Rien ne devait déborder. De l’extérieur, les étudiants du lycée des métiers de l’hôtellerie d’Occitanie renvoyaient une image impeccable d’élèves disciplinés, en costume, bien droits sur les photos lors des visites d’élus régionaux. Mais derrière le vernis, en arrière-cuisine, se jouait un autre film. Remarques sexistes, blagues graveleuses de la part « d’au moins un prof sur deux, se souvient Juliette M. C’était tellement commun que très vite, on ne s’en rend plus compte. » Banals aussi, chez les enseignants, les commentaires sur le physique, « les remarques déplacées sur les jupes des filles ».
En toile de fond de ces récits, la transmission de codes de disqualification des femmes en cuisine et d’une forme de brutalité, justifiés par la culture d’abnégation, de pression et de performance
« Dans ce milieu, on sexualise constamment des gamines de 16 ans sans que personne ne voie le problème », lâche la jeune cuisinière de 21 ans, diplômée d’un bac pro cuisine en 2018 dans cet établissement. Quand cela ne dérivait pas encore plus : elle évoque ce professeur qui se collait à ses élèves filles, dans leur dos, « soi-disant pour nous montrer comment nettoyer les couverts », raconte-t-elle, et ne se privait pas de leur glisser une main aux fesses quand cela lui chantait. « On te fait comprendre que ça fait partie du jeu : les cuisiniers font des blagues sexistes, ils te toucheront les fesses, c’est acté, et si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à partir. »
Les prises de parole se multiplient ces derniers mois pour dénoncer le sexisme et les violences qui règnent dans certains restaurants. En toile de fond de ces témoignages, la transmission de codes de disqualification des femmes en cuisine et d’une forme de brutalité, justifiés par la culture d’abnégation, de pression et de performance. Dans ce milieu très hiérarchisé, où le chef est tout-puissant (et parfois admiré), et où les places sont chères, on ne compte pas ses heures, on travaille tard le soir et on apprend vite à ne pas moufter. Une réalité professionnelle qui, loin des paillettes et de l’image dorée de la gastronomie à la française, prend ses racines au moment même de la formation.
Portée par la déferlante #metoo, la parole des étudiantes et jeunes diplômées gagne de l’écho, lorsqu’elles témoignent des conditions difficiles de leur formation et lors de leurs premiers stages. En témoignent les multiples récits publiés anonymement ces dernières semaines sur le compte Instagram @jedisnonchef, lancé en 2019 par Camille Aumont Carnel, une ancienne de Ferrandi, prestigieuse école parisienne.
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