Céreq Bref, n° 404, Mars 2021, 4 p.

Les formations à l'entrepreneuriat sont-elles un levier pour l'insertion professionnelle ?

Publié le
16 Mars 2021

Les formations à l’entrepreneuriat se développent rapidement au sein des universités. Elles ont pour objectif de promouvoir l’esprit d’entreprendre des étudiants, afin de renforcer leurs aptitudes à créer et gérer des projets innovants. Pour les décideurs, ces formations constitueraient un atout pour l’insertion professionnelle, au point de vouloir les généraliser au sein de l'enseignement supérieur. Les données des enquêtes Génération montrent que les étudiants ayant suivi ces formations deviennent plus souvent indépendants et ont des conditions d’insertion en tant que salariés un peu plus favorables que les autres. Mais ces effets positifs sur les conditions d'emploi semblent davantage liés au profil des participants qu’aux effets propres de ces formations.

À l’origine cantonnées aux écoles d’ingénieurs et de commerce et aux facultés de gestion, les formations à l’entrepreneuriat se développent rapidement au sein des universités, portées par des dispositifs spécifiques tels que les Pôles étudiants pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat (PEPITE), le diplôme étudiant entrepreneur (D2E) et le statut national d'étudiant entrepreneur (SNEE). Dernier en date, le plan « l’esprit d’entreprendre », lancé en 2019 par le ministère chargé de l'Enseignement supérieur, entend généraliser ces formations avec un triple objectif : sensibiliser l’ensemble des étudiants à l’entrepreneuriat, mieux reconnaître les parcours entrepreneuriaux dans les cursus et les compétences acquises et enfin encourager (et souvent soutenir) les projets entrepreneuriaux pendant les études.

Les politiques volontaristes visant à développer l’esprit d’entreprendre, en Europe comme en France, reposent sur la conviction qu’il constitue un levier d’insertion professionnelle et d’innovation mais aussi, à plus long terme, un moyen pour chacun d’être acteur de son propre destin et de développer des compétences utiles tout au long de la vie. Ces formations ciblent à la fois les attitudes des étudiants vis-à-vis de l’entrepreneuriat et leur capacité à créer et réaliser des projets concrets et innovants. Le plus souvent additionnelles aux enseignements disciplinaires, elles doivent d’abord leur permettre d’acquérir les compétences spécifiques nécessaires à la création d’une activité ou utiles pour accéder à des entreprises désireuses de développer un « intrapreneuriat » en leur sein (élaboration de business plan, problématiques de gestion financière, de RH, règles juridiques…). Elles doivent ensuite leur permettre de développer des aptitudes d’innovation et d’initiative (motivation, autonomie, confiance en soi, adaptation à l’incertitude, mesure et gestion du risque, identification des ressources dans l’environnement). Ce qui constitue pour beaucoup des « soft skills » devrait les aider à chercher un emploi puis à s’adapter à l’évolution des métiers et – in fine – à s’insérer durablement. Sans remettre en cause la possibilité que ces formations offrent aux étudiants de créer l’activité de leur choix, leur développement entre en résonance avec un marché du travail des jeunes de plus en plus flexible où la précarité, la multi-activité ainsi que les situations de travail indépendant parfois aux marges du salariat se développent.

Il existe peu d’études empiriques pour documenter l’impact de ces formations à l’entrepreneuriat sur le devenir des diplômés. Les données de l’enquête Génération 2010, bien qu’antérieures aux dispositifs récents sur l’entrepreneuriat, apportent des premiers enseignements sur l’effet qu’elles ont eu sur les débuts de parcours professionnels d’étudiants sortis de formation initiale en 2010 au niveau bac+5 (cf. encadré 1 page 2). 

