Comment Google Maps transforme-t-il le voyage ?

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Comment Google Maps transforme-t-il le voyage ?

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Google Maps
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© Getty - OPA Images

Pratique, rapide, gratuite… L’application Google Maps sortie en 2005 a révolutionné notre façon de voyager.

La pirogue de bois s’engage sur l’un des multiples bras secondaires du fleuve Sépik, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les berges se resserrent, les hautes herbes se font plus denses, les moustiques plus entreprenants. Désorienté par les multiples embranchements, je décide de consulter Google Maps sur mon téléphone. La carte numérique s’affiche, la position de l’embarcation aussi. Et là, surprise ! Pour le GPS, point de rivière ici, notre pirogue navigue sur la terre ferme.

En ce mois de septembre, le soleil tape fort. Alors, je trempe ma main dans l’eau et m’asperge le visage pour vérifier que je ne suis pas victime d’hallucinations. Le bruit du moteur hors-bord ne s’estompe pas, le tangage se poursuit, tout va bien.

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Dans la région marécageuse du Sépik oriental, la physionomie du fleuve change en permanence au gré de la météo. Des cours d’eau se créent puis disparaissent plus vite que ne sont actualisées les cartes numériques de la multinationale. Ainsi, sur ce territoire où l’immense majorité des trajets s’effectuent par le fleuve faute de routes terrestres, mon smartphone ne m’est d’aucune utilité pour me repérer.

Un réflexe qui modifie notre façon d'appréhender les voyages

Avec mes compagnons du jour, nous ne pouvons plus compter que sur James, guide local et capitaine de la pirogue. En ce lieu, son expérience, sa connaissance du terrain, sa mémoire se révèlent bien plus fiables que les technologies de cartographies numériques embarquées dans mon téléphone.

Allongé au fond de cette embarcation qui file dans ce labyrinthe d’eau et de boue, l’absence de Google Maps me fait réaliser à quel point, pour moi comme pour nombre de globe-trotteurs et touristes, les applications de cartographie sont devenues un réflexe et ont transformé notre manière de préparer, d’appréhender et de vivre les voyages.

Depuis son lancement en 2005, Google Maps a bien évolué. De « simple » service en ligne de cartographie offrant la possibilité de visionner des images vues du ciel, l’application s’est métamorphosée en assistant qui permet de gérer tous les aspects pratiques du voyage depuis un smartphone ou un navigateur internet. Possibilité d’estimer un temps de trajet en fonction de la circulation et du type de véhicule utilisé (voiture, transports en commun, à pied…), sauvegarde de cartes en Hors-ligne, recherche de points d’intérêts, d’hôtels ou de restaurants triés par critères, notés et commentés par des utilisateurs…

En 15 ans, le service s’est enrichi de dizaines de fonctionnalités tout en restant gratuit, rapide et simple d’utilisation. Preuve en est le nombre d’utilisateurs mensuels : plus d’un milliard d’après les chiffres dévoilés par Google en 2019.

Arrivée de la fonctionnalité Street View

Street View. Derrière ces deux mots se cachent probablement l’une des fonctionnalités les plus intéressantes de Google Maps pour qui souhaite préparer un voyage ou un reportage. Déployé en 2007, ce service de navigation virtuelle dans des panoramas à 360° permet de pré-visiter des lieux, mais aussi de visionner des photographies géolocalisées qui ont été téléchargées par des utilisateurs déjà passés par là.

L’intérêt ? Aller au-delà des clichés touristiques réalisés par des professionnels et se faire une idée de l’apparence réelle d’un endroit, de sa beauté, de son accessibilité. Et par là même jauger de la pertinence de s’y rendre. L’objectif premier de la création de Street View était d’ailleurs de « prendre des photos de tous les coins et recoins de la planète afin que les gens puissent voyager dans le monde entier simplement en consultant leur téléphone ou en restant dans le confort de leur maison» , selon Drew Olanoff, ex-journaliste du magazine spécialisé dans l’actualité des startup TechCrunch.

Depuis, plus de 16 millions de kilomètres ont été retranscrits en imagerie 360° grâce à des appareils photo installés sur le toit de voitures, sur le sac de randonnée d’amateurs de trek, et même sur le dos de moutons ou de chameaux.

Pour certains romanciers, Street View apparait même comme une nouvelle façon de voyager. Pour eux, finis les voyages d’un an en Orient à la François-René de Chateaubriand pour écrire Les Martyrs, publié en 1809. Terminées les semaines en immersion dans les mines birmanes à la Joseph Kessel pour rédiger La Vallée des rubis, paru en 1955. Le temps est aux visites virtuelles.

