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La « génération surdiplômée » gouverne-t-elle vraiment le monde ?

VENDREDI LECTURE// New class, creative class, aspirational class, classe ambitieuse… Qui sont les 20 % les plus diplômés qui gouvernent la France ? Un nouvel ouvrage y répond, avec force de détails.

Ils ont beau afficher un salaire compris entre 3.000 et 6.000 euros net par mois en moyenne, ce qui leur vaut pour la plupart d'appartenir à la frange des 10 % les plus aisés, ces « anywhere » (qui peuvent se fixer partout) sont avant tout des élites culturelles.
Ils ont beau afficher un salaire compris entre 3.000 et 6.000 euros net par mois en moyenne, ce qui leur vaut pour la plupart d'appartenir à la frange des 10 % les plus aisés, ces « anywhere » (qui peuvent se fixer partout) sont avant tout des élites culturelles. (iStock)

Par Julia Lemarchand

Publié le 5 févr. 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Le journaliste et essayiste Jean-Laurent Cassely nourrit-il une obsession pour les élites ? Après s'être intéressé aux premiers de la classe (en 2017), voilà un nouvel ouvrage consacré à la « Génération surdiplômée » . Autant dire que l'on parle des mêmes, de ces « 20 % qui transforment la France » (sous-titre, et hypothèse, de ce dernier livre paru chez Odile Jacob). Sauf que cette fois-ci, l'ambition est différente. Il s'agit moins de décrire le parcours des super diplômés qui quittent leur boulot à la Défense pour devenir néo-artisans, que de faire le portrait précis, détaillé, incarné des 20 % de la population, diplômés d'un master ou plus. L'ouvrage est co-écrit avec la sociologue et directrice de recherche au CNRS, Monique Dagnaud, et se base sur une enquête approfondie de ces 25-40 ans (sondage et aussi une quarantaine d'entretiens).

Les auteurs partent du postulat qu'on ne connaît pas ces 20 %, en tout cas bien moins bien que les 1 % (les plus riches) qui font l'objet de toutes les attentions médiatiques. Quand nous (médias) parlons des « Y » ou des « millennials », c'est de ces seuls diplômés dont il est souvent question. Des jeunes trentenaires, curieux, flexibles, engagés, qui grâce à leur diplôme peuvent explorer la vie dans toutes ses potentialités pour s'y épanouir pleinement, et idéalement changer la société. (D'ailleurs, si vous lisez les Echos START vous en êtes probablement.)

Une élite culturelle plus qu'économique

Ces 20% sont pour la plupart des enfants des baby-boomers des classes moyennes et supérieures de province, qui ont « bougé » de chez eux pour leurs études pour se concentrer dans les grandes agglomérations là où l'économie immatérielle fournit le gros des emplois. Le XIe arrondissement est leur quartier totem mêlant tendances fooding, healthy, éthique, collaborative. A moins qu'ils aient décidé de rejoindre son équivalent à Londres, Berlin ou dans la Silicon Valley… Au passage on apprend que c'est l'équivalent d'une ville comme Marseille, mais uniquement composée de Bac+5, qui réside actuellement hors de France.

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On en trouve aussi reconvertis en « navetteurs ». Rattrapés par leur envie de se connecter à la nature ou de ralentir leur rythme de vie effréné (si possible pour gagner en productivité...), ils ont quitté Paris qui les a souvent attirés pour les études et les premières années de vie professionnelle avant de prendre le large vers d'autres grandes métropoles françaises (Nantes, Bordeaux, Lille, Lyon…). Merci le TGV, le nouveau « métro des CSP + », résume le romancier Aurélien Bellanger.

Ils ont beau afficher un salaire compris entre 3.000 et 6.000 euros net par mois en moyenne, ce qui leur vaut pour la plupart d'appartenir à la frange des 10 % les plus aisés, ces « anywhere » (qui peuvent se fixer partout) sont avant tout des élites culturelles, défendent les auteurs tout au long de leur démonstration. Ces talents de la nouvelle économie influencent d'abord, comme nuls autres, les normes de notre société : des modes de vie et de consommation, aux nouvelles formes du travail, en passant par une conscience écologique aiguë.

Elite dirigeante, sous-élite et alter-élite

La caricature était tentante, mais les auteurs n'y cèdent pas, rappelant aussi les contradictions de cette élite. Des talents qui croient dur comme fer à la méritocratie, s'agacent de l'anti-élitisme ambiant, tout en reconnaissant avoir eu, eux, beaucoup de chance d'avoir été élevés dans une famille avec un capital culturel élevé. De même, cette élite est plurielle.

Tous les diplômes Bac+5 n'ont pas la même valeur. Et même en son sein, « l'alter-élite », habituée des tiers-lieux, coworking et autres fablabs , est toujours prompte à bousculer « l'élite dirigeante » qui, elle, n'a pas complètement cédé à l'appel de l'engagement social… Tandis qu'une classe diplômée désenchantée, une « sous-élite » touchée par la contrainte financière (instituteurs, chercheurs…), est frugale autant, si ce n'est plus, par nécessité que par conviction écologique.

Changer son monde, mais le monde ?

Bien que diverse, cette élite culturelle navigue « toujours sur un même bateau » et reste « recroquevillée sur un entre-soi culturel, générationnel et géographique ». Des « éclaireurs du changement » peut-être, mais le pouvoir de traction des 20 % auprès du reste de la société semble limité, questionnent à juste titre les auteurs.

Ô surprise, à chaque résultat d'élection, les 20% réalisent que les 80 % ne partagent pas les mêmes valeurs qu'eux. La consommation alternative et la vie post-voiture ne font pas rêver les foules. Si la politique est « l'affaire de la classe cultivée », celle-ci ne semble pas (encore ?) avoir trouvé les arguments qui feront mouche face aux leaders populistes. Eux savent mieux que personne nourrir la frustration de la majorité angoissée par un déclassement qui guette, et qui en aucun cas sera volontaire. La planète attendra.

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Julia Lemarchand

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