Medhi (le prénom a été modifié) n’a pas encore 10 ans, il est là, souriant. Pendant une heure peut-être, son papa sera avec lui. Les boucles brunes du jeune garçon tranchent avec les cheveux blonds retenus par un catogan de son père. Le garçon se précipite vers un grand dessin sur lequel il travaille depuis des mois, une bande dessinée plus grande que lui, qu’il complète d’une case à chaque rencontre. Ce rendez-vous dans un local de l’association Œuvre de secours aux enfants (OSE) à Paris, c’est une occasion rare de renouer avec un homme aux nombreuses addictions et avec une mère malade, qui ne peuvent lui porter l’attention dont il a besoin. Un juge a donc confié Medhi à son oncle, « un tiers digne de confiance ». Les rencontres ont lieu sous le toit de l’association, sous le regard d’une éducatrice spécialisée. Le dessin que père et fils élaborent, case après case, raconte ce lien que la famille tente de retisser. A quelques pas, Vinciane Bodelot, 25 ans, élève magistrate à l’Ecole nationale de la magistrature, observe, et tente d’interpréter ce que le dessin veut dire.
Le mot « enfant », vient du latin infant : « celui qui ne parle pas ». La justice s’applique toutefois à entendre la parole des plus jeunes, et l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) forme ses jeunes magistrats à mieux la recevoir. Un enjeu particulièrement fort, alors que le sujet de l’inceste connaît, à la faveur de la parution du livre La Familia grande (Seuil, 208 pages, 18 euros) de Camille Kouchner, un écho médiatique sans précédent – tandis qu’un texte de loi renforçant la protection des mineurs contre les violences sexuelles a été voté à l’Assemblée le 15 mars.
« Etre magistrat, c’est écouter la parole des gens et comprendre les circonstances dans laquelle la parole émerge », pose Sandra Barel, magistrate détachée, enseignante à l’ENM. Cette parole, il faut la décrypter pour être au plus près de ce qu’une personne veut dire, surtout quand elle est issue de quelqu’un de très jeune. « Il faut avoir des clés, et à l’ENM nous avons beaucoup progressé sur ce que nous donnent à voir les enfants », assure l’enseignante.
Ecole d’application
Une ombre plane toujours : celle de l’affaire d’Outreau, qui a contribué à déprécier la parole des enfants – dans la décennie qui a suivi, entre 2006 et 2016, les condamnations judiciaires pour violences sexuelles sur mineurs ont baissé de 24 % en France, selon les statistiques du ministère de la justice. Une occultation entretenue également par la théorie formulée par le pédopsychiatre américain Richard Gardner, aujourd’hui remise en cause, du « syndrome de l’aliénation parentale » et qui considère que, dans une situation conflictuelle, un enfant va rejeter l’un de ses parents sous l’influence de l’autre parent.
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