Publicité

Jardinier urbain, ce nouveau métier qui pousse à une ville végétale et (un peu) agricole

Depuis le premier confinement, le jardinage est un des hobbies préférés des Français. Tant et si bien que certains en ont fait leur nouveau métier. Entre toits végétalisés et potagers urbains disséminés dans la capitale, nous les avons interviewés.

Entre le paysagiste qui conçoit les plans et l'agriculteur qui cultive, le jardinier urbain optimise les surfaces urbaines petites et limitées pour rendre la ville et sa périphérie plus vertes.
Entre le paysagiste qui conçoit les plans et l'agriculteur qui cultive, le jardinier urbain optimise les surfaces urbaines petites et limitées pour rendre la ville et sa périphérie plus vertes. (Shutterstock)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 29 avr. 2021 à 06:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

«J'ai donné plus d'interviews en six mois de jardinier urbain qu'en dix ans comme musicien ! » Las d'enseigner et de voir ses activités artistiques au point mort depuis le début de la pandémie, Emmanuel, 31 ans, est devenu jardinier urbain via une formation Pôle emploi pour la société Cultures en Ville. Il végétalise les toits parisiens, y plante des légumes et défriche les sols urbains pour les cultiver. Son nouveau métier « d'ouvrier paysagiste en agriculture urbaine » intrigue autant qu'il inspire.

Entre le paysagiste qui conçoit les plans et l'agriculteur qui cultive, le jardinier urbain optimise les surfaces urbaines petites et limitées pour rendre la ville et sa périphérie plus vertes. Autrement dit, « apporter le savoir-faire du monde agricole au coeur des métropoles pour répondre aux enjeux environnementaux du XXIe siècle : nourrir le monde et développer une ville agréable et durable », peut-on lire sur le site de Cultures en Ville. Des toits, des terrasses, des sols en friche… Les jardiniers urbains travaillent dans des espaces contraints mais pluriels.

« Je suis toujours dehors »

« Camion, livraisons, chargement, échardes dans les doigts, mains dans la terre, mes journées ne sont jamais les mêmes ! », s'enthousiasme Emmanuel qui s'occupe entre autres de la Ferme Suzanne, une installation intra muros de 1.500 mètres carrés dans le 15e arrondissement de Paris et du potager urbain dans le centre-siège d'Inrae, à l'autre bout de la capitale. Deux points communs demeurent : « Je suis toujours dehors : soit dans une de nos installations, soit sur un chantier et le rythme est intense ! » Parfois, le jardinier vend les produits qu'il cultive directement aux clients locavores tandis que ses homologues animent des ateliers pour les curieux.

Publicité
Outil d'inclusion sociale, l'agriculture urbaine fleurit partout en Ile-de-France, comme ici à Stains (93).

Outil d'inclusion sociale, l'agriculture urbaine fleurit partout en Ile-de-France, comme ici à Stains (93).Merci Raymond

« Quand on parle de ‘jardinier urbain' on n'image pas que certains exploitent des espaces de plus de 10.000 mètres carrés et qu'ils voient 800 personnes par jour, pointe Nadine Lahoud, fondatrice de l'association Veni Verdi qui opère sur sept sites en Île-de-France. Pourtant ce sont de véritables couteaux suisse ! » Il y a dix ans, au début de son activité, son équipe se qualifiait volontiers « d'agriculteurs urbains », mais cette étiquette s'est révélée « réductrice » tant leurs profils sont hétérogènes.

Architecte de formation devenue jardinière urbaine, Aliénor, 29 ans, n'a pas toujours les mains dans la terre. En poste depuis un an et demi chez Merci Raymond, une start-up parisienne de design végétal, agriculture urbaine et paysagisme, elle utilise ses compétences en architecture pour concevoir de nouveaux espaces verts et fertiles dans la ville - derrière son bureau. Mais, à chaque installation, elle participe aussi aux étapes « d'après », à savoir l'accompagnement des équipes sur le terrain et l'animation pour sensibiliser les citadins « à prendre part de cette révolution verte ». Elle résume : « J'ai une triple casquette ! »

Les raisons du succès sont multiples. D'abord, il y a une véritable demande. Environ 800 millions de personnes, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, font aujourd'hui de l'agriculture urbaine dans le monde, incluant tout type de culture. Ensuite, il y a de la place et de l'envie pour innover, même de la part des pouvoirs publics. La Ville de Paris, dont la maire a récemment nommé une adjointe dédiée à l'agriculture, a fait de la végétalisation urbaine une de ses promesses lors de la dernière campagne, en particulier en plantant 170.000 arbres d'ici 2026. Enfin, ce type d'exploitation est un outil parfait pour répondre aux enjeux actuels : sociaux, écologiques et circulaires. A Paris, le potentiel de développement de l'agriculture urbaine, en exploitant essentiellement de petites surfaces, serait non négligeable : la mise en culture de 10 % de celles-ci permettrait la création de 20.000 exploitations viables, capables de produire l'équivalent de 60 millions de repas par an, selon une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme en 2017.

