New Journalism », « narrative non-fiction », « non-fiction novel »… Autant d’appellations accréditant l’idée que la littérature du réel prend sa source aux Etats-Unis. Il est vrai qu’elle y est légitimée et continûment vivace, grâce à un circuit de promotion et de diffusion bien rodé. D’abord, des magazines privilégiant une longue durée pour l’investigation, Vanity Fair, The New Yorker, Esquire, Rolling Stone… – des titres qui résistent bien à la crise de la presse. Plus tard, une reprise en livre, une narration encore plus extensive, parfois suivie d’une cession de droits audiovisuels.
La symbiose entre journalisme et littérature est toutefois plus ancienne que l’anthologie conçue par Tom Wolfe en 1973, The New Journalism. Dès 1722, Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé, chroniqua à partir de témoignages et de documents, dans son Journal de l’année de la peste, l’épidémie qui avait ravagé Londres en 1665. « En Amérique du Sud, ils font même remonter la cronica – le maître mot là-bas – à la découverte européenne du continent, puisque les voyageurs en repartaient avec des récits d’aventure », signalent Cyril Gay et Clémence Billault, fondateurs des éditions Marchialy, dont le catalogue, spécialisé dans ce genre, couvre des territoires peu représentés jusque-là.
Une volonté de dénonciation sociale
Les auteurs latino-américains manifestent, de longue date, une volonté de dénonciation sociale à travers des enquêtes au long cours. « De sang-froid, de Truman Capote, a marqué un point de bascule aux Etats-Unis mais, quelques années plus tôt, en 1957, était déjà paru Opération massacre, de Rodolfo Walsh [Christian Bourgois, 2010] », rappellent les éditeurs. Signe de cette vitalité, Gabriel Garcia Marquez a créé, en 1995, la Fondation du nouveau journalisme ibéro-américain (FNPI), qui a promu une nouvelle génération d’écrivains-journalistes, comme le Colombien Alberto Salcedo Ramos et le Chilien Cristian Alarcon. A Barcelone, l’Université autonome dispense également un diplôme de fin de cursus en journalisme littéraire.
A l’Est aussi ont émergé de grands noms, tels le Polonais Ryszard Kapuscinski (1931-2007) ou la Biélorusse Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature 2015. Parmi les héritières de cette dernière figurent aujourd’hui la Bulgare Kapka Kassabova (Lisière, Marchialy, 2020) et la Franco-Finlandaise Taina Tervonen (Les Fossoyeuses, Marchialy, 2021), toutes deux acharnées à radiographier les séquelles des conflits, la guerre froide pour l’une, la guerre en Bosnie-Herzégovine pour l’autre. Preuve que le genre s’est mondialisé, le lancement, en 2019, du True Story Award, un prix international pour lequel les impétrants peuvent soumettre en douze langues « un récit d’événements réels, dans une langue riche », résultat d’« une recherche approfondie sur les lieux, de faits rigoureusement établis ».
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