Étudiants en tourisme et en restauration : la crise de foi ?

ÊTRE ÉTUDIANT EN TEMPS DE PANDÉMIE – Difficile de se projeter quand on se forme aux métiers de la restauration, du tourisme et de l’hôtellerie. Trois secteurs quasiment à l’arrêt depuis un an. En BTS, en licence professionnelle ou en master, les étudiants peinent à rester motivés.

Par Marion Rousset

Publié le 27 avril 2021 à 12h10

Mis à jour le 27 avril 2021 à 10h10

En septembre, Élise avait repris espoir. Cette étudiante en troisième année de licence professionnelle métiers du tourisme et des loisirs avait retrouvé ses professeurs et ses camarades. Plus inespéré, elle avait déniché un contrat en alternance dans le Nord-Pas-de-Calais au centre d’histoire de La Coupole, abrité dans un bunker de la Seconde Guerre mondiale. Elle projetait de monter un salon des civilisations sur le thème de l’Irlande et rêvait d’une première expérience à l’étranger, dans le domaine de l’accueil. Les frontières rouvraient peu à peu, voyager était de nouveau possible. Puis vint le confinement de l’automne. Élise a été stoppée net dans son élan. Ses cours ont rebasculé en distanciel et son employeur l’a mise au chômage partiel. Depuis, elle tue le temps. « Nous essayons de monter quelques projets mais la partie “accueil des visiteurs” est inexistante vu que la structure est fermée… » Ses études touchent à leur fin. Plus que deux mois avant de valider sa « licence pro », d’habitude pourvoyeuse d’emplois. Seulement voilà, elle ne sait toujours pas ce qu’elle va bien pouvoir faire après. « On ignore quand la situation va se débloquer… et si on va trouver du travail ! Du coup, j’hésite à faire une année d’études supplémentaire pour acquérir des compétences dans un autre domaine en guise de plan B. »

Des doutes partagés par nombre d’étudiants qui se forment aux métiers du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration. Trois secteurs aujourd’hui à l’arrêt, touchés de plein fouet par la crise. Comment garder la foi quand les avions sont cloués au sol, les agences de voyages fermées, les restaurants vides, les hôtels désertés ? « Certains étudiants venus de l’hôtellerie ou du tourisme souhaitent en ce moment bifurquer vers les ressources humaines, car c’est porteur d’emplois. Mais ils restent minoritaires », assure Bruno Simon, responsable pédagogique de l’ESG Tourisme, une école de commerce dédiée à ce secteur. Si la crise n’a pas remis en cause les vocations, selon lui, on observe toutefois un fléchissement de la demande. « Paradoxalement, cette légère baisse du nombre de candidatures ne concerne pas le BTS tourisme qui continue à attirer beaucoup de jeunes, séduits par notre formation en alternance dès la première année », précise Bruno Simon. Ce qui ne veut pas dire que tout baigne pour eux.

“L’important c’est de terminer ce BTS”

En BTS au lycée hôtelier de Talence depuis septembre 2020, Kourany rame pour trouver des stages. En février, elle a finalement été prise comme réceptionniste polyvalente au Novotel de Bordeaux. Coup de chance, cet hôtel situé dans la zone aéroportuaire de Mérignac présentait un taux d’occupation suffisant pour qu’elle ne s’ennuie pas. « J’ai des copines qui voulaient faire des stages à l’étranger et qui se sont retrouvées dans des Campanile où il y avait trois clients dans la journée à tout casser ! » Pour la suite, l’affaire s’annonce plus délicate. Il lui reste deux semaines pour trouver une autre entreprise pour l’accueillir. Et cette fois, ça coince. « Soit on est pistonnés, soit c’est compliqué. Quelques châteaux accueillent des stagiaires, mais il n’y a pas assez d’offres pour tout le monde », déplore-t-elle. À moins d’un mois de l’échéance, une seule élève de sa classe a trouvé son bonheur, « dans un camping ». Impossible pour Kourany, qui ne peut pas quitter son périmètre géographique sous peine de devoir abandonner son job dans un restaurant en click and collect, où elle travaille en soirée. « On avance comme on peut. S’il faut ramper, on rampe. L’important c’est de terminer ce BTS, quitte à se voiler la face », souffle-t-elle. Sauf que si on regarde les choses en face, le métier auquel elle se destine – hôtesse de l’air – a du plomb dans l’aile. Au point que ses profs lui déconseillent de s’obstiner dans cette voie. « Normalement quand on est PNC [personnel navigant commercial] on ne connaît pas le chômage, mais en ce moment c’est un des secteurs les plus sinistrés », reconnaît-elle. Pas question cependant de renoncer : « Comme je suis butée, je vais quand même tenter ma chance ! »

“On prend ce qui reste”

Dans le secteur de la restauration, être apprenti en temps de Covid n’est pas non plus une sinécure. Les plus chanceux se forment à la vente à emporter, comme Julia qui fait ses armes dans un « semi-gastro » ayant pignon sur rue. Bien sûr, l’adrénaline du service en salle lui manque. « Les seuls contacts qu’on a avec les clients sont très rapides, on donne la poche, on discute un peu et on se dit au revoir… » En cuisine aussi, l’ambiance est moins motivante. Elle avait l’image d’équipes soudées qui passent plus de temps ensemble qu’avec leur propre famille, s’activent jusque tard dans la soirée, partagent des moments conviviaux, boivent un verre après le service pour décompresser. « Personnellement, c’est ce que j’aime et ce que je sais faire. Mais il y a des élèves au chômage technique, sans nouvelle de leur employeur depuis des mois et j’ai un camarade qui n’a plus de revenu du tout car son entreprise a subi une fermeture administrative », confie cette étudiante en BTS qui s’estime gâtée.

De Ferrandi à l’Institut Paul-Bocuse, les grandes écoles de la gastronomie ne sont pas épargnées. Face aux devantures baissées, elles cherchent des solutions de repli pour leurs étudiants. Eux qui se destinent à travailler dans des palaces, parfois à l’étranger, atterrissent dans des charcuteries, des boucheries, des pâtisseries… « Par dépit, on prend ce qui reste. Beaucoup n’ont pas trouvé de contrat en alternance cette année, certains se contentent de stages dans des magasins en click and collect où ils font fonction de vendeurs », raconte Chloé, en master 1 de tourisme, spécialité hôtellerie, dans une école privée. « C’est très loin de notre formation. On est censés apprendre à gérer des hôtels, monter des plans de communication, diriger des équipes… » Quelques camarades de classe ont abandonné en cours d’année, faute de pouvoir continuer à financer leurs études. Elle a été sauvée au dernier moment. Alors qu’elle essuyait échec sur échec, cette bonne élève, passée par de grands groupes, s’est vu proposer un poste administratif par son école. Juste le temps que les astres s’alignent enfin. « J’ai eu la chance que quelqu’un dans mon entourage décide de monter un bar. Je gère tout de A à Z. Sans le Covid, j’aurais évolué moins vite mais ça reste un combat quotidien de se motiver. On ne sait même pas si ça va ouvrir un jour… »

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