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Mon père, cet horloger

Ils ont grandi près de l’atelier de leur père, horloger de son état. Ils ont suivi sa trace. Célèbres ou méconnus, quatre « filles et fils de » racontent la transmission de la culture de la montre.

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Publié le 21 mars 2021 à 23h25, modifié le 30 mars 2022 à 16h34

Temps de Lecture 6 min.

David Candaux et son père, Daniel.

« A la vallée de Joux, entre bûcheron, fromager, horloger ou micromécanicien, on a vite fait le tour », avoue David Candaux, horloger indépendant et fils de Daniel Candaux, un des rares horlogers à avoir monté des grandes complications dans les années 1970 et 1980.

Dans ces montagnes du Jura suisse comme ailleurs, le métier s’est transmis de père en fils durant des siècles. Des géants de la période classique, Breguet, Leroy, Berthoud, ont donné leur savoir, puis leurs ateliers, à leurs fils. Et quand ils n’en avaient pas, à leurs gendres.

« Avec un père et un frère horlogers, et ma mère qui travaillait à la boutique, imaginez les discussions familiales ! », Carole Kasapi, responsable de la stratégie de développement mouvements chez TAG Heuer.

Aujourd’hui, Venla, Carole, Anne-Laure et David, enfants d’horlogers, sont devenus à leur tour praticiens de la montre. Tous sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits. Et, contrairement à Obélix, ils ont eu le droit de reprendre de la potion magique.

Le poids du patronyme, quand il est grand, est-il facile à porter ? L’ombre de l’excellence de ces pères horlogers n’est-elle pas trop lourde ? A-t-on seulement le choix, au moment d’envisager son orientation, d’éviter une industrie si prégnante dans les régions enclavées où elle est installée ?

La transmission patriarcale a en tout cas pris fin, lentement. Si les femmes ont toujours travaillé dans les manufactures, il faudra attendre les années 2000 pour que le métier d’horloger à proprement parler se féminise vraiment. Hier reléguées à des tâches moins nobles, les filles se sont mises au centre du jeu. Carole Kasapi, elle, a visé le sommet.

Responsable de la stratégie de développement mouvements chez TAG Heuer, la quinquagénaire s’est distinguée pendant dix ans à la tête du développement mouvements de Cartier, dont sont sorties les créations les plus folles de la décennie 2010. Son père était horloger restaurateur dans le 5e arrondissement de Paris. « J’ai plein de souvenirs dans son atelier. Des sons, des odeurs, des images de pendules qui sont en réglage. Les histoires de mythologie que racontent les sujets d’une horloge, se remémore-t-elle. Il y avait des tiroirs où on avait le droit de fouiller, des vieux mouvements de réveil. »

Un atelier sous les combles

Anne-Laure Parmigiani travaille avec son père de près ou de loin depuis vingt-cinq ans. A la tête du développement produit de la marque, confidentielle et prestigieuse, qui porte son nom, elle a la main sur la création.

Anne-Laure et son père, Michel Parmigiani.

De formation artistique, elle a bifurqué vers l’horlogerie faute de perspectives ailleurs. « J’ai eu le déclic en gravant une boîte de montre lors de ma dernière année à l’école d’art de La Chaux-de-Fonds. J’allais sûrement travailler toute ma vie dans l’horlogerie sans comprendre comment ça fonctionnait ! », s’exclame-t-elle.

Mais, plus que les débouchés, sa motivation véritable a pris sa source ailleurs. « Mon père m’a toujours présenté les choses sous l’angle de la passion. » Le mot revient chez tous, condition indispensable à leur épanouissement professionnel.

Autre constante, chez ces quatre horlogers : ils ont été libres de leur choix professionnel. « Tous les soirs, en sortant de l’école, j’allais dans l’atelier. Alors, forcément, dans ce cadre-là… Mais la seule obligation était que je fasse une école en Suisse », note Carole Kasapi. Tôt ou tard, il s’est imposé comme une évidence, sans que rien ni personne ne les y pousse. Encore moins l’idée d’hériter un jour d’une affaire florissante.

La vallée de Joux avec lac de Joux et le sommet Dent de Vaulion, en Suisse.

