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Former des « scientifiques éclairés » au regard critique : à Marseille, une licence pionnière mélange sciences et humanités

Dans cette formation, les élèves suivent pendant trois ans des cours de sociologie, philosophie, neurosciences ou chimie. Un défi pédagogique pour un cursus transdisciplinaire qui peine à sortir de l’ombre.

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Publié le 08 janvier 2021 à 00h44, modifié le 18 janvier 2021 à 15h00

Temps de Lecture 4 min.

Vue aérienne du siège d'Aix-Marseille Université, sur le site du Pharo, à Marseille

Consacrer un semestre à « la couleur bleue », en mêlant enseignement de chimie, de littérature et de sociologie. Voilà ce dont rêvait une poignée d’enseignants-chercheurs d’Aix-Marseille Université lorsqu’ils ont créé, en 2012, la licence sciences et humanités.

Etudier l’évolution du bleu depuis l’Antiquité égyptienne jusqu’à nos jours. Expliquer comment, en ces temps-là, on préparait une couleur si rare à l’état naturel. Puis, faire un grand pas dans l’histoire de l’humanité pour évoquer les liens qui naissent à l’époque médiévale entre le bleu et la royauté. Avant de se demander ce qu’il en était de la littérature. Le bleu était-il la couleur préférée des écrivains ? « Pas vraiment », relève Florence Boulc’h.

Avec une vingtaine de collègues, cette enseignante-chercheuse en chimie a planché pendant trois ans afin d’imaginer une licence qui associerait sciences humaines et sciences exactes. Après deux ans d’enseignements transversaux, les étudiants se spécialisent en troisième année dans une discipline, comme les mathématiques, la chimie, les neurosciences, la philosophie ou l’enseignement.

L’idée de cette formation avait germé lors d’un mouvement universitaire, en 2009. « Pendant les six mois de grève, on a beaucoup réfléchi à l’université rêvée, avec cette idée : on ne voulait pas que les savoirs deviennent de la marchandise », se souvient Gaëtan Hagel, enseignant-chercheur en physique et responsable pédagogique de la licence. Mais une question vient rapidement tarauder les esprits. Comment enseigner à la fois les sciences exactes et humaines sans faire du saupoudrage ? L’équipe trouve la réponse dans les écrits d’Edgar Morin consacrés à la transdisciplinarité.

« Ouverture d’esprit »

Naît alors l’idée de définir des grands thèmes, pour croiser les disciplines et ainsi « les faire dialoguer », explique Gaëtan Hagel. Parmi ces thèmes, « culture et langage » mêle biologie, linguistique et philosophie. « Systèmes du monde » explique la manière dont l’homme a envisagé le ciel étoilé. De quoi « apporter aux étudiants une ouverture d’esprit que l’on n’a pas dans les formations monodisciplinaires », défend Florence Boulc’h.

L’enjeu : former les étudiants à développer un regard critique sur une discipline – des « scientifiques éclairés », comme l’explique Gaëtan Hagel.

La majorité sont issus d’un bac scientifique. Les profils devraient être plus variés avec l’arrivée à la prochaine rentrée de ceux qui sont issus du « bac Blanquer », qui a ouvert la voie à de nouvelles combinaisons de spécialités scientifiques et littéraires.

« Comprendre le monde en mélangeant les visions, c’est très humain ». Juliette Carrère, titulaire du Bac S, étudiante en première année.

Ce jour-là, malgré le confinement, une poignée d’étudiants de première année a reçu l’autorisation de participer à un cours de travaux pratiques de chimie, consacré à la synthèse moderne du blanc de plomb. Chaque binôme mélange nitrate de plomb, bicarbonate de sodium et eau distillée après avoir revêtu blouse blanche, gants et lunettes de protection. Parmi eux, Juliette Carrère, 18 ans, titulaire d’un bac S.

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C’est en allant sur Parcoursup que la jeune femme a découvert cette licence. « Comprendre le monde en mélangeant les visions, c’est très humain », souligne-t-elle. A quelques mètres, Paul Esnault vient, lui, d’une filière littéraire. « Au début, pour le projet couleur, j’étais un peu perdu, dit-il. Je ne savais pas comment ça marchait mais j’avais envie d’apprendre. » La curiosité est certainement le point commun de tous ces étudiants.

« Ceux qui viennent de la filière littéraire ont besoin de plus d’accompagnement », confirme le responsable pédagogique. C’est pourquoi, pour chaque thématique, les enseignants proposent des cours de soutien. Une organisation qui nécessite beaucoup d’implication de la part de l’équipe et, de ce fait, un nombre de places limité : quarante étudiants, « sélectionnés sur dossier, et après un entretien individuel », indique Gaëtan Hagel.

Débouchés variés

« Les humanistes réalisent des travaux d’une qualité au-dessus de la moyenne. Mais ils sont moins performants dès qu’il s’agit d’un sujet plus calculatoire, dans lequel les techniques mathématiques occupent une part prépondérante », constate Alberto Varga, professeur de physique quantique en licence 3, tout en vantant leur « opiniâtreté » et leur « ouverture d’esprit ». Le taux de réussite à l’issue de la première année atteint 85%  à 90 %, et 90 % à 95 % en fin de deuxième année, selon les responsables de la formation.

Reste que ce cursus peine à se faire connaître : le nombre de candidatures « sérieuses » sur Parcoursup, avec des jeunes disposés à passer un entretien, est stable, avec une moyenne de 160 par an.

Après chaque cours, Yannick Becker aujourd’hui en doctorat, se sentait « intellectuellement satisfait »

Quant aux débouchés, ils sont variés. Beaucoup d’anciens de la licence ont choisi de poursuivre en master orienté recherche, puis en doctorat, comme Yannick Becker. Il est actuellement en thèse de neurosciences, après un master dans cette discipline. En licence sciences et humanités, il se souvient qu’après chaque cours, il se sentait « intellectuellement satisfait ». « Ce n’est pas le cas dans beaucoup d’autres formations où l’on apprend les choses par cœur, sans aller très loin dans le raisonnement. » 

Lilan Criscuolo, 25 ans, se remémore, elle, de contenus « très enrichissants » et du soutien sans faille des enseignants, surtout en mathématiques. « J’ai commencé avec de très mauvaises notes et j’ai fini par plutôt bien m’en sortir », note cette titulaire d’un bac ES. Cinq ans après, la jeune femme, qui a choisi par la suite d’intégrer un master de sociologie, gère l’antenne marseillaise d’Emmaüs Connect, spécialisé dans l’inclusion numérique.

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