Comment la deeptech pourrait définitivement prendre son envol
Les investissements dans les start-up qui utilisent des technologies de rupture ont été multipliés par quatre entre 2016 et 2020. Mais ils pourraient être encore plus importants si de nouveaux freins étaient levés, plaide le BCG et Hello Tomorrow.
Par Adrien Lelièvre
Les scientifiques n'hésitent plus à troquer leur blouse blanche pour endosser la casquette de startupers. Et les acteurs du capital-risque sont prêts à les accompagner. Les investissements dans les jeunes pousses issues des laboratoires de recherche (la deeptech, dans le jargon) sont passés de 15 à 60 milliards de dollars dans le monde entre 2016 et 2020, souligne un rapport de BCG et de Hello Tomorrow.
Il faut dire que les besoins pour financer des innovations qui ont vocation à changer la face du monde sont colossaux. Dans une récente interview, Stéphane Bancel, le patron français de la biotech Moderna, rappelait que son entreprise avait levé pas moins de 5 milliards de dollars depuis sa fondation en 2010.
Technologies de rupture
Un montant qui lui a permis de commercialiser un vaccin contre le Covid-19 fonctionnant avec la technologie de l'ARN messager ; développée à partir des années 1990, elle pourrait aussi être exploitée contre les maladies cardiaques, auto-immunes, génétiques, ainsi que les cancers. Le pari s'est révélé gagnant : Moderna serait en mesure d'engranger plus de 19 milliards de dollars de revenus en 2020. Le cas de la biotech reste toutefois exceptionnel.
Même s'ils sont de plus en plus nombreux à parier sur la start-up deeptech, les acteurs du capital-risque ont tendance à privilégier un retour sur investissement rapide et peinent parfois à identifier le potentiel de certaines innovations, en raison de leur caractère technique.
C'est pourquoi BCG et Hello Tomorrow plaident pour l'émergence d'un nouveau modèle d'investissement dans la deeptech. Les auteurs préconisent un allongement de la durée de vie des fonds, qui passerait de 10 à 15 ans au lieu de 8 à 10 ans. Ils plaident pour que l'écosystème deeptech soit mieux connecté aux universités et aux industriels. L'objectif ? Résoudre les frictions qui entravent la croissance des start-up et favoriser les partenariats.
Malgré le « plan deeptech » lancé en 2018 par le gouvernement français, il reste du chemin à parcourir dans l'Hexagone. « Les chercheurs ont encore un rapport difficile avec l'entrepreneuriat. Ils savent faire de la recherche fondamentale, mais c'est dur pour eux de monter une start-up et de convaincre des investisseurs de les accompagner », estimait en février Joanne Kanaan, docteure en biochimie et fondatrice d'Omini, une start-up qui développe une nouvelle génération de tests sanguins.
« La deeptech manque encore d'un récit clair pour éduquer les investisseurs et attirer davantage de fonds », abonde Arnaud de la Tour, coauteur du rapport et président de Hello Tomorrow. Une des solutions réside dans une meilleure communication, qui insisterait davantage sur l'impact positif des investissements dans ce secteur d'activité.
Idées reçues
Le rapport bat également en brèches quelques idées reçues. Les investissements dans les technologies de rupture sont certes plus risqués, mais le risque peut être atténué grâce à l'accélération des cycles d'apprentissage et des processus de conception et de fabrication, constatent les auteurs. Par ailleurs, si les besoins en capitaux sont plus importants dans la deeptech que pour les acteurs du numérique ou du Saas, à court et moyen terme, ce n'est plus le cas au bout de cinq ans et demi, insistent-ils.
En levant tous les freins, BCG et Hello Tomorrow estiment que la deeptech pourrait récolter 200 milliards de dollars de financements d'ici à 2025 et ainsi exploiter définitivement son potentiel. La trajectoire folle de Moderna doit appeler d'autres succès.
Adrien Lelièvre