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Comment la réforme de la première année de médecine a déçu les étudiants
Faculté de médecine de Paris.
JÉRÔME LEBLOIS / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

Comment la réforme de la première année de médecine a déçu les étudiants

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La réforme de la première année de médecine, dite Paces, avait pour objectif de rompre avec la dureté du numerus clausus et de permettre à des étudiants de se réorienter sans perdre deux années. Un tournant raté d’après des étudiants et leurs parents.

Une première année de médecine plus éprouvante qu’avant ? Peu, parmi ceux qui l’ont tentée, auraient pensé que ce soit possible. "Je ne voyais pas comment ils pouvaient rendre ça plus inhumain, mais ils ont réussi" lâche Judith, 20 ans, étudiante en première année à la faculté de médecine de Bordeaux. Voilà dix jours que la jeune femme a passé ses concours du deuxième semestre. Soulagée ? "Ce n’est pas le bon mot. Je dirais plutôt que je suis en colère et un peu dégoûtée". Tout aussi lessivée par une année qui lui a fait perdre du poids et partir en burn-out pendant quatre semaines. "Je ne critique pas la dureté habituelle d’une première année de médecine, on savait à quoi s’attendre. Mais en réalité, cette année est deux fois plus dure pour nous", déplore l’étudiante.

Dans son viseur, le double cursus que doivent désormais suivre les étudiants en première année de médecine, soit une majeure santé et une mineure (qui peut aller de la philosophie en passant par le droit ou les sciences). Pour Judith, il s’agit d’une mineure Sciences et vie. Près de 60 heures, en plus du programme habituel déjà bien chargé. La mineure est une nouveauté intégrée par la réforme de la première année de médecine (votée en 2019).

Le sentiment d'être lésé

Objectif de l’apparition d’une mineure : éviter de renvoyer des élèves qui ont tenté médecine (parfois deux années consécutives) à la case départ d’une première année de licence dans un autre cursus. "Si je rate médecine, je suis censée aller en Sciences et vie", explique Judith, peu convaincue. De quoi contrer l’effet de gâchis d’une première voire deuxième année de L1 en médecine qui ne débouchait sur rien. "C’était une réelle demande des parents des Paces", justifie Patrice Diot, président de la conférence des doyens de médecine et doyen de la faculté de Tours.

Problème, tous les élèves n’ont pas pu choisir la mineure de leur choix, parfois faute de places disponibles, certaines filières comme Staps étant déjà sur-sollicitées en temps normal. D’autre part, parce que toutes les universités ne proposent pas les mêmes choix. Or désormais, les premières années de médecine ne peuvent plus redoubler. S’ils échouent et veulent retenter leur chance, ils doivent se diriger vers une autre licence comportant une mineure santé, avec une possibilité de pont en fin de licence 2 ou licence 3. Mais beaucoup se sentent tout de même privés d’une seconde chance. "Je n’ai pas envie d’être bloquée dans une licence qui ne m'intéresse pas", pointe Judith.

"Tout le processus de réorientation promis par la réforme est biaisé", regrette Loona Mathieu, vice-présidente de l’association nationale des étudiants en médecine de France. "Les gens ne se sentent pas bien dans leur mineure qu’ils n’ont souvent pas choisie et donc ils réorientent dès cette année. D’autant plus que l’objectif d’éviter un déversement massif des étudiants en médecine vers la première année d’autres licences est également raté".

Une réforme, sur certains points, "dévouée de son sens"

Partout en France, des centaines d’étudiants ont ainsi déjà pris la décision de repartir de zéro. "Certains se sont vus imposer 100 heures de philosophie, alors qu’ils n’ont jamais compté étudier cette matière", constate Pablo Ortega Deballon, professeur de chirurgie à la faculté de médecine de Dijon, chargé du pilotage de la réforme de la première année dans sa fac. "Sur cet objectif, la réforme est un échec. Elle est même dévouée de son sens", ajoute le médecin. D’autant que face au redoublement des Paces de l’année 2019-2020, le programme n’a pas pu être allégé, puisqu’il fallait que les doublants aient un programme identique. Une disposition de la loi de 2019. "Dans beaucoup de facs, il y a eu effort d'allègement du programme de la majeure santé, notamment à Tours", insiste Patrice Diot, avant d’admettre que d’autres "ne l'ont pas fait" et que l’on "peut aller plus loin".

