Googlisez tant que vous voulez, vous n’aurez pas grand-chose à vous mettre sous la dent s’agissant de Jean Bréhat. Lequel gagne à être plus connu que certains qui encombrent moteurs et réseaux. Cofondateur de la société 3B Productions avec Rachid Bouchareb et Jean Bigot, producteur historique d’un des plus grands cinéastes français en la personne de Bruno Dumont, il y aurait en effet matière à se monter du col. Pas le genre de la maison. Le style cultivé par Bréhat ressemble à l’île du même nom : venteux, rustique, avec un goût de l’impertinence et un gros humour en toile de fond.
Sur sa vocation, le propos est net : « Rien ne me branchait, sinon le tour du monde avec mes potes. » On le devine, Jean Bréhat avait 18 ans en 1971. Avec un père professeur de physique-chimie, il échoue sur la première partie du programme, devenant lui-même professeur de mathématiques remplaçant à l’éducation nationale, choix délibéré de non-rattachement à un poste fixe : « J’aimais pas l’ambiance. » Les anciens des collèges de Saint-Maur, Charenton ou Orly, dans le Val-de-Marne, sont priés de se signaler pour témoignages.
Il s’applique davantage sur la deuxième partie du programme. Avec ses potes de Maisons-Alfort (Val-de-Marne) – sans goût particulier pour le sac à dos et les cheveux au vent –, ils économisent de quoi acheter un Land Rover tout équipé et se payer un road trip de deux ans. A son retour, le goût du travail ne lui est pas revenu. Il vend des tableaux montmartrois fabriqués pour trois sous à Taïwan à des citoyens suisses qui croient encore à Gavroche. Ou alors, il loue des canoës en Dordogne, qu’il fabrique l’hiver en région parisienne et qu’il descend en camion : « Je n’ai pas gagné un rond mais j’ai passé de bonnes vacances. »
Amitié et respect mutuel
L’ami Jean Bigot le sauve du dilettantisme. Proche de Rachid Bouchareb, avec lequel il tourne des courts-métrages, il invite Jean Bréhat à les aider à la régie : « J’avais 30 balais, il fallait faire vite. J’ai tout de suite compris que c’était pour moi, et j’ai vite vu que la seule position intéressante que tu pouvais avoir sans talent, c’était producteur. » Il va pour cela s’obliger à faire d’abord tous les métiers du cinéma nécessaires à la compréhension fine et à la compétence de cette fonction : régisseur, monteur, laborantin, directeur de production. Humbert Balsan (1954-2005), producteur flamboyant de Bâton Rouge (1985), le premier long-métrage de Rachid Bouchareb, sur lequel il officie comme assistant-réalisateur, lui laisse un souvenir admiratif. C’est ainsi que l’Oblomov du Val-de-Marne se transforme insensiblement en Stakhanov de la production indépendante française.
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