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TRIBUNE

Pour les sages-femmes, le plafond de verre continue à l'université

Afin que les sages-femmes, à l'instar des infirmières, des dentistes ou des pharmaciens, puissent enseigner la maïeutique à l'université, les autorités compétentes doivent cesser la mise sous tutelle médicale de leur métier.
par Gérard da Silva, historien
publié le 26 janvier 2021 à 10h43

Tribune. Il est une pratique sociale intolérable : plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. La volonté d'intégrer à l'université les professions paramédicales et la maïeutique, c'est-à-dire les sages-femmes, était une occasion de mettre un terme à cette pratique.

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Du côté des sages-femmes, pouvoir enseigner à l’université cette discipline spécifique et nouvelle, la maïeutique, a été salué par l’ensemble de la profession. Mais plutôt que de donner son autonomie à la maïeutique, il a été décidé de la faire passer, comme dans le bon vieux temps, sous les fourches caudines de la médecine. Il fallait passer devant la toute nouvelle section maïeutique au sein du Conseil national des universités (CNU 90) afin de voir sa candidature validée pour postuler à un poste de maître de conférences. Or, à sa tête, ont été nommés professeurs en maïeutique deux hommes et une femme, alors que l’inverse s’imposait. Et aussi éloignés que possible de la maïeutique et du métier de sage-femme : médecin, pharmacien, généticien. Comme à l’époque où les sages-femmes devaient être accréditées par des chirurgiens qui n’avaient pas pratiqué le moindre accouchement !

17 refusées pour 6 reçues

Dès lors, au lieu de retenir les critères majeurs d’évaluation du métier de sage-femme (théorie et pratique), la section 90 du CNU s’est drapée dans les plis de l’académisme, dissimulé sous les oripeaux du scientisme. Le résultat est sans appel. Alors que les sages-femmes, pour la plupart titulaires d’un doctorat, ne pouvaient pas ne pas être reçues pour pouvoir postuler, la grande majorité est récusée. Donc, sur 23 femmes sages-femmes candidates, il y a seulement 6 acceptations mais 17 refus ! Alors qu’elles représentent 97% de la profession !

Mais pour les hommes, c’est l’inverse : la réponse est favorable pour 4 candidats sur 5. Ils passent des 3% de leur présence réelle dans la profession à 40% ! Les hommes, c’est 75% d’acceptation. Les femmes, c’est 75% de refus.

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Décidément, dès qu'il y a pouvoir, prestige, enseigner à l'université, l'homme s'impose, même plus que minoritaire. Tout ceci se nomme machisme, misogynie, le tout mâtiné de corporatisme médical, toujours actif contre les sages-femmes. C'est la mise sous tutelle médicale du métier de sage-femme qui conduit à la reconduction du plafond de verre. C'était il y a un an, en mars. Si les conditions pour postuler sont plus compliquées, rien ne prouve que, pour 2021, c'en sera fini des critères académiques ad hoc : depuis quand la publication d'un article dans une revue de rang A est-elle plus importante qu'un doctorat ? Et ces critères sont sans rapport avec la maïeutique, pour laquelle les pratiques dans le lien direct avec les mères et les parents sont fondamentales.

Aussi est-il nécessaire, auprès des autorités compétentes, que les sages-femmes aient, comme les infirmières, comme les dentistes, comme les pharmaciens, leur pleine autonomie dans leur discipline à l’université. Il faut la pleine autonomie de la maïeutique et que soit mis un terme à une férule médicale sans objet : la maternité n’est pas une maladie ! Alors les sages-femmes, en France, seront enfin dans le même cadre que les sages-femmes européennes, qui ont la pleine autonomie de leur profession depuis longtemps.

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Il faut mettre un terme aux pratiques qui ne reviennent, dans les faits, qu’à maintenir le plafond de verre. Il faut que ne se reproduise, en aucun cas, le spectacle consternant où, dès le pouvoir en vue, les hommes sont surreprésentés et les femmes dévalorisées et marginalisées. En 2021, le plafond de verre pour les sages-femmes, pour les femmes, ça suffit !

Gérard da Silva a publié Suzanne Buisson. Socialiste, féministe résistante, éditions L'Harmattan, 2018.

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