Pour beaucoup de professeurs comme Pablo Ortega Deballon, la réforme a été appliquée "dans la précipitation". Résultat, des étudiants en médecine qui auraient besoin de stabilité pour appréhender un tel marathon se retrouvent dans l’incertitude. "Ceux qui savent d’ores et déjà qu’ils iront en mineure commencent à entendre que les facs n’auront pas la place pour les accueillir, alors que ça fait un an qu’ils étudient en parallèle", ajoute Ortega Deballon.

De quoi décourager des étudiants déjà épuisés par leurs heures de cours, et à laquelle la pandémie et le télétravail n’arrangent rien. "Depuis septembre, je n’ai pas eu un seul cours en présentiel. Que des conférences par zoom, mais le plus souvent des vidéos préenregistrées", rapporte Judith depuis Bordeaux. Tandis qu’à Dijon, Pablo Ortega Deballon raconte des appels au secours d’étudiants "au bout du rouleau" et deux étudiants qui ont menacé de se suicider. "On a dû mettre en place des cellules de soutien. Il y a toujours eu des tensions, mais là tout est majoré par le manque d’informations ou les informations contradictoires".

Une iniquité sur le nombre de places ?

Autre point de crispation, le nombre de places disponibles en L2. Car cette année, les étudiants PASS/LAS doivent "partager" avec les redoublants du Paces de l’année dernière. De Marseille à Montpellier en passant par Bordeaux ou Lille, beaucoup se plaignent d’une "iniquité" : les Paces ont partout près de 60 % des places qui leur sont réservées. Un nombre de places calculé, d’après le ministère de l’Enseignement Supérieur, par rapport aux taux de réussite des doublants et des primants sur les trois dernières années. "C’est injuste parce qu’on n’aura pas l’occasion de redoubler", s’agace Judith qui s’oriente vers une licence en médecine en Roumanie ou en Espagne pour l’année prochaine.

Avec les confinements successifs et le télétravail forcé, beaucoup d’étudiants ont abandonné leur logement pour retourner vivre chez leurs parents. C’est le cas de Juliette* et Lucas, 18 ans tous les deux et en première année à la faculté de Nîmes/Montpellier. Les deux étudiants ne se connaissent probablement pas. Leur mère oui. Christel et Muriel font partie, depuis février, d’un collectif nommé PAS/LAS 2 020. Des parents qui se mobilisent pour rendre "justice" à leur enfant qu’ils estiment lésés par la nouvelle réforme. "Ils travaillent sur leurs cours plus de 10 heures par jour et n’ont pas le temps de se révolter indique Christel. Alors, on se bat pour eux !" Depuis le début de l’année, près de 3 000 personnes se sont rassemblées pour dénoncer l’année éprouvante de la première année de médecine à travers la France. Leur revendication principale : une augmentation du nombre de places pour arriver à 30 % de chances de réussite pour cette année de transition spécifique.

Plus de numerus clausus mais un numerus apertus

Face à la colère des parents et étudiants, le ministère de l’Enseignement supérieur a annoncé la création de 2 000 places supplémentaires tout en rappelant que les élèves auront bien une deuxième chance de revenir en médecine à la fin de leur licence 2 ou licence 3. "Une augmentation historique", a insisté Frédérique Vidal dans un communiqué transmis à l’Agence France Presse.

"Quand on regarde les places de chacun de ces contingents, objectivement, ils n’ont pas de perte de chance, ils ont même une augmentation", assure Pablo Ortega Deballon. Dans son université de Dijon il y avait 229 places en médecine pour 1 450 étudiants l'année dernière. C’est 240 pour 1 290 étudiants cette année. Exit le numerus clausus, qui permettait à l’État de réguler le nombre de places pour passer en deuxième année, mais apparition du numerus apertus. Il laisse soin aux universités en concertation avec les agences régionales de santé d’établir un nombre d’admis. Pas de grands bouleversements comme annoncé. Et pour cause, le nombre de passages en deuxième année est conditionné par le nombre de places qui y sont disponibles. "Et ça n’a pas bougé, notamment faute de moyens", regrette Pablo Ortega Deballon. "Ce qui est indispensable c'est que cette promo ne soit pas défavorisée en termes de places et que les places accordées en LAS 2 permettent un taux de réussite à ce que les redoublants du Paces avaient", conclut Loona Mathieu. En attendant, à Marseille et à Montpellier, le collectif PASS/LAS a déposé un recours devant le tribunal administratif.

*Le prénom a été modifié.










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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne