Récit

Avec «les Lycéens», «Avenir lycéen» en passe de renaître de ses cendres ?

Deux mois après de premières révélations sur cette association chouchou de Jean-Michel Blanquer, «Mediapart» dévoile qu'elle est en train de se recréer sous un autre nom.
par Marie Piquemal
publié le 21 janvier 2021 à 6h56

Lucie (1), lycéenne et investie, voit les choses ainsi : «Cela s'apparente à une mini-sphère politique, avec des rivalités, des coups bas. Cela peut faire halluciner, quand on découvre au début. C'est surprenant de voir comment certains se prennent pour des politiciens, alors qu'on reste des lycéens.»

Lucie est l'une des 600 élus suppléants au CAVL (conseil académique à la vie lycéenne), des sortes de super délégués de classe dont le rôle est de représenter les lycéens au niveau académique. A ce titre, elle devra voter au printemps pour élire les lycéens représentants au Conseil supérieur de l'éducation (CSE). La campagne est officiellement lancée depuis vendredi, date de clôture du dépôt des listes. Lucie a décidé de ne pas se présenter : «Je préfère me tenir éloignée, et observer. C'est très facile de se faire manipuler et c'est un casse-tête de savoir pour qui on vote vraiment.»

Le rôle de ces futurs élus lycéens au sein du CSE est en réalité assez symbolique : cette instance de 90 représentants de la communauté éducative (personnels de l’Éducation nationale, parents, étudiants, lycéens), émet des avis consultatifs sur les réformes en cours, les projets de programmes scolaires, etc. Et peut proposer des amendements. Le CSE, renouvelé tous les deux ans pour les lycéens, est certes régulièrement consulté, mais le ministère n’est pas tenu de suivre ses avis.

De nombreuses démissions

Pour les organisations lycéennes, cette élection compte tout de même. C'est par exemple en s'appuyant sur ce vote que le ministère de l'Éducation a justifié les subventions publiques versées en 2019 à l'association Avenir Lycéen, dont Mediapart a révélé l'utilisation abusive. Peu de temps après, Libération avait raconté la genèse de cette association, et la proximité des membres fondateurs avec l'entourage du ministre. Depuis ces révélations, en novembre, les activités de l'association semblaient à l'arrêt, alors que le ministère a diligenté une enquête administrative, toujours en cours.

Beaucoup de membres ont démissionné. «Il n'y a plus personne ! Nous ne sommes plus que trois membres : Nathan Monteux, l'un des cofondateurs qui a pris le poste de président en novembre. Arnaud, nommé par Nathan président du "comité d'éthique". Et moi, qui suis à mon poste de trésorier depuis un an», indique à Libération Enzo Moreau, en terminale à Arras. Il explique être resté à son poste uniquement pour se défendre : «Je refuse de porter la responsabilité des malversations financières. Hors de question que je porte le chapeau. Surtout quand je vois ce qu'ils sont en train de faire…» Il assure, comme le révèle Mediapart ce mercredi, que l'association Avenir lycéen est en train de renaître sous une nouvelle forme : un collectif, s'appelant «Les Lycéens !».

«Histoires de cour de récré»

«C'était juste avant Noël, le week-end des 18-20 décembre. On avait décidé d'organiser avec Nathan un séminaire de travail à Lyon pour parler d'Avenir lycéen. J'ai loué un appart avec le compte de l'asso. Alexia Desdevise était là aussi, on lui a payé l'avion, se remémore Enzo Moreau. Elle était là officiellement en tant qu'ancienne présidente d'Avenir lycéen et élue du CSE, soi-disant pour apporter son expertise. Sauf qu'elle a profité de ce week-end pour faire la pub sur son nouveau collectif "Les lycéens !" Qu'elle fasse ça, avec l'argent d'Avenir lycéen, ça m'a rendu fou.» Libération a pu consulter des captures d'écran du compte bancaire de l'association, montrant la location de l'appart hôtel de 379,89 euros pour le week-end, et l'aller-retour en avion Bordeaux-Lyon de 143,65 euros.

Contactée par Libé, Alexia Desdevise se défend : «J'ai tenu cette visio pendant mon temps libre, avec mon ordinateur personnel sans utiliser de quelque façon que ce soit les moyens d'Avenir lycéen. Dans ce collectif, je ne suis qu'une lycéenne parmi beaucoup et je n'y ai aucune fonction.» Dans un long SMS, elle écrit son amertume et son écœurement. «Aujourd'hui, j'ai 18 ans et même avec toute ma bonne volonté et tout mon enthousiasme, tout cela me dégoûte et me répugne.» Nathan Monteux, qui ne voit pas non plus le problème, se dit fatigué de toutes «ces histoires de cour de récré». «J'ai autre chose à faire dans ma vie que de m'occuper des mouvements lycéens. Quand Mediapart m'a contacté hier, j'étais à la chasse. C'est bien plus intéressant que toutes ces petites histoires. Oui, Alexia a fait une visio pendant le week-end, et alors ? Enzo est jaloux de ne pas avoir été associé au collectif "Les Lycéens !", des trucs de gamins.»

«Alternative» aux syndicats existants

Enzo Moreau affirme de son côté que lors de cette visio, Alexia Desdevise reprenait mot à mot ceux employés il y a deux ans par Avenir Lycéen qui venait de se créer et de déposer dans la foulée une liste pour le CSE : «L'importance de la communication, des campagnes de retweet, et d'Instagram. Exactement comme en 2019. Ce sont les mêmes éléments de langage : coconstruction, structure apartisane et apolitique, loin des syndicats traditionnels.»

Tom-Eric Oumier, 17 ans, lycéen à Colmar, cofondateur des «Lycéens !», et tête de liste au CSE précise : «Nous présentons deux listes "Les Lycéens" aux élections d'avril. Notre idée, c'est de proposer une alternative aux syndicats existants, y compris Avenir Lycéen. Nous ne sommes ni une association, ni un syndicat.» Il reconnaît que deux des membres d'Avenir lycéen sont cofondateurs des «Lycéens !», mais qu'«ils sont juste là pour partager leur expérience. Nous ne choisissons pas nos membres, nous avons la volonté de représenter tout le monde. On n'a aucun autre lien, la plupart d'entre nous sommes nouveaux dans l'engagement».

Quelques jours après cette visio de travail, une pétition était lancée pour faire décoller le collectif, notamment le rendre visible auprès des journalistes. Opération plutôt réussie : la pétition, qui réclame deux jours banalisés avant les épreuves de spécialité du bac en mars prochain, a recueilli 12 000 signatures. Lors du comité de suivi de la réforme du bac, les principales organisations syndicales enseignantes et représentants de parents d'élèves ont pourtant demandé le report des épreuves ou la prise en compte du contrôle continu. Seule Alexia Desdevise, en tant qu'unique membre lycéenne du comité de suivi, s'est prononcée pour le maintien des épreuves. «Cette pétition, en tout cas, c'était un bon coup en communication. Mais l'idée ne vient pas de moi, désolé», dit en riant Nathan Monteux.

(1) Le prénom a été modifié

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