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TRIBUNE

Réforme des IUT : pourquoi tant d’urgence ?

La transformation du diplôme universitaire de technologie (DUT) est motivée par des raisons idéologiques et menée dans la précipitation, selon un collectif d’enseignants. Ils appellent à repousser la réforme d’un an.
par Lavinia Grosu, Bénédicte Hingant, Cyril Lamriben et Olivier Maloyer, enseignants à l’IUT de Ville-d’Avray
publié le 9 février 2021 à 18h03

Tribune. On en entend peu parler mais une réforme d’ampleur est en train de secouer les instituts universitaires de technologie (IUT). Adieu DUT, diplôme universitaire de technologie ; voici le BUT, «bachelor» universitaire de technologie.

La formation passe de deux à trois ans, harmonisant ainsi l’offre universitaire française avec les autres diplômes européens. Pour cela, le BUT va absorber les licences professionnelles où les diplômés d’un brevet de technicien supérieur (BTS) ou DUT pouvaient poursuivre leurs études.

Cette réforme aurait pu être cosmétique. Mais elle s’avère profonde. Elle est d’abord économique, car elle va diminuer d’au moins 10% le nombre d’heures de formation encadrées [1]. Et elle est surtout idéologique car elle vise à modifier les DUT pour en baisser le niveau.

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Pourtant, les DUT fonctionnaient bien. Professionnalisants tout en permettant aux étudiants qui en avaient le niveau de poursuivre en école d’ingénieur ou de commerce, ils étaient plébiscités. Les entreprises et les enseignants de lycée connaissaient bien la valeur du diplôme. Ils étaient adaptés aux étudiants voulant s’engager dans une filière plus concrète et moins ardue qu’une classe préparatoire mais dont les débouchés étaient plus ouverts qu’en BTS.

Bref, les DUT avaient toute leur place dans l’enseignement supérieur. Alors pourquoi les refondre ?

Baisser le niveau du diplôme

Pour gérer les flux de bacheliers issus des filières technologiques ! Car selon le gouvernement, les IUT n’en accueillent pas assez.

Pourtant, ces filières recrutent aujourd’hui environ 30% de bacheliers technologiques. Et le choix de ne pas en prendre davantage découle de l’examen de leurs dossiers scolaires et de la volonté de ne pas mettre en échec des étudiants trop fragiles. Beaucoup de bacheliers technologiques sortent en effet du lycée avec un bagage scientifique très léger et ne maîtrisent pas des notions élémentaires de mathématiques comme la proportionnalité, les règles de manipulation des fractions ou la résolution d’équations de niveau collège. Aussi, recruter plus de ces bacheliers reviendrait soit à baisser le niveau du DUT pour en faire une sorte de BTS universitaire, soit à le maintenir tout en acceptant que la plupart des étudiants inscrits en septembre abandonnent.

Face à ce constat, le gouvernement a fait son choix : il faut baisser le niveau du diplôme. L’objectif n’est donc pas d’améliorer la préparation des bacheliers technologiques à l’enseignement supérieur pour qu’ils décrochent un diplôme ayant une valeur reconnue par les entreprises. L’enjeu est d’accroître le nombre de diplômés en abaissant les exigences. Tant pis si au passage, on casse ce diplôme sans équivalent dans l’écosystème universitaire qui conduisait à la réussite beaucoup d’étudiants. Tant pis si on crée un BUT qui risque d’être redondant avec les BTS, tout en détruisant ces DUT qui permettaient aux bons étudiants des filières technologiques de prétendre à des poursuites d’études ambitieuses.

Nous sommes ainsi en désaccord avec le contenu de cette réforme. Mais si nous signons ce texte aujourd’hui, c’est parce que nous nous inquiétons du caractère précipité de sa mise en œuvre. Elle doit en effet entrer en vigueur en septembre 2021. Et rien n’est prêt.

Pratiquement aucune information n’a été publiée sur les programmes de l’an prochain. Les rumeurs laissent entendre que l’organisation des cours va être bouleversée, que plus de vacataires devront être recrutés, que certaines licences restant indépendantes des BUT pourraient fermer. Récemment, il a été décidé que les coefficients appliqués aux crédits du Système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS) ne seraient pas publiés dans les programmes, risquant d’ôter son caractère national au diplôme. Mais les programmes vont paraître dans quelques mois ! nous dit-on. Sans doute à la fin de l’année universitaire.

S’adapter dans l’urgence

Cela ne laissera pas le temps de préparer correctement la rentrée prochaine, surtout si la pandémie est toujours là. Il faudra donc s’adapter dans l’urgence alors que les équipes sont déjà éprouvées par la mise en œuvre de la continuité pédagogique, que les cours à distance corsent le suivi des étudiants, que les charges administratives sont considérablement alourdies… Dans ce contexte, des motions ont été signées pour demander à madame Vidal de reporter le calendrier de cette réforme. Nous sommes ainsi nombreux à nous inquiéter du fiasco que risque d’être la rentrée prochaine. Et ceux qui en paieront le prix seront d’abord les étudiants. Qu’importe. Faisant fi de la situation sur le terrain, le gouvernement veut coûte que coûte appliquer cette réforme dès septembre prochain.

Pourtant, à l’heure où le mal-être étudiant est sur le devant de la scène, il n’est pas trop tard pour que, madame la ministre, vous reveniez sur votre décision et que vous reportiez d’un an l’application de cette réforme. Les politiques, le président Macron en tête, affirment entendre la détresse de la jeunesse. Montrez-nous que vous êtes prêts à agir pour que nous soyons en mesure de former nos étudiants dans de bonnes conditions. Montrez-nous que votre objectif n’est pas juste de pouvoir clamer que davantage de bacheliers technologiques sont accueillis dans les IUT et qu’importe s’ils abandonnent ensuite.

Montrez-nous que votre objectif n’est pas de sauver les apparences en prétendant que tout est sous contrôle quand, dans les faits, vous aurez juste ajouté une dose de désordre à tout ce chaos. Retardez d’un an votre réforme et laissez-nous au moins une chance de la mettre en œuvre correctement pour que les étudiants puissent bénéficier d’une formation, certes de qualité moindre que celle du DUT, mais de qualité tout de même.

[1] Un étudiant suit entre 1620 et 1800 h pendant son DUT. S’il poursuit en licence pro, il suit encore entre 400 et 1000 h d’après diplomeo.fr. Avec le BUT il suivra sur 3 ans entre 1800 et 2000 h encadrées.
Pour cosigner cette lettre : http://bit.ly/3cUNGhE
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