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Télétravail, salons annulés, retards en série… L’industrie du jeu vidéo avance encore à tâtons un an après le début de la pandémie

Depuis un an, le secteur a connu une forte demande du public. Cependant, le travail à distance a perturbé le processus de création et les reports de sorties s’accumulent.

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Publié le 15 avril 2021 à 20h58, modifié le 16 avril 2021 à 08h01

Temps de Lecture 6 min.

Dotemu, studio d’édition et de développement français, est spécialisé dans la sortie de classiques rétro sur nouvelles plates-formes. Le jeu « Tortues ninjas, la revanche de Shredder » a été annoncé pour 2021.

« Depuis qu’on est jeunes, on participe à des communautés en ligne, on joue avec nos amis en ligne, on s’organise en ligne… De base, on a déjà cette culture de la distance. » Ceux qui travaillent dans l’industrie vidéoludique ont su s’adapter rapidement au télétravail massif provoqué par la pandémie, confie Cyrille Imbert, le président-directeur général (PDG) de Dotemu (Streets of Rage 4, Tortues ninja : la revanche de Shredder).

« On s’est mis au télétravail en vitesse express », abonde Sébastien Vidal, cofondateur du studio bordelais Shiro Games (Evoland, Northgard). « Discord, Slack, Zoom… ce sont déjà des plates-formes dont on avait l’habitude. Dans notre métier, c’est beaucoup plus simple de télétravailler que dans d’autres, on n’est pas à plaindre. »

Pourtant, un an après le premier confinement en France, beaucoup de studios peinent à boucler leurs jeux. Le calendrier des sorties est régulièrement bousculé : il y a encore quelques semaines, on apprenait les reports de Grand Turismo 7, Back 4 Blood ou Deathloop. Difficile de savoir si ces reports en cascade sont bien liés à un retard de leur développement ou à une stratégie des éditeurs, désireux d’attendre que les nouvelles consoles de jeux PlayStation 5 et Xbox Series X et S, encore souvent en rupture de stock, aient trouvé leur chemin jusque dans les foyers des joueurs.

Dans une année où une nouvelle génération de consoles doit arriver, « la situation est atypique ; normalement, on devrait avoir énormément de productions », signale Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), qui représente les chefs d’entreprise du secteur en France.

Une perte de productivité de 20 %

Comme Julien Villedieu le disait déjà au Monde en avril 2020, tout n’est pas rose derrière l’explosion de la pratique et la belle croissance du secteur en 2020 (+ 11,3 % en France). « Il y a eu un ralentissement très clair de la productivité au niveau des entreprises. Certains studios nous parlent en la matière d’un recul de 20 % à 30 % des équipes. »

« La majorité de nos employés nous disent qu’ils bossent aussi bien qu’avant, parfois mieux. Ce qui est pénible, c’est que c’est la productivité en tant qu’équipe et la créativité qui sont affectées », détaille Romain de Waubert, cofondateur d’Amplitude. Ce studio parisien, qui développe des jeux de stratégie originaux et exigeants, a connu un coup de frein en 2020.

Sa prochaine production, Humankind, a été reportée deux fois. Le dernier report, annoncé le 25 mars pour une sortie fixée le 17 août, était indispensable aux yeux de Romain de Waubert : « On doit être une centaine en tout à travailler sur le projet, ça a été très compliqué pour pousser la qualité de tous les côtés en étant totalement à distance. Soit tu acceptes de sacrifier ta qualité, soit tu retardes… C’est donc ce qu’on a choisi pour Humankind. » Une situation qu’il juge être « un luxe », le studio – jusqu’ici indépendant – ayant été racheté en 2016 par l’important éditeur japonais Sega.

Shiro Games, qui distribue ses propres jeux, n’a pas non plus la pression extérieure d’un éditeur. Sébastien Vidal accepte de prendre plus de temps pour détecter des bugs ou élaborer des concepts de jeux différents : « Aujourd’hui, sur les jeux en phase de prototypage, c’est beaucoup plus compliqué. On a perdu en spontanéité dans le quotidien du développement qui passait beaucoup par l’oral et par l’itération », poursuit-il.

