Grand oral du bac : les enseignants sont-ils prêts ?

Les enseignants participent à des formations en vue de l'organisation du grand oral, à la fin de l'année ©Radio France - Sonia Princet
Les enseignants participent à des formations en vue de l'organisation du grand oral, à la fin de l'année ©Radio France - Sonia Princet
Les enseignants participent à des formations en vue de l'organisation du grand oral, à la fin de l'année ©Radio France - Sonia Princet
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Après l'annulation des écrits qui étaient prévus en mars, c'est la seule épreuve nouvelle qui subsiste : le grand oral, prévu pour le mois de juin, épreuve phare du "nouveau bac". Des formations sont organisées dans toutes les académies, pour 30 000 professeurs.

Répondre à une problématique posée sur un thème transversal aux deux enseignements de spécialité que chaque élève aura choisi : c'est le concept du grand oral du bac, épreuve phare de la réforme, et désormais la seule à être maintenue, après l'annulation des épreuves écrites qui devaient avoir lieu en mars. Pour les enseignants, il est maintenant question de se préparer à cette épreuve. 

Au lycée Paul Claudel à Laon, dans l'Aisne, une vingtaine d'enseignants de la spécialité "Humanités Littérature Philosophie" étaient convoqués pour une journée de formation. Valérie Faranton, inspectrice pédagogique de Lettres dans l'académie d'Amiens, anime la séance, entourée de deux autres formateurs.

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Les professeurs connaissent les étapes du Grand oral. Valérie Faranton les rappelle brièvement : "Les cinq premières minutes, vous savez que c'est debout, sans note. Le candidat arrive avec les deux questions qu'il a préparées, le jury choisit une des deux questions et le candidat fait sa prestation de cinq minutes. Il expose la réponse ou les réponses possibles à la question qu'il a posée."

"Maître-mot bienveillance"

Le jury poursuit par un entretien sur le sujet pendant dix minutes et sur le projet d'orientation du candidat pendant cinq minutes. Le déroulé semble clair mais les professeurs ont encore beaucoup de questions : "Est-ce qu'on peut interroger les candidats et les candidates sur le programme de Première sachant qu'on a quand même été en confinement l'année dernière à partir du mois de mars voire de février dans certains endroits ?", demande une enseignante d'un lycée du sud de l'académie. "En effet, ils peuvent appuyer leur démonstration sur l'ensemble du programme de Terminale mais aussi de Première, répond l'inspectrice Valérie Faranton. 

"Cette année évidemment le maître-mot va être bienveillance. C'est la première fois qu'on pratique cet exercice donc on est tous sans repère, les élèves comme vous, comme nous. On connaît aussi la situation sanitaire."

Une autre participante intervient : "À partir de quand le jury prend connaissance des questions des candidats ?". Mais à cette question, Valérie Faranton reconnaît : "Je n'ai pas de réponse pour l'instant à vous apporter parce que c'est la DEC, la Division des Examens et Concours au rectorat qui a en charge cette organisation". 

Formations tardives 

Tout n'est pas tranché et pourtant les enseignants découvrent qu'il aurait fallu commencer à préparer les élèves dès septembre, comme leur explique ce formateur Aurélien Cange, lui-même professeur de philosophie : "Moi, je l'ai fait dès le début de l'année. Dès les premières séances on a fait le choix des sujets sur le Grand oral. J'ai des élèves en cours d'année qui ont changé de sujet..." Une enseignante l'interrompt, avec une certaine émotion dans la voix : "Je suis doublement admirative... Plus je vous écoute, plus je me dis que je suis vraiment à côté de la plaque ! Et pourtant je peux vous garantir que j'ai travaillé lourdement pendant mes grandes vacances, j'ai travaillé les vacances de la Toussaint, les vacances de Noël... mais moi l'oral pour l'instant, c'est niet !" Un brouhaha envahit la salle. 

Tout le groupe est dans le même cas et acquiesce car jusque-là, tous s'étaient focalisés sur les épreuves écrites sur les enseignements de spécialité du mois de mars, qui viennent d'être annulées. Catherine Fettah, cette professeure de français dans un lycée de Saint-Quentin, dans l'Aisne, se justifie : "J'avais envisagé au début de l'année de travailler en même temps sur le Grand oral et je me suis dit, je vais perdre du temps donc tant pis, j'attendrai les écrits et je rebasculerai sur le grand oral après. 

"Je trouve que les formations ont été extrêmement tardives. Moi j'enseigne quand même maintenant depuis plus de 30 ans, et cette année je me sens beaucoup plus stressée que d'habitude"

Professeurs "un peu perdus"

Une de ses collègues complète : "Pour le grand oral, avec les élèves pour l'instant on en a parlé comme ça, de façon très vague. Les élèves n'ont pas encore choisi clairement leur sujet. Ils ont des pistes seulement et en plus ils viennent en cours la moitié des heures donc tout reste à faire." L'enseignement à distance dans certains lycées complique la situation. "Les professeurs, je les sens très inquiets, commente Valérie Faranton, l'inspectrice pédagogique. C'est la première fois qu'ils ont à conduire cet exercice. Et les circonstances sont difficiles parce que dans les lycées, certains sont totalement en présentiel, d'autres en présentiel une semaine sur deux. Donc ça ne les aide pas non plus à créer une dynamique autour de ce Grand oral". 

Ces enseignants de spécialité font face à une difficulté supplémentaire : le sujet choisi par l'élève doit se combiner avec l'autre spécialité parfois très différente. Un professeur témoigne : "J'ai des élèves par exemple qui ont des spécialités Maths et HLP – Humanités, Littérature et Philosophie. Pour ces élèves-là, comment organiser un sujet de type Maths ? Je discutais avec ma collègue l'autre jour, ce n'est pas l'habitude dans cette matière, ils sont un peu perdus".  

"Double source d'inquiétude"

"On se pose des questions notamment par rapport aux sujets croisés avec d'autres spécialités, enchaîne une autre enseignante. Cela implique que tout le monde se mette d'accord des deux côtés et que cela corresponde bien aux deux programmes". Beaucoup de questions restent sans réponse, selon ces professeurs, par exemple, dit l'une d'eux : "Est-ce qu'on risque se retrouver face à un élève qui va passer en anglais devant nous alors que nous-même on n'est pas forcément anglophone ?  C'est quelque chose qui peut se produire, dans la façon dont on nous annonce l'épreuve. Beaucoup de problèmes pratiques ne sont pas encore réglés".

Des zones d'ombre subsistent en effet sur ce Grand oral. "Les questions et peut-être les inquiétudes que nous avons, conclut une enseignante, n_ous les avons en ce qui concerne nos élèves mais nous les avons aussi en ce qui nous concerne et donc cela fait une double source d'inquiétude qui commence à peser. Aujourd'hui, on est là, en formation, pour débroussailler un peu les choses. Tant mieux. Mais on n'aura probablement pas réponse à toutes nos questions_."

Il leur reste un peu moins de cinq mois. Les élèves passeront leur Grand oral à partir du 21 juin

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