« L'univers de l'enseignement vétérinaire est en plein chamboulement »

Notre consoeur Laurence Deflesselle a pris la direction d'Oniris le 16 novembre après un parcours effectué majoritairement au sein des DDPP.

© D.R.

Formation

Notre consoeur Laurence Deflesselle a pris la direction d'Oniris-école nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l'alimentation Nantes Atlantique, en fin d'année 2020, dans un contexte sanitaire inédit et un contexte professionnel qui l'est tout autant avec l'ouverture rendue possible d'écoles vétérinaires privées et des projets de création de nouveaux établissements tant publics que privés. Si elle est favorable à la diversification concernant notamment le recrutement des étudiants, elle se montre plus dubitative quant à l'ouverture de nouveaux établissements d'enseignement, surtout quand l'objectif affiché est de former davantage de vétérinaires ruraux.

La Dépêche Vétérinaire : Vous avez pris la direction d'Oniris le 16 novembre après un parcours effectué majoritairement au sein des DDPP*. Quels points particuliers de votre expertise ont, à votre avis, joué en faveur de votre nomination dans une structure d'enseignement ?

Laurence Deflesselle, directrice générale d'Oniris : Je pense que mon expérience de terrain, à la fois en santé publique vétérinaire, appui économique aux filières agroalimentaires et développement durable, au contact des milieux socio-professionnels, principalement en Bretagne et dans les Pays-de-Loire, ont pu faire résonance avec les ambitions portées par Oniris dont la principale mission est de former les vétérinaires, techniciens et ingénieurs, pour la santé et l'alimentation de demain. 

Ce qui est certain, c'est que je n'ai jamais revendiqué une expertise propre pédagogique ou scientifique mais des capacités d'adaptation et d'appréhension des enjeux. Je vois ma fonction à la direction d'Oniris comme celle d'un chef d'orchestre au service du collectif d'Oniris - personnels et étudiants - et à l'écoute de l'attente des partenaires extérieurs.

Après 3 mois et demi, je pense que ce qui m'a été utile et vraiment indispensable, dans ce début de mandat, sont mon expérience de management, de conduite du dialogue social et de pragmatisme dans la gestion et la prise de décision.

D.V. : Le contexte sanitaire a profondément modifié l'organisation de l'enseignement et des cliniques. Quelle est la situation d'Oniris aujourd'hui ? 

L.D. : Nous avons la chance de disposer de deux vastes campus qui nous ont permis d'adapter, dans le respect des gestes barrière, des mesures de continuité dérogatoires des enseignements pratiques pour les étudiants vétérinaires et ingénieurs. Une partie des travaux dirigés est également assurée en présentiel depuis quelques semaines et seule l'intégralité des cours magistraux reste en distanciel. 

Concernant les activités cliniques des étudiants des actuelles 4e et 5e années, elles ont été maintenues à l'identique depuis le début de l'année universitaire en cours. Et s'agissant des classes de BTSA, comme dans les lycées, la continuité totale des enseignements en présentiel est assurée.

Les points d'amélioration qui doivent accompagner en cohérence cette organisation restent autour de l'offre et les conditions de restauration proposées aux étudiants.

Par ailleurs, incontestablement, cette situation qui perdure depuis plus d'un an nuit malheureusement durablement à l'esprit collectif de vie d'école et de promo, ce qui peut accentuer l'isolement ou le décrochage auxquels nous sommes particulièrement attentifs.

D.V. : Votre arrivée coïncide avec celle, à la rentrée prochaine, d'une nouvelle voie d'accès aux écoles, post-baccalauréat et qui s'affranchit donc du concours traditionnel. Comment est acceptée cette nouvelle modalité dans votre établissement et êtes-vous dans les temps concernant sa mise en application ? Quelle est votre analyse sur sa pertinence ?

L.D. : Cette décision d'ouverture à un recrutement post-bac sur un cursus de 6 ans en école vétérinaire précédait ma prise de fonction et je n'ai pas identifié de rejet de cette nouvelle modalité dans l'établissement. Cette réforme s'accompagne, pour les quatre écoles nationales vétérinaires, de moyens humains et financiers complémentaires dédiés, octroyés par le ministère de tutelle pour la mettre en oeuvre. Son avancement est piloté de manière mutualisée entre les quatre écoles par le professeur Marc Gogny, ancien directeur d'Alfort et ancien directeur adjoint d'Oniris.