Les étudiants formés ont un profil favorable pour l’insertion professionnelle

Les formations à l’entrepreneuriat sont extrêmement diverses dans leurs objectifs, leur pédagogie, leur contenu, le choix des intervenants, la place qu’elles occupent dans les cursus, leur caractère facultatif ou obligatoire, leur mode d’accès et de validation des acquis... [1] et donc par les publics qu’elles accueillent. L’enquête Génération les sépare en deux grandes modalités : les actions de sensibilisation à l’entrepreneuriat d’une part, qui vont de l’information sur les carrières entrepreneuriales à l’enseignement de compétences spécifiques en passant par la mise en situation, et, d’autre part, les dispositifs d’accompagnement à la création d’une activité entrepreneuriale, destinés aux étudiants porteurs d’un projet et qui peuvent offrir un soutien financier. Selon les données de l’enquête Génération, un quart des étudiants (26 %) sortis de l’enseignement supérieur en 2010 au niveau bac+5 (école ou master) déclarait avoir bénéficié d’une sensibilisation à l’entrepreneuriat et 7 % disaient avoir été accompagnés dans un projet de création d’entreprise au cours de leur dernière année de formation. En 2010, ces formations étaient loin d’être proposées à tous les étudiants mais lorsque c'était le cas, les formations à la sensibilisation ont peu été refusées (Fig. 2). Par ailleurs, bien que concernant parfois de faibles effectifs, il existe des étudiants formés dans toutes les spécialités.

Les étudiants qui ont bénéficié de ces deux modalités de formation ont des profils socioéducatifs proches, mais différents de ceux qui n’en ont pas bénéficié : les données montrent qu’ils sont nettement (toutes choses égales par ailleurs) plus souvent issus d’écoles d’ingénieurs ou de commerce et a contrario, beaucoup plus rarement sortants de master 2, sauf dans les disciplines de gestion et de sciences appliquées. Ils sont par ailleurs bien plus souvent entrés dans l’enseignement supérieur par un IUT, une STS ou une école post-bac que par l’université, ce qui témoigne d’un parcours de formation antérieur déjà bien professionnalisé. Ils sont un peu plus souvent issus d’un milieu entrepreneurial (plus de parents indépendants) et un peu plus modestes sur le plan économique (moins de parents cadres) et culturel (moins de couple parental diplômé du supérieur). Enfin, les hommes sont surreprésentés dans les deux modalités.

Le profil particulier de ces étudiants les prédispose à des résultats d’insertion professionnelle également particuliers : leurs parcours d’études bien professionnalisés favorisent leur accès à de meilleurs emplois salariés et le fait qu’ils soient plus souvent issus d’un milieu entrepreneurial facilite l’installation à leur compte. Ce double effet des caractéristiques socioéducatives sur le fait d’être formé à l’entrepreneuriat et sur l’insertion professionnelle a donc été pris en compte pour évaluer l’effet propre d’un passage par chacune de ces modalités de formation à l’entrepreneuriat sur plusieurs aspects de leurs débuts professionnels.

Les « accompagnés » s’installent plus souvent à leur compte

Les jeunes qui ont été accompagnés à la création d’entreprise sont nettement plus nombreux à s’installer à leur compte trois ans plus tard (Fig. 3). Les données ne permettent toutefois pas de savoir à quoi correspond ce statut non salarié (profession libérale, chef d’entreprise, auto-entrepreneur...). Ainsi, et même si cela ne concerne finalement que 10 % des jeunes accompagnés, avoir bénéficié de ce dispositif favorise l’installation en tant que non-salarié.

Les jeunes uniquement sensibilisés à l’entrepreneuriat semblent aussi souvent à leur compte que les non-formés après trois années de vie active (5 %). Cependant, la modélisation montre un impact bénéfique de cette modalité de formation mais qui disparaît lorsqu’on tient compte du double effet du profil sur la formation et sur l’insertion professionnelle évoqué précédemment. Ainsi, et quand bien même la sensibilisation à l’entrepreneuriat renforce les compétences ou les aptitudes entrepreneuriales de ces étudiants, son apport provient essentiellement des caractéristiques particulières et des aptitudes inobservables des étudiants qui en ont bénéficié (voir encadré 1).

Peu d’effet sur les conditions d’emploi des salariés

Les compétences professionnelles spécifiques de ces formés semblent appréciées par les employeurs puisque leur passage par une de ces modalités de formation se traduit par un bonus salarial, à caractéristiques personnelles, éducatives et professionnelles comparables (et notamment en tenant compte de la professionnalité acquise lors de leur parcours de formation [2]). Mais ici aussi, quand bien même ces formations ont permis aux étudiants de développer leurs aptitudes et compétences entrepreneuriales, ce bonus salarial tient surtout à leur profil particulier. Celui-ci aurait joué favorablement même sans cette formation. Les conditions d’accès à ces formations (caractère obligatoire ou volontaire notamment) sont ainsi une donnée importante de leur évaluation en termes d’insertion professionnelle [3].

