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Grève des techniciens de laboratoire : «On est là pour les patients 24 heures sur 24 et tout le monde s’en fout»

La profession, qui s’estime lésée par les annonces du Ségur de la santé en avril, devrait se mobiliser massivement ce mardi. Avec en ligne de mire la revalorisation de leur diplôme et de leurs salaires.
par Damien Dole
publié le 17 mai 2021 à 19h40

Le Ségur de la santé est loin d’avoir séduit tout son monde. Le 12 avril, le ministre Olivier Véran annonçait des revalorisations salariales et de carrières pour 1,5 million de professionnels d’ici la fin de l’année. Néanmoins, nombre de métiers se sentent depuis oubliés. Ce mardi, c’est une profession rarement mise sur le devant de la scène, les techniciens de laboratoire médical, qui est en grève. «Les annonces d’Olivier Véran en avril, c’était la goutte d’eau. Ce mouvement, on l’attendait», fulmine une cadre supérieure de labo dans un hôpital parisien.

Une mobilisation partie de la base, que syndicats et représentants d’unité promettent historique. Selon la présidente de l’Association française des techniciens de laboratoire médical, Edwige Caroff, les chiffres devraient dépasser les 80 % de grévistes dans toute la France (100 % au CHU de Brive en Corrèze, 85 % à Robert-Debré à Paris…). «Si on ne reconnaît pas là qu’on fait partie de ce corps soignant, après tout ce qu’on a fait pendant la crise sanitaire, on ne sera jamais reconnus», affirme Céline, technicienne au laboratoire de l’hôpital Tarbes-Lourdes (Hautes-Pyrénées), qui devrait frôler les 100 % de grévistes.

«On a trois trains de retard»

Leurs revendications portent surtout sur la «réingénierie» de leur profession d’ici la fin de l’année, soit une reconnaissance en tant que formation bac +3 et non plus bac +2. Par ailleurs, une dizaine de diplômes permettent de faire ce métier, y compris un BTS agricole, ce que regrettent des cadres de la profession. «Quand on les recrute en sortie d’école, d’un point de vue pratique, il faut presque tout refaire. Le statut des techniciens n’est plus en adéquation avec la réalité du terrain, explique Fanny (1), cadre supérieure de techniciens de laboratoire. Il faut travailler sur des machines pointues et ils ne découvrent ces technologies que lorsqu’ils sont en stage…» Céline, technicienne de laboratoire depuis 1996, abonde : «Avec une formation de trois ans, ils seraient capables de prendre un poste tout de suite, sans passer par des semaines de formation qui nous font perdre un temps fou.»

Le 11 mai, un courrier du ministère de la Santé que Libération a pu consulter a été envoyé aux techniciens de laboratoire, leur assurant «qu’il était prévu que [leur reclassement au sein de la catégorie A] intervienne à l’issue des travaux de réingénierie», qui «seront programmés de fin mai à décembre», et que le reclassement se fera «en janvier 2022». Edwige Caroff reste dubitative : «Pourquoi attendre cette date et ne pas l’avoir annoncé à l’automne 2021 comme pour d’autres professions paramédicales ?»

La revendication de la revalorisation existe depuis 1999, avec le processus de Bologne et le passage de l’université à la réforme LMD à l’échelle européenne, elle est revenue en force récemment. Pour les techniciens de laboratoire médical, cela entraînerait un passage de la catégorie B à la A. «On a trois trains de retard : on n’a obtenu ni la réingénierie, ni le passage en catégorie A, ni les revalorisations salariales», fustige Charlotte, technicienne à l’hôpital Nord de Marseille.

«C’est du soin invisible»

Un statut et des salaires peu valorisés, qui nuisent à l’attractivité du métier. La CGT Cochin assure ainsi qu’il existe plus de 90 postes vacants à l’AP-HP et une vingtaine à l’AP-HM (Marseille), selon SUD santé. Conséquence, le sous-effectif menace. Le Covid n’a en outre rien arrangé, les cadences se sont accélérées avec la crise sanitaire pour les techniciens qui se retrouvent parfois à donner un coup de main pour les tests PCR. «C’est l’horreur depuis six mois, s’alarme Fanny. J’ai cinq ou six postes vacants même dans des secteurs très attractifs, comme la génétique ou la bactériologie. Avant, quand je déposais une annonce, j’avais quatre ou cinq CV dans la journée. Là, plus rien.»

Les techniciens sont pourtant essentiels à la bonne marche de l’hôpital. «Les médecins seraient perdus sans nos analyses, soupire Antoine (1), du labo de génétique de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard. Et la preuve que nous sommes indispensables : des grévistes vont être assignés au laboratoire car sans nous, l’hôpital ne peut plus tourner correctement.» Fanny, cadre supérieure de santé à Paris depuis dix ans après vingt-cinq comme technicienne : «Qu’ils ne soient pas reconnus comme soignants, ça leur fait mal. Même si c’est du soin invisible, c’est du soin. On est là pour les patients 24 heures sur 24 et tout le monde s’en fout.»

«D’autres mobilisations vont arriver»

La mobilisation est soutenue par d’autres corps de métiers. Notamment les biologistes, avec qui les techniciens sont en contact permanent. «Ce mardi, on va faire les analyses urgentes car on ne peut pas fermer le labo. On va par exemple faire les tests Covid mais, nationalement, on ne remontera pas les statistiques des résultats. Ça, on ne pouvait pas le faire sans l’aval des biologistes, et on l’a eu», se réjouit Céline, de l’hôpital Tarbes-Lourdes. «On appuie totalement le mouvement, souligne Karim Djebali, secrétaire général de SUD santé AP-HM. D’autres mobilisations vont arriver car, pour l’instant, un tiers seulement des grades va être revalorisé en octobre. Agents d’entretien qualifiés, ASH [agent de services hospitaliers, ndlr], brancardiers… Trop de métiers ne sont pas concernés. Le combat va s’accentuer.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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