Le jeu vidéo, une création collective

Avant la crise sanitaire, une minorité de studios indépendants avait déjà des équipes éclatées dans différentes régions, voire pays, et expérimentait déjà le télétravail. C’est le cas d’Accidental Queens (créateur d’A Normal Lost Phone), qui considère cependant avoir pris plusieurs mois de retard sur la préproduction de son prochain jeu à cause de la pandémie : « On est une petite équipe, dont beaucoup des membres sont en free-lance et à distance. Ce qui nous manque, ce sont des points réguliers, deux fois par mois, et d’être ensemble dans la même pièce à écrire sur un tableau pour exprimer une idée qui passerait mille fois mieux comme ça. »

« C’est pour les juniors que c’est le plus dur. Un premier emploi complètement en télétravail ne leur permet pas de profiter de l’expérience des seniors », note France Quiqueré

Faire circuler l’information de façon plus efficace a été le plus complexe. « L’un de nos plus gros défis a été de faire face à la saturation de communication écrite et à la pression du temps d’écran », déclare l’Américaine Mary Olson, responsable de la production chez Midwinter Entertainment (Scavengers). « Il a été plus difficile pour l’équipe de trouver un moyen de compenser la communication rapide et directe que nous avions en partageant un espace de bureau. » Une multiplication des visioconférences dans les premières semaines du confinement a aussi pu ralentir le travail d’équipes d’autres studios.

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Tous n’expérimentent pas les même difficultés : France Quiqueré, designeuse d’interfaces au sein du studio britannique Sumo Digital (Hood : Outlaws & Legends) rapporte que son entreprise n’a pas subi de retards importants en raison de la pandémie, qui a pourtant sévèrement touché la Grande-Bretagne. Mais elle a dû affronter d’autres défis : l’intégration des nouveaux arrivants, particulièrement les plus jeunes, est devenue un casse-tête. « C’est pour les juniors que c’est le plus dur. Un premier emploi complètement en télétravail ne leur permet pas de profiter de l’expérience des seniors. Difficile pour eux de savoir qui est qui ou qui fait quoi et qu’on leur raconte le processus habituel de création d’un jeu », déplore Mme Quiqueré.

Moins de rencontres

L’annulation de grands événements en 2020 (et leur transformation en événement « en ligne » en 2021), comme celle du Salon américain de l’E3 ou de la Gamescom de Cologne, a aussi bouleversé les habitudes. « C’est une industrie où le contact humain est très important, car on se rencontre beaucoup au cours d’événements », avance Julien Villedieu. « L’année est ponctuée de ce genre de rendez-vous. Pour signer des contrats, c’est plus compliqué avec des rendez-vous business qui se font en visio. »

Pour Diane Landais, d’Accidental Queens, les annulations du Game Camp de Lille ou de la Game Connection lui ont par exemple enlevé des « deadlines potentielles », pour montrer des premières versions de son prochain jeu à d’autres équipes ou à des éditeurs.

Les entreprises qui éditent les jeux ont aussi changé leurs pratiques. Les sessions de tests préliminaires des jeux en physique ont dû évoluer : « Confronter le produit à des joueurs, pour voir s’ils comprennent et s’ils éprouvent du fun à y jouer est un point important avant la sortie d’un jeu. Ça se passait dans nos locaux et ce n’est plus possible », rappelle Théophile Gaudron, responsable de l’équipe contenu chez Focus Home Interactive.

L’éditeur propose désormais à ses testeurs bénévoles de se connecter en ligne par le cloud. Il peut observer l’écran du joueur en direct, mais l’absence d’image de la personne en train de jouer les prive de la lecture du langage corporel. « Par exemple, on ne peut pas voir quand le joueur est agacé, avance Théophile Gaudron, qui nuance toutefois : ça a aussi pour avantage de laisser la personne jouer dans son environnement habituel et de lui faire gagner du temps de transport. » Il envisage ainsi de conserver une partie de ces tests en ligne une fois la pandémie terminée.

Les bonus du télétravail

« Le temps plein au bureau, c’est terminé. Plus personne n’en a envie, moi y compris. Cela a donné un certain confort de vie », conclut Cyrille Imbert, le président de Dotemu. Comme lui, la totalité des studios contactés pour cet article considèrent qu’un retour à la situation d’avant la pandémie n’est plus envisageable.

« Tout le monde est au courant que le télétravail va rester possible, mais on va y aller petit à petit pour bien doser, estime Marina Cabley, qui s’occupe des ressources humaines chez Amplitude. Si on ne met pas ça en place, il sera plus difficile de garder nos talents ou d’en attirer d’autres. » Le marché de l’emploi a ainsi été profondément remodelé en un an, comme le constate Julien Villedieu : « Avant, les entreprises allaient s’installer là où étaient d’autres entreprises talentueuses, maintenant, tout est en remote – en télétravail. C’est une nouveauté : la chasse aux talents est planétaire. »

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