Au-delà de compétences professionnelles spécifiques, les formations à l’entrepreneuriat cherchent également à développer chez les étudiants des aptitudes ou comportements d’autonomie, d’initiative, de confiance en soi qui peuvent les aider à s’insérer durablement. Même si ces formations n’influencent pas le temps d’accès au premier emploi ou la durée passée en emploi sur les trois ans, les jeunes formés à l’entrepreneuriat (sensibilisés ou accompagnés) sont plus souvent en emploi stable (CDI ou fonctionnaire) au bout de trois ans. Encore une fois cependant, on ne peut affirmer que leur formation à l’entrepreneuriat en soit la cause directe et non pas leurs compétences et aptitudes inobservables dans l’enquête (motivation, confiance en soi, etc.), préexistantes à leur formation à l’entrepreneuriat.

Au-delà de cet effet de « sélection » des publics formés à l’entrepreneuriat, ces résultats peuvent sans doute s‘expliquer par un regroupement de dispositifs trop hétérogènes en termes d’impact : si on pouvait les différencier, on verrait sans doute qu’un cours spécifiquement dédié à l’entrepreneuriat a plus d’impact sur l’insertion qu’une séance d’information de quelques heures.

Une plus forte envie d’entreprendre chez les formés

Parmi les jeunes qui ne sont pas devenus indépendants au bout de trois ans de vie professionnelle, près d'un sur cinq ont cependant pour projet de le devenir dans les cinq ans (Fig. 3). Or, cette intention d’entreprendre constitue un préalable au passage à l’acte. L’enquête montre que, à situation professionnelle donnée, les jeunes formés à l’entrepreneuriat ont plus souvent ce projet. Cette envie d’entreprendre est, par ailleurs, plus importante parmi les jeunes au chômage ou qui estiment leurs compétences mal utilisées, mais pas pour ceux qui sont en CDD ou déclassés (emploi non cadre). Avoir un projet d’installation à son compte ne correspond donc pas toujours à une situation professionnelle insatisfaisante.

Et à plus long terme ?

Les répondants à l’enquête Génération 2010 ont été réinterrogés en 2017, soit 7 ans après la fin de leurs études et 4 ans après les résultats précédents. Le taux de jeunes indépendants parmi les sortants au niveau bac+5 s’est accru, passant de 4 % à 7 % parmi l’ensemble des bac+5, de 5 % à 8 % parmi ceux qui ont bénéficié d’un dispositif de formation à l’entrepreneuriat, et même 14 % parmi les accompagnés à la création d’entreprise sept ans plus tôt. Bien qu’il faille rester prudent compte tenu des faibles effectifs en jeu, l’effet d’un dispositif d’accompagnement semble perdurer, y compris à caractéristiques personnelles, éducatives et parcours professionnels donnés.

Au bout de sept ans, 32 % de ces jeunes non salariés se déclaraient auto-entrepreneurs, statut qui renvoie selon l’Insee à des situations en moyenne plus précaires, moins bien rémunérées, et qui offre une faible protection sociale. Dans l’enquête, les auto-entrepreneurs sont cependant aussi nombreux à déclarer que leur situation professionnelle leur convient (81 %) que les salariés en CDI (82 %) et plus nombreux à le faire que les salariés en CDD (71 %). Les indépendants classiques sont en revanche et sans conteste les plus satisfaits de leur situation professionnelle (92 %).

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Cette analyse montre que, même si peu de jeunes franchissent le pas dans leurs trois premières années de vie active, une formation à l’entrepreneuriat augmente leur envie d’entreprendre à long terme et un accompagnement les aide à mener à bien ce projet. Ces résultats sont cependant restreints aux bac+5 et précèdent la mise en place des dispositifs visant à développer et généraliser ces formations. Les données ne permettent pas non plus d’explorer toutes les facettes de ces nouvelles formations dont le ministère chargé de l’Enseignement supérieur souhaite faire une priorité dans les années à venir. Développer l’esprit d’entreprendre se veut un enjeu important pour l’insertion professionnelle et entend accompagner l’émergence d’un modèle entrepreneurial de l’activité « susceptible de faire évoluer considérablement les paramètres habituels de la relation éducation-formation-travail » [4]. Pour poursuivre cette évaluation, il faudrait disposer d’informations plus récentes et plus détaillées quant au contenu de ces formations et les situations professionnelles auxquelles elles conduisent.

