Il est difficile d’entrer dans le bureau de Sidonie Dumas – directrice générale de la maison Gaumont – sans être effleuré par la pensée que la firme à la marguerite effeuille cent vingt-cinq années d’histoire du cinéma. Fondée en 1895 par Léon Gaumont, fils d’un cocher et d’une gouvernante, l’entreprise devient rapidement l’un des plus grands acteurs du cinéma mondial, au coude-à-coude avec sa célèbre concurrente au coq, fondée par Charles Pathé, lui-même fils d’un boucher-charcutier. Longtemps rivales, elles tomberont un siècle plus tard dans l’escarcelle des frères Nicolas et Jérôme Seydoux, héritiers d’une des plus grandes familles de la bourgeoisie d’affaires françaises, les Schlumberger.
Des Vampires de Louis Feuillade (1915) à Intouchables (2011) d’Olivier Nakache et Eric Tolédano en passant par Loulou (1980) de Maurice Pialat, la Gaumont déroule un chapelet de succès populaires et artistiques. En 2004, Nicolas Seydoux, aux manettes depuis 1975, confie les rênes de l’entreprise à sa fille, à laquelle revient la charge de relever les défis cinématographiques du temps présent, qui ne sont pas minces.
Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des salles de cinéma pour le 19 mai. Les modalités vous conviennent-elles, avec un couvre-feu à 21 heures, une jauge à 35 %, et une probable bousculade entre les films ?
Nous avons tellement souffert de cette hibernation forcée que nous accueillons cette annonce avec joie, même si les conditions sont momentanément étriquées. L’important est d’avoir enfin une date d’ouverture, un plan de relance, et de nous remettre en ordre de marche. Avec l’aide du CNC et en dialoguant entre nous, nous allons lisser ces sorties et trouver naturellement des solutions pour ne pas nous faire de l’ombre.
Nous avons chez Gaumont dix-huit films à sortir. Parmi lesquels Adieu les cons, d’Albert Dupontel, qui a fait 700 000 entrées en une semaine avant d’être interrompu et que nous voulons reprendre dès le 19 mai. Nous sortirons ensuite Le Sens de la famille, de Jean-Patrick Benes le 30 juin, puis OSS 117, Alerte rouge en Afrique noire, de Nicolas Bedos au mois d’août.
Ce ne sera pas simple, mais il faudra bien remettre tout cela en ordre de marche et réguler les sorties. Je pense que ce sont surtout les petites structures qui vont être en danger, et il faudra y être attentif.
Comment vivez-vous cette situation depuis mars 2020 ?
Je crois que c’est la première fois dans l’histoire que la vie du cinéma s’arrête totalement. Cette expérience est à la fois étrange et angoissante. La catastrophe, même si le CNC a joué un rôle formidable durant cette période, c’est évidemment la fermeture des cinémas depuis le mois d’octobre, car nous estimons qu’il n’y a pas de risques de clusters dans les salles. Il y a eu tout de même un point positif pour Gaumont, c’est que la richesse du catalogue nous a permis de vendre beaucoup de films aux télévisions durant cette période.
Il vous reste 72.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.