En 2008, Bernard Werber présentait ainsi le recueil de nouvelles Paradis sur mesure, sans s’être rendu à Carnac, où se déroule l’un des récits. «Je suis allé sur place une fois l’écriture terminée», explique-t-il en 2011 lors d’une table ronde au Salon du Livre. Pour lui, les images disponibles sur l’application ainsi que les noms de lieux que «l’on découvre en zoomant» permettent de faire «fonctionner l’imaginaire différemment». D'ailleurs, grâce à Google Maps, ses « personnages se sont mis à voyager beaucoup plus ».

Google Maps en temps de confinement

En temps de confinement et de restrictions, l'application permet aussi de découvrir l'ailleurs sans bouger de chez soi. Le nombre de kilomètres couverts par Street View augmente chaque jour et propose même de visiter l'intérieur de certains bâtiments.

Les plans de certains commerces sont ainsi disponibles directement dans l’application et, via Google Arts&Culture, près de 1200 musées de par le monde sont visitables virtuellement. Dans le monde de l'"après-Covid", certaines des visites proposées par la multinationale devraient même ne rester accessibles que sur Google Maps pour un grand nombre de Terriens. C'est le cas par exemple de l'intérieur de la Station spatiale internationale ou de la surface des planètes Mars ou Jupiter.

D'autres applications pour préparer son voyage

Lorsque je prépare un reportage ou un voyage (réel), j’effectue des recherches à partir de sources multiples. Je consulte des guides, des blogs, des articles de presse, des comptes instagram. Je visionne des vlogs de Youtubeurs. Je consulte Street View. J’interroge des amis s’étant déjà rendu sur place. Et, pour trier la masse de lieux repérés et visualiser leur disposition sur une carte, j’utilise MyMaps, un service de cartes personnalisées proposé par Google Maps.

Lieux d’intérêt, restaurants, hébergements… Il est possible d’attribuer un visuel différent pour chaque catégorie et de commenter chaque entrée. À partir de là, un parcours se dessine souvent naturellement. Pour le compléter, j’utilise aussi l’application Mapstr qui permet de créer et partager ses cartes avec des amis. En bref, l’entreprise française a transformé le concept de MyMaps pour en faire un réseau social grâce auquel je peux découvrir des bars, des restaurants, des lieux à visiter qui ne figurent pas forcément dans les guides. Puis, au cours du voyage, je peux moi-même partager mes trouvailles. D’influencé, je deviens, à mon niveau, influenceur.

Voyager à l'ère du post-tourisme

Mais l’intérêt de MyMaps et Mapstr réside aussi dans la sensation d’avoir créé un parcours personnalisé à l’extrême en fonction de goûts et d'attentes qui me sont propres. Et par là même, j’ai l’impression d’être moins « touriste » et de ne pas aller là où tout le monde veut se rendre. Une sensation décrite par Allie Fisher, directrice du design de Wired, dans les colonnes de son magazine :

Je me tiens à l'extérieur de la Casa Azul de Frida Kahlo à Mexico, et je ne sais que faire. Le quartier m'est inconnu, et j'ai besoin de déjeuner. […] Je sors mon téléphone et je repère, tout proche, un stand de ceviche suggéré par mon ami Eric. Ce fut l'un des meilleurs déjeuners de mon voyage. Ce repas inattendu a été possible parce que j'avais compilé les suggestions de mes amis dans une carte Google Maps personnalisée. Et contrairement à un guide, cela ne m’encombrait pas et ne me faisait pas passer pour une touriste.

Ces voyageurs souhaitant visiter un lieu étranger sans passer pour des touristes portent un nom : les post-touristes. Ce concept créé en 1985 par l’auteur Maxine Feifer nomme ainsi les touristes souhaitant construire une expérience personnelle loin de l’industrie touristique, des grandes attractions et qui recherchent l’authentique. Près de 35 ans plus tard, il semblerait que les outils de cartographie développés par des startups et des géants du numériques aient facilité, par la création de parcours personnalisés, l’apparition de la sensation de vivre une expérience « hors des sentiers battus ».

Mais la quête de l’authentique, de l’inédit, n’est pas toujours à portée de clic. Google Maps, Mapster ou Maps.me – une application de cartes fonctionnant même sans connexion – sont des outils pratiques pour préparer un voyage, mais ils ne doivent pas faire oublier que la beauté de ce dernier réside bien souvent dans l’inattendu, les rencontres, l’imprévu. Tout comme regarder la Joconde uniquement par le viseur d’un appareil photo casse la magie du tableau, visiter un pays en suivant uniquement un trajet prédéfini dans Google Maps n’a pas grand intérêt.

