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Cour des comptes - Continuité pédagogique durant le confinement : peut mieux faire

La Cour des comptes consacre un chapitre entier de son rapport annuel au service public du numérique éducatif durant le confinement du printemps 2020. Si la "continuité pédagogique" a pu se mettre en place rapidement, elle n'a pas atteint ses objectifs, notamment vis à vis des élèves les plus fragiles.

L’organisation du service public du numérique éducatif "a permis d’apporter très rapidement une première réponse" durant la fermeture des établissements scolaires due à la crise sanitaire du Covid-19 au printemps 2020, estime la Cour des comptes dans l'étude qu'elle consacre à la question dans le cadre de la publication, le 18 mars, de son rapport public annuel 2021. Cependant, ce que l'on a appelé la "continuité pédagogique" n'a pas été sans difficultés, en particulier pour certaines catégories d'élèves.

Au chapitre des satisfactions, la Cour des comptes commence par évoquer "un relais rapide assuré par le service public numérique pour l’éducation". Une performance rendue possible par le Centre national d’enseignement à distance (Cned) qui a permis aux enseignants de faire classe à leurs élèves en visioconférence sécurisée dès l'apparition des premiers foyers d'infection. L'offre s'est également appuyée sur les espaces numériques de travail (ENT) mis en place par les départements et les régions et quasi généralisés dans le secondaire. "L’ensemble de ces moyens présentaient l’intérêt d’être à la main des pouvoirs publics et prêts à l’emploi, offrant ainsi une solution opérationnelle", pointe la Cour des comptes. Mais dès le 16 mars, premier jour du confinement national, l’affluence des usagers "a saturé réseaux et services". Si en quelques jours ces services publics étaient renforcés, ce court laps de temps a suffi pour que "certains enseignants" se tournent "vers des services grand public n’offrant pas la même sécurité".

Difficulté matérielle

Le point noir n'est toutefois pas à chercher du côté de cette fuite et de ces "usages parallèles". La Cour des comptes montre en effet que "certains publics scolaires ont rencontré des difficultés particulières dans le cadre de l’école à distance". Tout d'abord les écoliers, alors que seules 13% des écoles sont dotées par leur commune d’un ENT et que les professeurs des écoles sont peu formés à la pédagogie appuyée sur le numérique. "Pour [les écoliers], résume la Cour, la continuité pédagogique a surtout reposé sur la capacité de leurs parents à prendre le relais des maîtres, au risque d’un accroissement des inégalités scolaires." De fait, les premiers résultats des évaluations nationales montrent "un impact réel mais limité de cette période sur les compétences des écoliers". Autres élèves en difficulté : ceux dits "à besoins particuliers", pour lesquels les ressources numériques n’ont pu se substituer efficacement à l’aide scolaire dont ils bénéficient en classe.

Mais ce sont surtout les élèves de l’éducation prioritaire (EP) et de certaines classes de l’enseignement professionnel qui ont pâti de l'enseignement à distance. Le rapport indique ainsi que 18% des collégiens scolarisés en EP se sont trouvés en situation de décrochage, contre 9% pour les collégiens de l’enseignement public scolarisés hors EP et 4% pour les collégiens du privé. Pour eux, la difficulté a d'abord été matérielle : 600.000 élèves, soit 5% du total, sont démunis d'un accès à un équipement numérique connecté, quand d'autres souffrent du partage intrafamilial des équipements ou d’une connexion de mauvaise qualité. Les académies ultramarines montrent, à cet égard, "des taux de rupture numérique très élevés". La Cour note néanmoins la "mobilisation de l’Éducation nationale, en partenariat avec les collectivités territoriales ou d’autres acteurs publics ou associatifs" pour pourvoir à une partie des besoins.

Difficulté culturelle

La difficulté s'est aussi avérée d'ordre culturel. La Cour parle d'"usages bridés par une faible acculturation au numérique dans le monde scolaire et qui n’ont apporté qu’une contribution modérée à la poursuite des apprentissages". En d'autres termes, il y avait d'un côté "une minorité d’enseignants […] en mesure d’appuyer sa pédagogie sur des outils numériques", et de l'autre des élèves aux "compétences numériques inégales". La Cour pointe encore les lacunes de l'organisation collective des établissements. Ici, la coordination entre enseignants pour l’organisation de l’emploi du temps et de la charge de travail des élèves "a particulièrement fait défaut". Les élèves ont ainsi été "confrontés à une mosaïque d’outils à consulter et aspirent à une simplification des procédures".

En conclusion, la Cour des comptes estime que "le monde scolaire n’était pas mûr" pour un basculement dans l’enseignement à distance et souligne que si le ministère de l'Éducation nationale avait donné comme objectif une continuité pédagogique avec l'intention "d’acquérir des compétences nouvelles lorsque les modalités d’apprentissage à distance le permettent", dans les faits l'ambition prioritaire a été, plus prosaïquement, "de maintenir le lien avec les élèves". "L’activité principale de très nombreux enseignants, comme des conseillers principaux d’éducation (CPE), durant les premières semaines de confinement, est passée par le téléphone, pour contacter les élèves", peut-on lire dans le rapport.

Parmi les recommandations de la Cour, on notera la mise en place du socle numérique de base dans les écoles, collèges et lycées, en généralisant la négociation en académies avec les élus et leurs associations, la mise en œuvre dans chaque établissement d'un plan de continuité pédagogique opérationnel reposant sur des choix partagés quant aux procédures et outils, ou encore l’accès gratuit, lors des périodes de crise et pour des catégories d’élèves à déterminer, à des données au-delà de leur forfait en négociant avec les opérateurs de téléphonie mobile.