Le développement des formations à l’entrepreneuriat au sein des universités fait débat entre ceux qui s’inquiètent d’une évolution de l’enseignement délibérément tourné vers les savoirs de l’entreprise au détriment des connaissances nécessaires à la fabrication d’un esprit critique, et ceux qui voient dans ces formations l’opportunité pour les jeunes de mieux choisir leur avenir professionnel et de se lancer dans des activités qui font sens et qui leur plaisent. L’envie d’être indépendant est effectivement présente chez une majorité de jeunes attirés par la liberté d’agir du statut. Mais la généralisation assortie du caractère obligatoire de ces formations, dans une perspective d’accroître leur employabilité, contribue aussi à renforcer leur responsabilité dans la réussite de leur insertion professionnelle, à les rendre en quelque sorte entrepreneur de leur parcours professionnel, voire de leur parcours de vie, autant que de leur parcours de formation. Or l’esprit d’entreprendre repose en partie sur des traits de personnalité et des qualités tels que l’autonomie, la confiance en soi ou le goût du risque qui doivent être encouragés mais ne peuvent être exigés. À cette condition près, comment ne pas voir dans le développement de ces qualités chez les jeunes une manière de les aider à affronter la crise économique qui les attend ?

 

1. Méthodologie de l'étude
Les données sont issues de l'enquête Génération auprès des sortants de formation initiale en 2010, interrogés en 2013 puis en 2017. Dans cette enquête, deux questions étaient posées aux sortants de l'enseignement du supérieur : 
  • lors de votre de votre dernière année de formation, avez-vous suivi un module de sensibilisation  à l'entreprenariat ( création d'entreprise ou autre activité ) ?
  • avez-vous bénéficié d'un accompagnement pour créer une entreprise ou reprendre une activité ?
 
La réponse à ces questions constitue la base des analyses présentées*. Afin de réduire la multiplicité des facteurs pouvant avoir un impact sur l'insertion professionnelle d'une cohorte, l'analyse a porté sur la sous-population des étudiants sortis au niveau bac+5 ( école de commerce, d'ingénieurs ou de master 2 ).
 
Les données de l'enquête de 2013 ont d'abord permis de montrer que les jeunes ayant bénéficié des ces 2 modalités de formation lors de l'année 2009-2010 avaient un profil socioéducatif particulier. Les données brutes ( Fig.1) ont fait l'objet d'une modélisation " toutes choses égales ou par ailleurs " pour établir l'effet net de chacune des caractéristiques étudiées sur la probabilité d'avoir suivi chacune des modalités. Afin de tenir compte de ces profils particuliers dont on sait qu'ils jouent également sur les conditions de leur insertion ( Fig.2 ), l'impact d'un passage par ces formations sur le processus d'insertion professionnelle est d'abord estimé sur  " toutes choses égales ou par ailleurs " ( profil socioéducatif et parcours professionnel). Pour tenir compte en plus des aptitudes inobservables (confiance en soi, motivation, goût du risque..) dont on sait qu'elles influencent également le déroulement du processus d'insertion, on réalise une seconde estimation à l'aide d'équations simultanées. 
 
L'enquête de 2017 permet d'étudier la poursuite du processus d'installation à son compte de cette population ainsi que le statut particulier d'auto-entrepreneurs (information disponible uniquement dans cette réinterrogation)
 
* C.Béduwé & V.Mora (2017), " De la professionnalité des étudiants à leur employabilité, n'y a-t-il qu'un pas ? ", Formation Emploi, n°138, p.59-77.

 

Pour en savoir plus

[1] Guide pratique Universités et Entrepreneuriat étudiant, CPU, 2016.

[2] « De la professionnalité des étudiants à leur employabilité, n'y a-t-il qu'un pas ? », C. Béduwé & V. Mora, Formation Emploi, n° 138, p. 59-77, 2017.

[3] « Démocratiser la culture entrepreneuriale dans l’enseignement supérieur : les limites d’un programme basé sur le volontariat », N. Danner & M. Schutz, Formation Emploi, n° 140, 2017.

[4] « Les transformations des relations entre travail, éducation et formation dans l’organisation sociale contemporaine : questions posées par trois dispositifs analyseurs », P. Champy-Remoussenard, Revue française de pédagogie, n° 190, 2015.

Citer cette publication

Béduwé Catherine, Robert Alexie, Les formations à l'entrepreneuriat sont-elles un levier pour l'insertion professionnelle ?, Céreq Bref, n° 404, 2021, 4 p. https://www.cereq.fr/les-formations-lentrepreneuriat-sont-elles-un-levier-pour-linsertion-professionnelle