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Série

Inspecteur des impôts : un métier de terrain moins ingrat qu'on pourrait le penser

« Ces métiers mal-aimés », épisode 4 - Personne ne rêve de voir débarquer ce fonctionnaire, sa mallette, sa calculette et sa détermination farouche à vous coller un redressement fiscal. En réalité, la volonté de l'inspecteur des finances publiques est bien différente.

De gauche à droite : Jacques Villeret, Daniel Prévost, Thierry Lhermitte, Francis Huster, dans « Le diner de cons » (1998) réalisé par Francis Veber.
De gauche à droite : Jacques Villeret, Daniel Prévost, Thierry Lhermitte, Francis Huster, dans « Le diner de cons » (1998) réalisé par Francis Veber. (Gaumont EFVE TF1 Films Production)

Par Florent Vairet

Publié le 20 mai 2021 à 11:58Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

« Ah… eh bien… il en faut hein ! » Voilà la réaction des personnes quand, au détour d'un dîner, les inspecteurs des impôts dévoilent leur profession. Sans doute, ont-elles en tête l'image du fonctionnaire suspicieux à l'excès, scrutant en permanence le moindre bien qui aurait pu être éludé au fisc. En résumé, l'image de l'inspecteur des impôts (qu'on appelle désormais des finances publiques) si drôlement mise à l'écran par Francis Veber dans le film « Le dîner de cons ». La réalité du métier est bien différente. « Après cette première réaction, ils s'intéressent généralement à notre métier qu'ils trouvent rapidement intéressant », témoigne Sophie, cheffe de brigade à la direction nationale des vérifications des situations fiscales.

A aujourd'hui 34 ans, cette agent est passée par plusieurs services de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), d'abord le contrôle des entreprises puis aujourd'hui celui des particuliers, section « dossiers à forts enjeux ». Autrement dit, les personnalités publiques, des politiques, des artistes. Elle cherche à s'assurer que ces contribuables déclarent correctement leurs revenus. Elle s'appuie sur les informations détenues par l'administration, les remontées des salaires versés par les employeurs mais aussi elle peut être interpellée par une révélation faite par la presse concernant une personnalité publique. Dans la plupart des enquêtes déclenchées, elle n'est pas en contact avec les personnes concernées, mais échange avec leur avocat.

Objectif : minimiser l'impact du redressement fiscal

La première étape de son job consiste à s'intéresser à la personne. Pas seulement à sa situation fiscale mais à ses activités en général pour comprendre d'où provient son revenu. « Les réseaux sociaux sont un bon indicateur », confie-t-elle. Ensuite, elle départage les différentes fiscalités. Selon que ses revenus proviennent de YouTube, de concerts, de la vente de livres ou de CD, les taux d'imposition ne seront pas les mêmes.

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Julien (le prénom a été modifié) traite de contribuables - dirons-nous - plus lambda. Son travail se situe dans l'étape d'après du contrôle, au moment du recouvrement des sommes dues au fisc. Comment s'y prend-il ? La plupart du temps, il effectue des saisies sur salaire. « C'est le plus efficace et surtout ça n'occasionne aucun frais pour le contribuable, contrairement aux prélèvements sur compte bancaire qui passent par des demandes aux établissements bancaires qui ensuite facturent le service à ses clients », explique l'inspecteur des finances publiques, soucieux de limiter l'impact du redressement.

Le premier contrôle sur place, c'est impressionnant !

Autre aspect du métier souvent ignoré : la diversité des sujets d'enquête. « On change de sujet tous les jours, s'enthousiasme Sophie. Le lundi, ça peut être l'étude des activités d'un artiste, le mardi un politique, le mercredi un chef d'entreprise, le jeudi un médecin et le vendredi un rentier. »

Et selon le contrôle, il faut se déplacer sur place. Le terrain, c'est ce qui a convaincu Justine, qui hésitait un temps avec le métier d'avocate. A 30 ans, cette inspectrice des finances publiques travaille sur les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse les 150 millions d'euros. Dans 80 % des cas, c'est du contrôle sur place. Elles trouvent en face d'elle les comptables, les directeurs financiers ou fiscaux, et parfois des avocats fiscalistes. Et comme pour les particuliers, le principe est le même : comprendre les flux d'argent. Pour cela, elle visite les sites industriels pour comprendre les cycles d'activité et les spécificités du secteur, pour in fine appréhender au mieux la déclaration fiscale des entreprises. « Quand je vérifie une société, je m'assure qu'une transaction effectuée par exemple avec une société soeur basée au Luxembourg est justifiée et correctement rémunérée », explique-t-elle.

