers le féminisme, les luttes LGBT ou bien l'intersectionnalité voient le jour. Mais cette politisation croissante des médias est aussi un argument marketing puissant, pour inciter un public engagé à payer un abonnement.

« Depuis quelques années on retrouve une presse de gauche qui investit beaucoup plus le terrain idéologique. L’exemple typique c’est Mediapart. Leur proposition de départ était basée sur leur capacité d’enquête. Aujourd’hui, leur positionnement idéologique est bien plus clair avec des journalistes qui travaillent beaucoup sur les terrains sociaux et économiques avec une volonté de fédérer les mouvements contestataires. Il existe aussi une multitude de nouveaux médias féministes qui prend exemple sur la newsletter Les Glorieuses (une newsletter féministe apparue en 2015 qui connait un vrai succès d’audience). Mais il faut noter deux choses. Tout d’abord, un grand nombre de ces projets ne sont pas montés par des journalistes, mais par des agences de communication spécialisées dans la publicité, ce qui est, d’un point de vue militant, un peu grinçant. De plus, beaucoup de ces projets risquent de ne pas être viables à moyen terme. Pour un exemple qui fonctionne très bien comme Les Glorieuses, on retrouve des dizaines de newsletters et de podcasts aux audiences basses dans un milieu saturé de produits de ce type. »

Le journalisme d’investigation à la recherche d’une nouvelle voie

Plébiscitées par le public, les enquêtes journalistiques représentent un coût que les rédactions ont de plus en plus de difficulté à assumer. Pour Emmanuel Parody, la solution se trouve dans la mutualisation de moyens et l’édition.

« À présent que l’on bascule dans un modèle économique basé sur l’abonnement payant, il y a une vraie justification à produire des longs formats. La question est de savoir jusqu’où on peut aller financièrement. Les rédactions peuvent-elles se permettre de payer un journaliste pendant plusieurs semaines sur un sujet alors qu’elles ont la contrainte de faire du flux en parallèle ? Pour le moment les solutions que l’on voit, c’est la mutualisation des moyens avec de grands médias internationaux qui vont s’allier pour partager les coûts d’enquêtes. L’autre solution est de multiplier les produits d'édition. Une enquête va donc être déclinée en plusieurs articles comme sur Les Jours, en podcast et bien sûr en livre. Le livre, c’est une manière de vendre son enquête à l’unité et de se rentabiliser. Enfin un autre modèle consiste à devenir une boite de production afin de vendre son enquête à d’autres médias qui vont prendre en charge le coût de diffusion. C’est un peu ce que fait Vice dont une partie de l’activité consiste à vendre des reportages et des enquêtes aux autres médias. »

Les télévisions face a la SVOD et au replay

Face à un public jeune qui ne regarde plus vraiment la télévision en direct, mais privilégie le replay ou les plateformes de SVOD, la télévision garde une marge de manœuvre publicitaire sur la rareté de son contenu.

« On arrive à un moment de l’histoire ou les usages traditionnels de consommation des médias ne tiennent plus. Fut un temps, les chaînes de télévision pouvaient prédire précisément ce qu’elles allaient gagner en publicité en se basant sur leur audience. Maintenant ces audiences sont diluées entre les contenus diffusés en linéaire, les plateformes de replay et la SVOD. Or, il faut se rappeler qu’un million de téléspectateurs qui regardent un programme pendant une heure n’ont pas du tout le même impact et donc la même valeur publicitaire qu’un million de personnes qui regardent un programme en rediffusion sur un mois. Voilà pourquoi la télévision va tout faire pour préserver son emprise sur les grands évènements sportifs, l’information et le cinéma. La question des droits est d’ailleurs primordiale pour les chaînes si elles veulent survivre aux années qui viennent et voient d’un très mauvais œil des plateformes comme Facebook ou Amazon venir marcher sur leurs platebandes pour diffuser du foot par exemple. »

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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commentaires

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  1. Avatar cédric dit :

    Aucun doute ici que cet article a été pondu un peu vite. " Le piège des newsletters " qui intègre une "mode" 2007 des blogs cache misère de journalistes par exemple n'entrevoit même pas un quart de seconde la réalité de milliers de gens qui arrivent aujourd'hui à vivre correctement de leur blog tout en étant sorti du schéma classique et mourant du contenu contre temps de cerveau disponible !.. . Pas de pub pour monétiser tout cela mais de l'expertise et de l'affiliation par exemple. Passer à coté de Youtube et de ses milliards d'heures de visionnage pour s'arrêter à la frontière de la VoD est réellement juste. La génération actuelle apprend ,s'amuse , critique et s'informe déjà sur YouTube . La question est donc de savoir pourquoi la télé est moins sexy ? Pourquoi le format magazine déplait assez pour ne plus être acheter ( pas difficile de se rendre compte de ce qui est fou juste en ouvrant un magazine féminin justement et ses 70% de pubs insupportables) ... voila un article à coté de la plaque et rétrograde au possible qui a le mérite de se rendre compte que les changements accouchent souvent au forceps et qu'une certaine douleur est à attendre. . . L'industrie du disque , de la VHS et du DVD ou autre se souvient encore de ses derniers tressaillements. Accompagner les changements en les décelant juste par l'observation semble une idée folle ?

    • David-Julien Rahmil David-Julien Rahmil dit :

      Bonjour et merci pour votre commentaire. Je comprends très bien votre point de vue sur la nature un peu déceptive de l'article, mais ce dernier reflète surtout un point de vue "industriel" des médias dans leur ensemble et non chaque cas individuel. Depuis l'année dernière, j'ai travaillé sur les thématiques des newsletters qui permettent effectivement à des journalistes de vivre de leur travail. Mais l'idée n'est pas ici de saluer les réussites (elles sont nombreuses), mais de capter la "big picture" du secteur des médias. Dans l'interview, mon interlocuteur m'a d'ailleurs fait une mise en garde que je vais vous partager. Lui s'occupe du côté industriel et laisse aux journalistes l'aspect artisanal. Pour fonctionner correctement, les médias ont besoin de ces deux aspects : les journalistes qui font de l'artisanat (écrire des articles de qualité), mais aussi des entreprises de presse fortes qui peuvent faire du marketing pour gagner de nouveaux lecteurs et un service juridique efficace pour les protéger après la publication d'enquêtes. Pour les autres objections, on peut évidemment évoquer la présence trop forte de publicités dans les magazines, mais est-ce vraiment différent sur YouTube et Twitch ? La télé vous semble moins sexy, mais elle a pourtant enregistré des pics d'audiences records cette année pendant le COVID preuve qu'elle a encore une carte à jouer. Moi aussi je préfère largement ce qui se passe sur les nouvelles plateformes et je trouve ça très intéressant de voir des youtubeurs ou des streameurs arriver à monter des boites qui font des supers bénéfices en se basant sur les partenariats ou même leur communauté (encore une fois, on chronique largement ce genre de phénomène sur L'ADN). Mais il faut aussi parfois dézoomer et voir comment l'écosystème vit dans son ensemble et aussi être un brin critique quand une nouveauté parait un peu trop belle pour être vraie.

  2. Avatar Alex dit :

    Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit. En plus, maintenant vraiment chaqu'un avec l'accès à Internet peut devenir "journaliste"...

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