Tantôt sociale, tantôt festive, toujours engagée

Si le marché est en plein boom, chacun y cultive sa propre patte. Pionnière, l'association Veni Verdi met l'accent sur la mixité sociale, en ciblant des publics de quartiers prioritaires et très jeunes, en lien avec certains bailleurs sociaux et les écoles. Autre approche : le collectif La Sauge, soit « La société d'agriculture urbaine généreuse et engagée », donne une tonalité festive à cette pratique, ce qui amène un autre public : de jeunes actifs urbains moins militants. Le principe est réjouissant puisque si vous aidez à jardiner, vous obtenez en retour une place offerte pour leur prochain Open Air, des concerts à ciel ouvert. Lancée en 2016, l'association a vu contribuer plus de 200.000 personnes à ces différentes activités.

Lorsqu'il s'agit de se professionnaliser les voies sont logiquement tout aussi variées. L'école du Breuil, à Vincennes, propose plusieurs formations « jardinage/agriculture urbaine » qui s'adressent à tous : de l'adulte en recherche de diplôme au Bac+4, en passant par les demandeurs d'emploi et les professionnels déjà en poste. Mais, l'offre reste encore limitée. Nicolas, 33 ans, ex-commercial dans l'agrobusiness qui vient de se reconvertir sur le tas en jardinier urbain chez Merci Raymond attend patiemment l'ouverture des inscriptions pour la session de septembre à mars prochain. « Il y a 24 places pour 120 candidats », souligne l'autodidacte qui souhaite passer un Bac pro aménagements paysagers. Les cours qui auront lieu trois soirs par semaine et tous les samedis lui coûteront environ 300 euros pour 512 heures.

Ex-commercial dans l'agrobusiness, Nicolas gère aujourd'hui 30 sites végétalisés par Merci Raymond en Ile-de-France.

Ex-commercial dans l'agrobusiness, Nicolas gère aujourd'hui 30 sites végétalisés par Merci Raymond en Ile-de-France.Nathalie Guironnet

Renommée dans le secteur, l'école nationale supérieure de paysage de Versailles a aussi développé à la marge une formation continue autour du « jardinage » destinée aux professionnels comme aux amateurs. L'objectif est de répondre à « la recrudescence de l'intérêt à cultiver, même les petits lopins de terre », nous indique l'école. Il existe également des cursus à distance, mis en place par des écoles supérieures et de lycées agricoles. Anne-Valérie, ex-pharmacienne âgée de 55 ans, va ainsi passer en juin prochain son BTS en « technicienne du paysage » après deux ans de cours suivis à l'ESA Angers, l'école supérieure d'agriculture, depuis Paris.

En parallèle de ces institutions, les acteurs de terrain se sont aussi positionnés sur le volet formation pour faire face aux besoins. « La formation s'est imposée à nous », résume la présidente de Veni Verdi qui délivre un diplôme via sa formation professionnelle de « Création d'activité en agriculture urbaine », désormais éligible au Compte personnel de formation . En trois ans, Veni Verdi a ainsi formé une quarantaine de jardiniers urbains, parmi eux Emmanuel. Il en tire à la fois des « connaissances théoriques », mais surtout une « connexion à un écosystème » qu'il dit maintenant avoir maintenant intégré.

Publicité

Si les emplois restent « rares », d'après Nadine Lahoud, la dynamique s'accélère. Son association Veni Verdi est ainsi passée de trois salariés en 2017 à 19 cette année. Le collectif La Sauge revendique, quant à lui, huit emplois créés en cinq ans. Et l'entreprise Cultures en Ville, lancée en 2015, emploie quinze salariés sur ses 80 sites, dont certains en partenariat avec le pôle de recherche agronomique AgroParisTech/Inrae. Même constat chez Merci Raymond qui n'était « qu'une graine » il y a trois ans et dont l'effectif s'élève à vingt collaborateurs.

A l'échelle du pays, combien sont ces jardiniers des temps modernes ? Impossible à dire. Statistiquement, ces « jardiniers salariés » sont regroupés par le ministère du Travail dans la grande famille des « maraîchers, jardiniers et viticulteurs », qui comptait au total 321.000 personnes en France, soit 1,2 % de l'emploi national en 2017-2019. Il est possible que la crise sanitaire et la quête de sens de certains actifs qui ne veulent pas quitter la ville bouscule (un peu) ces statistiques.

Marion Simon-Rainaud

Publicité