« Ce n’est pas parce qu’on a cassé le thermomètre que le problème n’existe pas », résume Benjamin Moignard, professeur à CY Cergy Paris Université. L’image traduit le sentiment de nombre de spécialistes de l’école à l’égard du « tabou » entourant la question de l’origine ethnique dans le système scolaire. « Les seules informations disponibles sont les nationalités des élèves et de leurs parents, et encore, elles ne sont pas toujours précisées, abonde Maïtena Armagnague, professeure de sciences de l’éducation à l’université de Genève. Dès qu’un élève a la binationalité, il disparaît des statistiques en tant qu’étranger. » Comment l’école peut-elle, alors, évaluer le rôle des origines dans les trajectoires des élèves, et, partant, dans la construction d’éventuelles inégalités ?
La sociologie scolaire a démontré, de longue date, la surreprésentation des enfants issus des classes moyennes et aisées dans les filières générales du lycée, puis dans les études supérieures. Elle a plus de mal, en revanche, à mesurer l’effet des origines, de même que celui d’une ségrégation socio-ethnique « visible à l’œil nu » dans certains établissements, défend Françoise Lorcerie, directrice de recherche émérite au CNRS. De nombreux spécialistes font état d’une « crispation » du ministère de l’éducation nationale – qui n’a pas souhaité répondre au Monde – à ce sujet. « Pour eux, ça n’existe pas, s’agace Benjamin Moignard. Quand on demande des données, on nous répond que l’école républicaine n’a pas à s’en préoccuper. »
En matière scolaire, la difficulté à prendre en compte le facteur ethnique dans l’étude des inégalités est double : l’école est porteuse d’un idéal d’intégration et d’égalité de tous, et démontrer d’éventuelles discriminations y est plus difficile qu’ailleurs. On peut moins facilement recourir au testing pour révéler un biais qu’en matière de logement ou d’embauche. Les chercheurs utilisent donc les panels de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), les données de l’Institut national d’études démographiques (INED) – enquêtes TeO – et celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – enquêtes PISA –, qui donnent la nationalité des enfants et de leurs parents.
Combinaison de facteurs
La littérature scientifique est sans appel : les enfants d’immigrés ont moins de chances d’obtenir un baccalauréat général que le reste de leur cohorte, ils sont concentrés sur les filières post-bac les moins prestigieuses et les plus courtes et ont, en moyenne, plus de risques de sortir sans diplôme du système scolaire. Dans le détail, l’origine sociale reste première dans l’explication des différents parcours.
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