Ce jour-là, Maurice Vaïsse se présente au Service historique de la défense (SHD), basé au château de Vincennes, près de Paris, muni d’un sésame, qui, pense-t-il, lui permettra d’accéder à des documents d’archives « classifiés ».
Le professeur émérite de Sciences Po, éditeur des Documents diplomatiques français, tient une lettre de mission signée par le ministre des affaires étrangères. Il est chargé, par les Nations unies, d’enquêter sur une éventuelle implication des services français dans la mort du secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, dans un mystérieux accident d’avion en actuelle Zambie, en 1961. Dans cette aile de la forteresse, où sont conservés plus de 120 kilomètres linéaires de documents produits depuis le XVIIe siècle par les administrations militaires, il espère trouver le « smoking gun », la preuve irréfutable.
Quelle n’est pas sa surprise, lorsque le chef du service historique lui annonce que sa lettre de mission ne lui donne pas accès à tous les documents classifiés secret-défense qu’il souhaite consulter ! La loi de juillet 2008, inscrite dans le code du patrimoine, permet pourtant la libre consultation des archives dès lors que celles-ci concernent des faits vieux de plus de cinquante ans. Le service historique est loin d’ignorer cette loi libérale, mais il a reçu la consigne du ministère des armées de faire respecter scrupuleusement une circulaire de 2011 : l’instruction générale interministérielle 1 300 ou « IGI 1 300 », doux acronyme forgé dans le maquis bureaucratique.
Occupation, guerres d’Indochine et d’Algérie
Cette instruction se fonde sur l’article 413-9 du code pénal : depuis 1994, l’ensemble des documents intéressant la défense nationale ayant « fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès » sont protégés par le secret de la défense nationale. Maurice Vaïsse découvre avec stupéfaction, qu’en vertu de cette IGI, il doit soumettre à une procédure administrative dite de « déclassification » les archives antérieures à cinquante ans, portant un tampon « secret », qu’il souhaite consulter.
La situation est d’autant plus incompréhensible qu’il demande à voir des documents qu’il a déjà consultés, il y a quelques années, et dont certains ont même été publiés.
Le chercheur quitte le château de Vincennes bredouille, mais n’a pas dit son dernier mot. Il rapporte l’incident à la direction des Nations unies et à la direction des archives du ministère des affaires étrangères, lesquels débloquent la situation : début avril 2019, Maurice Vaïsse est habilité au secret-défense.
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