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Ces métiers qui sentent : Ils sont poissonnier, boucher, fromager, boulanger et nous racontent leur vocation

Il est rare d'entendre ceux et celles qui exercent ces métiers du quotidien - qui exigent et qui épanouissent. De Paris à Montpellier, en passant par Poitiers, nous en avons interviewé certains pour connaître leurs motivations, leurs joies et leurs tracas. Voyage au pays des sens.

Pierre est poissonnier, Enzo, boucher, Paul, fromager, Cécile et Victoria sont pâtissière et boulangère.
Pierre est poissonnier, Enzo, boucher, Paul, fromager, Cécile et Victoria sont pâtissière et boulangère. (M.S.-R., DR, Pierrick Rolland, Martin Bruno)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 15 mars 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Avec un grand sourire, Pierre, 30 ans, poissonnier, le concède : « Oui, parfois ça pue. » De loin, sa silhouette élancée, son mètre 80 et ses cheveux peignés vers l'arrière, on le croirait acteur. Un sosie de Gaspard Ulliel habillé d'un grand tablier criard et des bottes en caoutchouc. Loin des projecteurs, tous les jours, Pierre se lève tôt le matin, remplit l'étal de glace, réceptionne les poissons, les prépare, les coupe, les dispose, trie ceux de la vieille puis attend le chaland.

Les odeurs puissantes, les horaires matinaux, le travail le week-end suffiraient à en décourager plus d'un. Mais pas Pierre. « Le poisson c'est ma passion », répète-t-il à qui veut l'entendre. En sortant du boulot, il sait « qu'il sent le poisson ». Alors avant d'aller boire un verre (à l'époque !) ou rejoindre des amis, le trentenaire s'oblige à repasser chez lui, se doucher et se changer. « J'ai des vêtements de boulot, et puis les normaux. Sinon je ne me sens pas à l'aise. » De temps en temps, il se lave trente fois les mains « sans rire » mais l'odeur persiste. De toute façon, lui, ça ne le gêne pas. « Question d'habitude ! »

Passion dans l'eau

Après un bac en génie civil, Pierre a tenté de suivre un BTS en bâtiment mais il a arrêté avant le diplôme. Depuis tout jeune, quand il allait à la pêche avec son grand-père, dans sa Charente-Maritime natale, il rêvait - sans se l'avouer - d'être un jour poissonnier. A l'époque, personne ne lui en parle ou ne l'encourage. Dans sa famille, on ne connaît cette filière. « Il n'y avait pas d'antécédents », rigole-t-il. Bref, il l'a cherché. Aujourd'hui, c'est avec fierté qu'il répond « je suis poissonnier » à ceux qui le lui demandent.

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Fier de son métier, Enzo, boucher montpelliérain de 27 ans l'est tout autant. Il n'y a qu'à regarder ses tatouages : « Gigot, vélo, dodo » écrit sur la cuisse gauche, quelques couteaux éparpillés sur le corps ou encore un bréchet - petit os du poulet que l'on casse à deux pour se porter bonheur - dessiné sur le torse. Ils trahissent aisément sa vocation pour la boucherie. Avec sa casquette, ses baskets et ses chaussettes relevées, on l'imagine volontiers directeur artistique ou startuppeur. Mais, à l'odeur les chiens de la police, eux, ne s'y trompent pas. Le jour de son brevet professionnel, en pleine Gare de Lyon, les agents lui font ouvrir sa mallette : elle est remplie de longs couteaux aiguisés et de tabliers tachés de sang.

Pierre en boutique, Enzo dans la chambre froide.

Pierre en boutique, Enzo dans la chambre froide.M.S.-R., JB Delorme

En choisissant cette voie, Enzo a suivi les traces de ses arrière-grands-parents. « J'ai commencé la fac d'éco, mais j'ai vite su que ce n'était pas moi », explique le boucher qui reconnaît avoir un profil atypique dans sa filière. Au début de son CAP boucherie, il avait un peu d'appréhension, mais maintenant il loue la diversité de ses activités quotidiennes : « Le matin tu mets en place tes rayons pour que ce soit joli, après tu vas désosser une grosse carcasse dans l'arrière-boutique, l'après-midi tu cuisines des plats traiteurs ou tu fais des saucisses et puis tu es toujours au contact des clients. » Dans ce métier de bouche, le nez et le toucher sont essentiels pour évaluer la qualité des viandes. Mais, l'odeur latente de sang, lui non plus, ne s'en incommode pas.

« Ca sent bon la paille »

Côté olfactif, les éleveurs ne sont pas en reste. A l'autre bout de la chaîne, ils baignent plutôt dans celle du foin. « Quand on rentre dans l'étable, ça sent bon la paille, raconte Benoit, 38 ans, éleveur et maraîcher associé avec sa femme Laurence, à côté de Poitiers. Nous, on ne la remarque même plus, mais quand on fait visiter la ferme c'est souvent la première réaction. » Pour lui, l'aspect sensoriel du métier est une de ses motivations professionnelles. Tous les matins, il a sa petite routine : ouvrir grand les narines et respirer à plein poumons.