Voyager, c’est déambuler, errer, se perdre et accepter l’aide des locaux. Partager le repas traditionnel de Norouz au sein d’une famille iranienne avec ma compagne, manquer de s’ensabler dans le désert de Dasht-e Kavir avec un habitant de Kashan, apprendre à faire sécher du poisson avec un ex-pêcheur de Tjørnuvík aux Iles Féroé, être guidé dans d’anciens hammams de Tripoli au Liban… Toutes ces expériences fortuites, fruits de rencontres inopinées, figurent parmi les plus fortes et enrichissantes de ma vie. Elles auraient eu peu de chance de se produire si moi ou mes compagnons nous en étions tenu aux plans définis à l’avance.

D’autant que les applications de cartographies ne sont pas exemptes de défauts. J’ai pu le constater en septembre dernier lors d’un reportage en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Je travaille alors avec un photographe spécialiste du pays. Nous sommes hébergés à Wewak, capitale du Sépik oriental, par un médecin travaillant à l’hôpital de la ville. Nous devons nous rendre le lendemain à Angoram, l’un des principaux points d’entrée du Sépik, où nous y attend une pirogue. Pour me faire une idée du trajet à venir, je sors mon téléphone, consulte Google Maps et annonce : « 105 kilomètres, on devrait mettre deux heures selon l'application ! » Mes deux interlocuteurs se regardent, puis éclatent de rire. Je n’ai pas encore l’expérience des routes du pays hors de Port-Moresby, la capitale. Eux, si : « Ici, Google Maps est bien souvent très optimiste, me confient-ils. On peut mettre une heure trente, comme la demi-journée. Cela dépendra de l’état de la route. »

Effectivement, malgré l’apparente solidité de l’énorme 4*4 dans lequel nous grimpons, le véhicule souffre. Les trous creusés par les pluies passées constellent la route de terre et mettent les amortisseurs à rude épreuve. Malgré cela, nous sommes chanceux : il n’y a pas de boue, le véhicule est neuf et nous ne subissons aucune attaque dans ce pays où les car-jacking sont légions. Nous atteignons finalement notre destination en 2h45.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée n’est pas le seul pays à pâtir du manque de précision du service de la multinationale. Début 2019, des commerçants de l’Outback australien ont ainsi accusé l’entreprise américaine de ruiner le tourisme en fournissant des estimations de temps de trajet erronés. Le service de cartographie annonçait ainsi 11h de voiture entre Birdsville et Windorah dans le Queensland, contre presque trois fois moins dans la réalité. Face aux plaintes des entrepreneurs lésés, l’erreur a depuis été corrigée. Mais combien d’autres subsistent ?

Autre problème, en Italie cette fois. En 2018, 144 personnes se sont retrouvées coincées en voiture sur des routes impraticables ou des chemins de randonnés après avoir suivi les indications de Google Maps. Face au coût des sauvetages et pour éviter d’autres incidents, le maire de Baunei, en Sardaigne, a fait installer des panneaux annonçant : «Ne suivez pas les instructions de Google Maps».

Google Maps adapte les frontières selon le lieu de consultation

L’injonction de ce maire pourrait aussi s’appliquer à la vision politique de Google Maps en termes de représentation des frontières. «On s’est aperçu que Google Maps mentait», a ainsi déclaré à Libération le créateur de l’émission Le Dessous des Cartes Jean-Christophe Victor.

En 2016, à l’occasion de la sortie de son livre Le Dessous des cartes – Asie, l’expert en géopolitique a révélé que l’entreprise américaine ne prenait pas comme référence les cartes des Nations Unies mais adaptait le tracé des frontières en fonction du lieu de connexion. Et ce, afin de «s’adapter à la vision de chaque partie», toujours selon Jean-Christophe Victor.

La représentation de la frontière himalayenne entre l’Inde et la Chine n’est ainsi pas la même en consultant le site depuis Pékin ou Delhi : «Le même problème existe sur la représentation du Sahara occidental, du Chili, de la Crimée, d’Israël… Google accepte de faire disparaître des territoires entiers pour conquérir des marchés. C’est une profonde malhonnêteté intellectuelle.»

Malgré les critiques et ses défauts, Google Maps semble s’imposer de plus en plus comme un compagnon de voyage incontournable, s’enrichissant de nouvelles fonctionnalités en permanence. Depuis 2017, il est possible de réserver un hôtel ou une table directement depuis l’application et, depuis l’année dernière de voir en image les plats proposés par un restaurant. Quant à la réalité augmentée, elle permet déjà de superposer les indications de Google Maps sur de vraies rues grâce à l’appareil photo d’un smartphone. Des innovations intéressantes, pratiques pour certaines, mais qu’il faut parfois, pour profiter pleinement du voyage, savoir laisser de côté.

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