Dès avant la naissance de David, Daniel Candaux avait été employé par les plus grandes marques, dont il n’a jamais été actionnaire. M. Parmigiani, bien que la maison porte son nom, n’en possède pas une part, sinon morale et éthique, et sa fille non plus. L’atelier du père de Carole Kasapi n’a jamais eu une valeur importante. Pour la jeune Venla Voutilainen, 20 ans et des poussières, la question de la succession ne se pose pas encore. Son père, Kari Voutilainen, l’un des horlogers indépendants les plus connus et respectés, est encore jeune.

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Quand Carole Kasapi a émigré des faubourgs parisiens à La Chaux-de-Fonds, capitale mondiale de l’horlogerie, ce métier n’avait pas encore d’avenir. L’école horlogère où elle a étudié venait seulement de rouvrir ses classes pour elle et une autre élève. Pour David Candaux, 43 ans, qui a grandi, habite et élève ses enfants à 600 mètres de l’usine Jaeger-LeCoultre dans la vallée de Joux, y entrer n’avait rien d’une évidence. « A 13 ans, notre voisin m’a incité à visiter Jaeger et j’ai passé une journée magique, se souvient-il. J’y suis entré en apprentissage en même temps qu’à l’école d’horlogerie, celle qu’avait faite mon père. »

Il faut dire qu’à la maison la transmission horlogère s’est aussi faite de manière informelle. « Avec un père et un frère horlogers, et ma mère qui travaillait à la boutique, imaginez les discussions familiales ! », s’amuse Carole Kasapi. En Suisse, la ferme horlogère, où l’atelier est situé sous les combles, où la lumière est la meilleure durant les hivers sous un mètre de neige, n’est pas qu’un lieu. Le climat, la géographie, le village sont depuis quatre cents ans des déterminants fondamentaux de l’industrie horlogère.

David Candaux habite et travaille dans un bâtiment de ce genre de la vallée de Joux. « Mon père ramenait son travail à la maison, des montres de poche en or jaune de chez Heuer, Patek Philippe ou Gérald Genta. Et je faisais waouh ! se souvient-il. Quand j’ouvrais ces tourbillons, ces répétitions minutes, c’était encore waouh ! Je devais avoir 4 ans. »

« Maçon, ou tagueur »

Venla Voutilainen, elle, n’a pas grandi dans un atelier. « Mon père n’avait pas d’atelier à la maison. Il était situé tout près, dans le village de Môtiers. » A l’époque, l’horlogerie ne lui effleurait pas l’esprit. « Vous allez être déçu, je n’ai pas eu le déclic à cause de mon père ! A 14 ans, j’ai visité une exposition de métiers, où j’ai pu monter et démonter un mouvement. »

Aujourd’hui installée à Singapour, travaillant au service après-vente d’un géant de la distribution de la haute horlogerie locale, elle n’a plus un accès quotidien à l’encyclopédie vivante qu’est Kari Voutilainen, professeur et praticien d’horlogerie. « En pratiquant le SAV, je comprends mieux certains choix de mon père. Les choses sur lesquelles il s’est concentré pour augmenter la fiabilité », poursuit-elle.

Carole Kasapi, elle, ne fait en réalité pas le même métier que son père, même s’ils ont la même appellation. « Mon père était dans la restauration, la fin de vie de l’objet. Moi, je suis à l’autre bout, dans la création, note-t-elle. Mais il m’a appris le respect de la belle mécanique, son histoire. Et la patience, pas évident pour une adolescente. »

Chez les Candaux, l’échange est permanent, depuis toujours. David travaille avec Daniel depuis qu’il s’est établi à son compte, en 2011. Ensemble, ils ont développé quelques dizaines de mouvements parmi les plus avancés de leur temps, sans que leur nom apparaisse jamais. En horlogerie, la marque est reine et règne sans partage. C’est pourquoi il a fondé la sienne, à laquelle il se consacre à 100 %, avec l’aide quotidienne de son père. Un père qui, derrière sa moustache blanche, a eu entre les mains les montres les plus complexes et précieuses des années 1970 et 1980.

David et son père, Daniel Candaux.

Ces jolies histoires de transmission continueront-elles de génération en génération ? L’aîné de Carole Kasapi étudie les sciences économiques et le fils d’Anne-Laure Parmigiani, 12 ans, veut être « maçon, ou tagueur ». Venla Voutilainen n’en est qu’au début de sa carrière. Dans l’atelier de David Candaux baigné de l’odeur d’huile de machine-outil, le petit Angus traverse joyeusement le grand atelier sous combles sur son petit cochon roulant. Un mouvement de son âge !

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