Avec 232 brebis, 200 poules, et 4 hectares de champs et de vergers, les journées dans leur exploitation baptisée La Folie bergère sont bien remplies mais jamais pareilles. Au gré des saisons, Benoit passe 365 jours par an dehors, avec ses bêtes. Il les nourrit, les surveille, donne le biberon aux petits, les soigne si besoin. Entre deux vadrouilles en quad ou en tracteur, il ramasse les oeufs et remplit les étals du magasin de la ferme où sont disposés les légumes qu'il produit, aussi.

Laurence avec un agneau et son époux Benoit dans sa serre d'épinards, dans la Folie Bergère de Nouaillé-Maupertuis.

Laurence avec un agneau et son époux Benoit dans sa serre d'épinards, dans la Folie Bergère de Nouaillé-Maupertuis.DR

Travailler en extérieur apporte son lot de tracas : le risque important d'aléas climatiques, les vacances rares (deux semaines dans l'année), le non-stop 7 jours sur 7, etc. Mais la satisfaction est motrice. « J'ai exercé quatre métiers dans ma vie, celui d'agriculteur est de loin le plus difficile, le plus complet et le plus pointu, souligne l'ingénieur agronome de formation dont le père élevait des vaches. Avec du recul, parfois, j'en viens à me dire comment je pouvais gagner ma vie à rester enfermé derrière un bureau ? ! »

Une raclette 100 % parisienne

C'est un peu le même raisonnement qui a conduit Paul, 32 ans, a monté sa fromagerie, en 2018, dans le nord de Paris. « Je voulais produire quelque chose de concret de mes mains, explique le fromager anciennement ingénieur agronome et actuellement seul producteur de raclette 100 % parisienne. Chaque fromage est un nouveau défi, avec mon équipe, on s'éclate à créer des recettes. On est presque plus excités que les clients. » Lors d'une dégustation, tous ses sens sont en éveil.

Paul a créé un fromage nommé « Dormoy » en référence à son quartier du 18e arrondissement de Paris.

Paul a créé un fromage nommé « Dormoy » en référence à son quartier du 18e arrondissement de Paris.P. R.

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Dans sa Laiterie de La Chapelle , les effluves fromagers ne sont pas si prégnants. Les difficultés pour l'artisan se nichent surtout dans l'aspect physique de son activité. Chaque semaine, Paul porte 1,6 à 2,5 tonnes de litres de lait, et ce près de six fois tout au long du processus de transformation. Les machines utilisées sont aussi bien lourdes. « C'est un métier de bourrin, sourit-il. Mais on y est sensibilisés, on fait attention à notre dos et on tente de trouver des solutions techniques. » Peu importe la fatigue et les courbatures, pour Paul, rien ne peut entacher le plaisir de répondre par un mot simple et compris de tous à la question : « Tu fais quoi dans vie ? »

L'odeur de la farine cuite

Répondre boulanger ou pâtissier produit le même effet. Toutes les deux trentenaires, Cécile et Victoria, fondatrices des deux boulangeries Mamiche à Paris, goûtent à ce plaisir depuis plus de quatre ans. L'une boulangère de formation, l'autre pâtissière, de la production à la vente, elles font tout. Un métier aussi complet que certains de leurs pains. « Ce qui est bien c'est qu'on a plusieurs journées en une, on ne s'ennuie jamais », relatent les deux associées en échos. Même si elles avouent avec malice : « C'est parfois épuisant d'être sympathique ! »

Cécile et Victoria ont ouvert la première boutique Mamiche en 2017, aujourd'hui elles en gèrent deux et 45 employés.

Cécile et Victoria ont ouvert la première boutique Mamiche en 2017, aujourd'hui elles en gèrent deux et 45 employés.M. B.

Le côté physique de la production reste, là aussi, le plus ardu. « En plus, rien n'est élaboré pour les femmes. Pendant la formation, tu te retrouves à 3 heures du matin qu'avec des hommes. Il faut faire ses preuves, porter autant qu'eux », se rappellent les deux entrepreneuses, soudées. Maintenant, dans leurs boutiques, épaulées par 45 employés, elles arrivent à souffler un peu plus. « Même si dans ce métier, tu n'as pas de pause-café ! »

Comme les autres, leurs sens les ont menées aux fours et aux moulins - et les y font rester. « Peu de gens connaissent l'odeur de la farine cuite, nous, elle nous accompagne toute la journée. On l'emporte partout. » En plus de l'odeur de la baguette chaude et des croissants en train de dorer, la plus-value de leur métier : remettre en cause tous les jours ce qu'elles ont produit la veille. Un point commun que partagent tous ces passionnés.

Marion Simon-Rainaud

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