La dynamique des inscriptions sur Parcoursup (clôture au 11 mars) satisfait les objectifs souhaités de diversité et de sélectivité de ce nouveau mode de recrutement. En revanche, compte tenu du contexte Covid toujours incertain, le format du concours d'admission avec des ateliers prévus initialement en présentiel a été revu pour privilégier du distanciel sécurisé et contrôlé.

Je trouve, pour ma part, que cette diversification incluant davantage d'appréciation de la personnalité, du sens pratique et de la maturité de projection sur les métiers vétérinaires est tout à fait pertinente. Le modèle de recrutement basé très majoritairement sur des critères d'excellence académique a trouvé ses limites, en allongeant de surcroît spécifiquement la durée de la formation vétérinaire en France.

C'est donc, à mon avis, le sens de l'histoire que de s'ouvrir à ces modalités de recrutement modernisées qui préservent une sélectivité et ouvrent à davantage d'équité possible, territoriale et sociale. Cela méritera bien entendu une évaluation et un retour d'expérience pour améliorer encore l'efficience de ce nouveau dispositif dans les années à venir.

D.V. : L'enseignement vétérinaire vit décidément actuellement de grands bouleversements avec l'ouverture envisagée de nouveaux établissements privés et peut-être aussi publics. Que pensez-vous de cet accroissement de l'offre de formation ? Quelles sont vos craintes et vos espérances relatives à ces nouvelles structures de formation ?

L.D. : Je suis arrivée dans cet univers de l'enseignement vétérinaire en plein chamboulement effectivement !

Factuellement, il est tout à fait exact que le nombre quantitatif de vétérinaires formés issus des quatre écoles nationales vétérinaires françaises est loin de couvrir les besoins de l'ensemble des secteurs d'insertion potentiels et nécessaires, et ce constat n'est pas récent. Aussi, l'accroissement de l'offre de formation en France est logique ; elle a d'ailleurs déjà été notablement amorcée par l'augmentation significative des promotions à 160 dans nos écoles existantes et ce mouvement pourrait encore se poursuivre, sous réserve des accompagnements humains et financiers nécessaires.

S'agissant du principe d'ouverture de nouveaux établissements, je n'ai pas de crainte a priori , sous réserve que cela s'inscrive bien dans les mêmes cahiers des charges d'accréditation et d'indépendance auxquels nous sommes soumis. Il convient donc que les porteurs de ces nouvelles structures appréhendent bien dans la globalité les exigences spécifiques de création d'une filière vétérinaire, particulièrement dans un environnement où l'offre de soins est déjà structurée.

Je reste en revanche très dubitative sur ces projets de nouvel établissement, privé ou public, qui affichent l'ambition de mieux répondre à des attentes sectorielles, en particulier dans les zones rurales d'élevage. Cette analyse m'apparaît très simpliste et ne prend pas en compte la problématique beaucoup plus complexe et multifactorielle du modèle du vétérinaire rural, de nature à garantir son attractivité. Ce n'est pas qu'une question de nombre d'établissements ou d'étudiants formés et l'enjeu de renouvellement des générations dans ce secteur, c'est maintenant que cela se joue.

Il vaut donc mieux renforcer et développer les expérimentations entre les territoires, les représentants des éleveurs et des vétérinaires et les écoles de formation structurées déjà existantes.

J'ai enfin des espérances de transparence sur le volet financier susceptible d'accompagner ces nouvelles structures de formation. Si c'est public, des interrogations se posent sur l'incidence collatérale potentielle sur les établissements déjà existants. Si c'est privé, quelle coordination et cohérence possibles, notamment dans les recrutements avec les quatre écoles nationales vétérinaires existantes, de surcroît dans un contexte où des objectifs d'équité territoriale et sociale sont poursuivis prioritairement avec le recrutement post-bac déjà évoqué.

* DDPP : Direction départementale de la protection des populations.

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1565

Envoyer à un ami

Mot de passe oublié

Reçevoir ses identifiants