Le temps est loin où l’on pouvait dresser un portrait-robot de l’enseignant : électeur de gauche, adhérent au tout-puissant syndicat FEN, assuré à la MAIF et auditeur de Radio France, le professeur de l’enseignement public appartenait à un microcosme qui ne cesse de se fissurer depuis trente ans. C’est ce que montre le deuxième volet de « L’observatoire des enseignants », une enquête de l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès portant sur un échantillon de 801 répondants – dont la première partie, publiée le 6 janvier, traitait du rapport des enseignants à la laïcité.
Dans cette deuxième enquête, la Fondation Jean Jaurès démontre l’effondrement de la « culture commune » des enseignants – au moins depuis les années 1990, marquées par deux ruptures importantes : la scission de la FEN, en 1992, et la création de deux organisations divergentes, l’UNSA et la FSU. Mais aussi la réforme de la formation de 1989, qui met fin au réseau des écoles normales d’instituteurs. Les enseignants du premier degré cessent de fréquenter cette école commune et rejoignent l’université, moins propice à « jouer le rôle de creuset » qui transmettait une « identité professionnelle puissante », selon la fondation.
Conflit générationnel
L’affaiblissement du taux de syndicalisation est le premier symptôme de cette déperdition de l’esprit de corps : 30 % des enseignants sont syndiqués aujourd’hui, pour 45 % au début des années 1990, rapporte la fondation. Les enseignants sont aussi moins nombreux à « prolonger leur engagement » dans des associations dédiées aux questions éducatives, comme la Ligue de l’enseignement ou la FCPE, souligne Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion et stratégies d’entreprise » de l’institut de sondages et auteur de la note. « Ces organisations existent encore, mais leur importance s’est effondrée, précise-t-il. Les enseignants ne souhaitent plus forcément vivre tous les aspects de leur vie sur le mode de l’engagement. »
Bien sûr, des éléments de ce constat pourraient s’appliquer à d’autres pans de la société française. L’affaiblissement des corps intermédiaires n’est-il pas généralisé ? « En effet, concède Jérôme Fourquet, et l’éducation nationale a d’ailleurs de beaux restes, avec un tiers de la profession syndiqué. Mais le syndicalisme n’a plus le rôle structurant qu’il avait autrefois. » De même, le monde enseignant est traversé, comme le reste de la société, par « la montée de l’individualisme et l’autonomisation des individus par rapport aux attaches familiales, religieuses et culturelles traditionnelles », de sorte que l’identité professionnelle n’arrive plus forcément en premier dans la définition de soi.
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