La matière est complexe, parfois aride, mais non moins passionnante pour nos inspecteurs. Le métier fait appel à plusieurs domaines, comme le droit civil, commercial, fiscal, l'économie, la finance et la stratégie d'entreprise. Justine sait que ses interlocuteurs sont autant de pointures dans leur spécialité. Car les entreprises s'offrent les services de professionnels hyperspécialisés pour attester de l'intégrité de leur déclaration.

Le concours

Le concours d'inspecteur des finances publiques est ouvert au niveau Bac+3. Ces trois dernières années, la sélectivité oscillait entre 14 % et 25 % de réussite (rapport du nombre d'admis sur celui de candidats présents au concours). Après un an de formation, une trentaine de métiers s'ouvrent à ces jeunes diplômés, vérificateur mais aussi RH à la DGFiP en passant par enseignant, commissaire-priseur ou comptable de l'Etat. En entrée de carrière, la rémunération brut mensuel est de 1.827 euros.

« Le premier contrôle sur place, c'est impressionnant ! » confie celle qui a démarré à 25 ans. Naturellement, celui-ci n'a pas eu lieu vraiment tout de suite après l'obtention du diplôme. Pendant les six premiers mois, elle était en formation, dans l'ombre d'un vérificateur plus expérimenté. Elle sait aussi que ce job est une chance. Elle traite avec des professionnels bien plus seniors qu'elle. « En contrôle, quand je voyais l'avocat stagiaire à côté qui ne prenait que des notes, je me disais voilà où j'aurais été si j'avais choisi cette voie… » Et d'ajouter : « Surement que dans 15 ans cette même personne sera payée trois fois plus que moi, mais aujourd'hui je préfère être là où je suis ».

Cinq ans après ces premières impressions, Justine est bien installée dans son service. Elle est même passée inspectrice principale après avoir réussi un concours interne. La jeune trentenaire est à la tête d'une équipe de dix vérificateurs et traite les sociétés qui formulent des recours à la suite d'un contrôle. Désormais terminé le terrain, c'est à son tour de préparer les jeunes lors de leur mission.

« On n'envoie pas le GIGN à la première relance »

Une question reste en suspens : pourquoi avoir choisi un métier qui a si peu la cote ? Tous les interviewés rejettent en bloc l'image du méchant inspecteur des impôts. « Nous ne sommes pas des cow-boys qui arrivons dans les entreprises pour tout rafler, s'exclame Justine. En réalité, la plupart du temps, ça se passe très bien. »« Il ne faut pas imaginer non plus qu'on envoie le GIGN à la première relance, s'amuse Julien. On adapte en fonction de la situation, en essayant de faire les choses le plus possible à l'amiable, le plus juste possible. En bref, d'être humain. » Selon lui, le plus dur est quand les redressés fiscaux ne réagissent pas et s'enferment dans la non-coopération. « Pour ceux-là, il faudrait envoyer l'assistance sociale plutôt que les huissiers », conclut le jeune homme.

Justine est fière de son métier et insiste sur sa mission de service public. « Je travaille pour l'Etat. Quand je fais un contrôle, je n'ai pas la volonté d'embêter une entreprise, mais si on décide de la redresser, c'est qu'elle avait éludé des opérations… »

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A noter que depuis la réforme fiscale de 2018, l'administration peut régulariser une erreur commise lors d'une déclaration si le contribuable ou l'entreprise peut prouver qu'il l'a commise de bonne foi. Sous ce mandat présidentiel, Bercy a voulu insuffler une dose de bienveillance dans la relation entre le fisc et les contribuables.

SERIE « CES METIERS MAL-AIMES »

Ils sont experts-comptables, notaires, gestionnaires de syndic, actuaires, banquiers… et leur profession pâtit d'une mauvaise réputation. A travers leurs témoignages, nous vous proposons un nouveau regard sur leur métier et de déconstruire les clichés.

Episode 1 : Expert-comptable : un métier plus proche des patrons que des chiffres

Episode 2 : Gestionnaire de syndic : un métier détesté à tort ?

Episode 3 : Notaire : un métier stimulant qui va au-delà de la rédaction d'actes

Florent Vairet

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